La lente marche forcée vers l’État policier

par Bruno
vendredi 14 novembre 2008

Alors que la défense de la liberté de la presse et de l’indépendance de la justice sont à l’ordre du jour, Erich Inciyan (Mediapart) s’interroge sur la possible mise en place d’une "police politique" en France...

Mais il semble penser que la DCRI, la police secrète [1] voulue par Sarkozy et créée fin juin 2008 et dont, comme il le rappelle, "les premiers pas n’ont suscité aucun débat", et qui a, entre autres, pour fonction de surveiller (et punir !) « les individus, groupes, organisations [ainsi que les] phénomènes de société, susceptibles, par leur caractère radical, leur inspiration ou leurs modes d’action, de porter atteinte à la sécurité nationale » se contentera d’enquêter sur les personnes et organisations ayant recours à la violence... les casseurs, en somme, ces personnages honnis mis en avant par les politiciens réactionnaires et la quasi-totalité des médias à chaque manifestation, à chaque contre-sommet, qui ont le mérite d’effrayer les beaufs apeurés qui mangent devant le JT.

Vers un fichage systématique des opposants

Alors que le Sénat a voté mardi 4 novembre 2008 un article de loi visant à rallonger le délai de prescription du délit de diffamation sur internet [*], en le passant de 3 mois à 1 an ;

Alors que le ministère de l’Education nationale entend « repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau, décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation » en lançant un appel d’offre (100 000 euros) visant à externaliser « la veille de l’opinion dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’enseignement supérieur » [Voir lAppel d’offre *] ;

Alors qu’à Vichy, la libre expression a été muselée par une répression policière et politique dont les militants (et les immigrés) sont de plus en plus souvent victimes [lire à ce propos Que s’est-il passé à Vichy sur le site du QSP] ;

Alors que l’on se flatte de s’être (peu) mobilisé contre le "fichier Edvige", qu’en est-il du "fichier Cristina" dont le décret n’a pas été publié compte tenu de son classement secret-défense... [2]. Marianne nous rappelait par ailleurs début septembre - sur son site - que le fichier Cristina aurait "toutes les chances de rassembler autant sinon plus d’informations que le fichier Edvige".

(...)

Bref, alors que l’on est plus que jamais dans un Etat policier (qui de plus réhabilite Vichy...), on peut légitimement s’interroger sur la question posée sur le site de la LDH relevant l’article d’Erich Inciyan "comment éviter que cette police secrète ne devienne une police politique ?"...

Faut-il être à ce point naïf...

Rappelons quand même qu’en 2000, déjà, les Renseignements généraux [RG], dans un rapport à destination du gouvernement, avaient soulevé pas mal de remous (les RG n’ayant normalement plus le droit d’espionner les organisations politiques légalement déclarées) [3] en enquêtant sur les associations, les syndicats et les partis politiques de gauche (parmi lesquels "Mouvement pour une alternative non violente", "l’Union pacifiste de France", "La Fondation Copernic", "Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde", la "Coordination nationale" et les collectifs de sans-papiers...).

Alors que "la corde se resserre" dans l’indifférence générale intelligemment entretenue par les médias, revenons sur un texte d’actualité qui dit les choses clairement.

En effet, lentement, mais sûrement, "c’est d’un véritable coup d’Etat qu’il s’agit"...
 

Le texte des cyber-journalistes :

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La mise au pas des médias

 

Mi-septembre, on apprenait le projet de privatisation de l’AFP, pudiquement dénommée « ouverture du capital ». Il s’agirait de remettre entre les mains de Vincent Bolloré, ou de Bouygues, ou de Lagardère – « un actionnaire clairement identifié » –, cette grande agence de service public, « pour garantir son indépendance »...

Simultanément, il est question de supprimer la publicité sur les chaînes de télévisions publiques – réservant la manne publicitaire à TF1 et M6. Gros cadeau aux amis. Avec le risque annoncé d’une paupérisation des chaînes publiques.

 

Quant aux radios, l’installation de la radio numérique se fait dans de telles conditions que, loin d’augmenter leur diversité, c’est à la disparition des dernières radios libres qu’il faut s’attendre, les conditions d’accès à ce nouveau mode de diffusion s’avérant prohibitives pour les radios associatives. La télé numérique (TNT), elle, aura vu le CSA attribuer les fréquences de façon à exclure toute expérience de contre-information. Dans le même temps, début octobre, se sont ouverts, à l’Élysée, des « États généraux de la presse » – qui regroupent essentiellement quelques éditeurs proches du pouvoir –, pour redéfinir les conditions d’existence de la presse écrite. Avec l’objectif déclaré de faire de la place chez les marchands de journaux au bénéfice de quelques grands groupes « de taille internationale ». Là, il est question de modifier en profondeur aussi bien la fiscalité que les règles de la distribution, afin de permettre une « réduction de l’offre » – soit moins de concurrence pour ces grands groupes… Dans ce contexte, internet apparaît comme un des rares espaces d’expression libre qui demeure. Mais, là aussi, il est question de privilégier des sites d’informations institutionnels – qui seraient assimilés à la presse écrite –, quitte à instaurer un système de concurrence déloyale au bénéfice de certains.

Fin octobre, le Sénat adoptait, en première lecture, la loi « Création sur internet » qui, sous prétexte de protéger les « droits d’auteurs », institue une « haute autorité » chargée de contrôler – et de sanctionner – les internautes.

Faut-il que la présidence de la République soit pressée ! En quelques mois, c’est l’ensemble de ce qu’on appelle le « 4e pouvoir » – supposé fonctionner comme un contre-pouvoir – qu’il est question de réorganiser, dans le but non dissimulé de renforcer les médias institutionnels sur lesquels le pouvoir sait qu’il peut compter.

C’est d’un véritable coup d’Etat qu’il s’agit.

Mettre les médias au pas, pour s’assurer qu’il n’y ait plus de critique possible.

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La guerre à internet est ouverte !

« Le vol à l’étalage numérique n’est pas admissible. » Ainsi s’exprimait le président de la République en présentant le projet qui a été adopté le 30 octobre 2008 par le Sénat.

Désormais, les internautes, officiellement criminalisés, seront passibles de l’article L 331-25 de la loi « Création sur internet » qui prévoit « la suspension de l’accès au service pour une durée de trois mois à un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur ».

À cette fin, désormais, il y aurait un organisme – une « haute autorité indépendante » – chargé de traquer les utilisateurs d’internet et de les ficher.

Ce serait pour protéger les « droits d’auteurs » audiovisuels que la France entend ainsi se doter de moyens extraordinaires permettant le contrôle total de la population – à l’image de ce qui se fait déjà en Chine. Aux États-Unis aussi, le 15 octobre, à la veille de rendre les clés de la Maison-Blanche, Georges W. Bush signait une loi instituant de fortes amendes contre le téléchargement.

Mais la France prend résolument la tête des nations réactionnaires en se proposant d’organiser non seulement une super-police du monde virtuel, mais un dispositif de sanctions permettant de couper l’accès à internet des particuliers comme des entreprises.

Saisis d’une proposition semblable, les ministres de la Culture et de la Justice suédois objectaient que « la coupure d’un abonnement à internet (…) pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l’accès à internet est un droit impératif pour l’inclusion sociale ».

En France, l’Association des services internet communautaires (Asic) remarquait de même que « bannir, même temporairement, des internautes de la société de l’information, ce n’est pas seulement les empêcher de télécharger des contenus illicites, c’est aussi et surtout leur interdire toute utilisation d’un vecteur de communication et d’expression devenu indispensable, qui offre l’accès à une pluralité d’information, à une diversité de contenus, ou à une multitude de services publics… » Plus sévère encore, le Parlement européen votait une résolution recommandant aux États membres d’« éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effet dissuasif, telle que l’interruption de l’accès à internet ».

À la veille du débat parlementaire, une pétition était présentée aux sénateurs, soulignant que « la surveillance sans pareille des activités des internautes que ces mesures impliquent n’est pas digne d’une société dans laquelle nous aimerions vivre ».

Quand on sait que le téléchargement est devenu une des principales activités sur internet – et qui contribue beaucoup à sa popularité –, il est manifeste qu’une telle loi vise à limiter le succès de ce nouveau média. Criminaliser massivement les citoyens est ici considéré comme tout naturel. Sous prétexte de défendre quelques intérêts particuliers, la France choisit d’aller à marche forcée vers l’État policier total, quitte à… tourner le dos à son époque !

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[*] Vous trouverez sur Bruno-web.net l’appel d’offre du ministère de l’Education nationale dont il est question ci-dessus...

Cahier des clauses particulières

CCP n° 2008 / 57 du 15 octobre 2008

Appel d’offres ouvert passé en application des articles 57 à 59 du Code des marchés publics


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