La loi Touraine, instrument de communication au service des lobbys
par Laurent Herblay
lundi 21 décembre 2015
La semaine dernière, le Parlement a adopté le projet de loi santé défendu par Marisol Touraine. Derrière la rhétorique habile de la ministre, se cache un nouvel effort au service des lobbys, notamment des mutuelles, quand le gouvernement oublie complètement la question du prix des médicaments.
Les abus des labos pharmaceutiques
C’est un débat qui commence tout juste à apparaître dans notre pays, alors qu’il se développe de manière beaucoup plus forte aux Etats-Unis, où Hillary Clinton en fait un élément de sa campagne pour les primaires. Deux sujets commencent à provoquer un véritable débat outre-Atlantique. D’abord, il y a le développement de la pratique dite de l’inversion fiscale, où un laboratoire yankee fusionne avec un laboratoire dont le siège est en Irlande pour réduire sa facture fiscale. Le dernier exemple en date est celui de Pfizer et Allergan, qui est déjà le produit de deux inversions. Washington a déjà mis en place des retrictions à ces pratiques, mais que les laboratoires n’ont pas eu grand mal à détourner. Et la poursuite des opératoires nourrit un débat qui montre les conséquences de l’abolition des frontières.
Mais un second débat s’installe outre-Atlantique : celui du prix des médicaments. Il y a deux mois, Turing, une entreprise de biotechnologie avait déclenché une polémique en multipliant par 55 le prix d’une molécule rachetée à GSK, en jouant sur le fait qu’il s’agissait d’un médicament à relativement faible volume. D’ailleurs, le fondateur de cette société vient d’être inculpé pour fraude et de détournement de fonds : est-ce vraiment surprenant de la part d’un tel vautour cupide ? Plus globalement, la Ligue contre le cancer vient de dénoncer les prix « injustes et exorbitants » des nouveaux médicaments contre le cancer, dont le marché est passé de 24 à 80 milliards de dollars en dix ans, certains traitements revenant à 100 000 euros par an, au point qu’ils représentent aujourd’hui 10% des dépenses de la Sécu.
Un gouvernement à la solde des lobbys
Bien sûr, les laboratoires évoquent les dépenses de R&D pour justifier le prix des nouveaux traitements. Mais cet argument n’est pas recevable car ce secteur d’activité est un des plus rentables au monde, comme je l’ai expliqué début 2010, en évoquant le cas de Sanofi Aventis, qui dégageait 11,1 milliards de résultat opérationnel et 8,4 milliards de bénéfice net pour 29,3 milliards de chiffre d’affaires. Un niveau de marge qui est largement supérieur au luxe et qui n’est dépassé que par quelques oligopoles de la nouvelle économie. Ceci est tout aussi vrai pour Pfizer, qui cherche à ne plus payer d’impôts aux Etats-Unis, malgré plus de 9 milliards de profits pour 50 milliards de chiffre d’affaires. Mais alors que le débat avance outre-Atlantique, ce point reste étonnamment absent de la loi de la ministre.
Mais est-ce vraiment surprenant de la part d’une ministre qui sert d’une manière aussi évident les intérêts des mutuelles, auxquelles elle sert une part grandissante de notre Sécurité Sociale, dans une privatisation lente de notre assurance maladie, qui ne fera que renchérir notre santé, du fait des coûts bien supérieurs des mutuelles ? Mais, la ministre est habile et elle a trouvé dans la généralisation du tiers payant, un choix posant de nombreux problèmes, mais populaire, un moyen de détourner le débat vers un sujet qu’elle sait populaire (au point de le répéter plusieurs fois sur RTL). Il est tout de même effarant de constater à quel point ce gouvernement sert les intérêts des multinationales, soutenant les banques dans la lutte contre la taxe Tobin, ou avec les baisses de cotisations sociales.
On peut voir dans cette loi un symbole de la politique de ce gouvernement : servir les intérêts des grandes entreprises de toutes les sortes, tout en habillant cette politique d’une communication plus ou moins habile pour vaguement donner le change de son caractère « de gauche ».