La lutte finale

par damocles
mercredi 12 septembre 2007

Voilà, nous y sommes. D’ici à dix jours, nous saurons si la rupture sarkozyste est, comme le prétendent certains, un feu de paille médiatique, ou bien si elle inaugure une autre organisation de la société et de ses rapports de force.

En mai 2007 déjà Drieu Godefridi écrivait ceci :

"La vraie question, dès lors, n’est pas de savoir si la confrontation entre l’administration Sarkozy et les syndicats aura bien lieu. La question est de savoir quelle sera la réforme - ou le prétexte - qui jettera cent mille personnes dans la rue. Et comment la confrontation se dénouera. Qu’il cède, et M. Sarkozy ne sera, au bilan, qu’un autre Chirac. Qu’il maintienne, et il entrera tout droit au Panthéon des hommes d’Etat."

Il faut dire que dès le 10 mai - 4 jours après le 2nd tour de la présidentielle, excusez du peu - Bernard Thibault de la CGT avait annoncé la couleur. En réponse tardive à un Sarkozy qui avait dit, dans une émission de télévision,

"Quoi que dise monsieur Thibault [...], si les Français devaient me faire confiance, et que dans mon programme je dis : ’il faut une loi sur le service minimum dans les transports parce qu’il n’y a aucune raison que les usagers du service public soient pris en otage de questions qui ne sont pas les leurs’, [...] je ne vois pas au nom de quoi M. Thibault devrait dire : ’les élections ça compte pas, seule compte la revendication’. [...] On discutera, on négociera, mais si les Français me choisissent, il y a des décisions, [...] il faudra les prendre."

Thibault répondait ceci :

"Une élection présidentielle ne résout pas tout. Jacques Chirac a été élu avec 52 % des voix en mai 1995, cela n’a pas empêché un conflit long, fin 1995. Jean-Pierre Raffarin était un Premier ministre légitime et il s’est heurté à un conflit important sur la réforme des retraites en 2003. Dominique de Villepin a aussi pu considérer que le taux de syndicalisation n’était ’que de 8 %’, cela n’a pas empêché, en 2006, un conflit lourd sur le Contrat première embauche."

Bref, la confrontation s’annonçait comme inévitable. Sarkozy voulait changer la France, les syndicats voulaient garder leurs prérogatives. Leur ambition s’est heurtée à un premier écueil : la popularité de Sarkozy, qui ne faiblit pas assez vite pour qu’un mouvement d’annexion de la rue soit envisageable. C’est ce que rappelle Charles Jaigu :

"François Mitterrand, en 1981, passe d’une cote de confiance de 74 % en juin, à 62 % en septembre. Jacques Chirac perd dix points entre juin et septembre 1995 (de 64 % à 54 %). Nicolas Sarkozy est le seul, avec François Mitterrand, en 1988, à se maintenir au même étiage entre juin et septembre. ’Pour les Français, la relation avec Nicolas Sarkozy s’est construite depuis 2002. L’omniprésence sur le terrain, le volontarisme sur tous les dossiers, l’accessibilité, le président de la République ressemble au ministre de l’Intérieur qu’il fut, et cela lui donne une grande solidité dans l’opinion. Depuis cinq ans, sa courbe offre une grande résistance au temps’, note Pierre Giaccometi, directeur général d’Ipsos."

Pour tenter de conjurer cet état de fait, Thibault sort le grand jeu, et essaye, dans son costume d’oiseau de mauvaise augure, de produire le battement d’aile responsable de l’ouragan social qu’il attend. En vain.

Mais depuis le 9 septembre, il est au pied du mur. C’est François Fillon qui, chez Laurence Ferrari, a pris la main, calmement mais fermement. Selon lui, la réforme sur les régimes spéciaux de retraite est "prête" et le gouvernement "attend le signal du président de la République" pour "entamer les négociations avec les partenaires sociaux". "Cette réforme [...] est simple à faire, il s’agit d’aligner les régimes spéciaux sur celui de la fonction publique", a-t-il estimé, indiquant qu’elle sera réalisée soit par une loi, soit par un décret."Ca ne veut pas dire pour autant qu’il n’y aura pas un débat au Parlement pour que cette réforme soit faite dans la transparence et la concertation", a-t-il précisé.

Les réactions des syndicats ne se sont pas faites attendre. Il est d’ailleurs assez révélateur que celles de Besancenot et de Sud Rail s’expriment au travers du même terme de "déclaration de guerre". Pour le leader de la LCR en effet,

"C’est une déclaration de guerre de la part de Fillon, il le sait, d’ailleurs on l’attendait. [...] Elle vient un petit peu plus vite que prévu car il y a des difficultés économiques qui se profilent en cascade pour le gouvernement. [...] A la rentrée sociale, il s’agit de répondre présent, dans la rue, dans les mobilisations [...] Dès qu’on touche aux acquis sociaux arrachés par nos anciens ça peut très, très rapidement se transformer en bordel dans le pays. [...] Le seul adversaire de taille qui se dresse face à la droite, face au Medef, c’est l’histoire sociale de ce pays".

Dans le même temps, Christian Mahieux de Sud Rail déclare :

« Nous considérons que la déclaration de M. Fillon est une déclaration de guerre. Le gouvernement veut casser les régimes spéciaux dès 2007 pour être plus fort lorsqu’il s’attaquera aux retraites de tous en 2008 ».

Les forces en présence sont donc désormais rassemblées. Tout est prêt pour la confrontation, mais personne ne sait quelle forme elle prendra, tant la situation est, malgré les apparences, inédite : Sarkozy va-t-il passer en force, mettant en avant sa popularité et ses 53 % de soutien à son programme ? Les syndicats oseront-ils réitérer une méthode d’intimidation devenue curieusement anachronique depuis quatre mois ? Assisterons-nous à un combat de judo, chacun se servant de la force gaspillée de l’adversaire, ou à un match de boxe, dont l’issue sera le KO de l’une des parties ?

Les syndicats semblent en tout cas mal en point avant même le début du conflit. Outre la popularité de Sarkozy évoquée plus haut, ils doivent compter avec deux éléments qui leur sont défavorables. Le premier est le soutien de l’opinion publique à cette réforme en particulier. Ainsi que l’écrit Le Monde,

"Le gouvernement compte, contrairement à la tentative avortée d’Alain Juppé en 1995, sur un soutien de l’opinion publique. Il s’appuie sur plusieurs sondages publiés pendant la campagne électorale et sur plusieurs enquêtes privées, réalisées depuis. En mars, dans un sondage IFOP, les Français avait placé la réforme des régimes spéciaux en tête des mesures prioritaires pour préserver les retraites (49 %), devant le développement de l’épargne par capitalisation (32 %) et l’augmentation des années de cotisation (16 %). Au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy, dans un sondage CSA pour Le Parisien, 56 % des Français disaient souhaiter la mise en oeuvre ’rapide’ de la réforme des régimes spéciaux de retraites."

Le second est la perte d’un soutien non négligeable, celui d’une partie du PS. Il y a quelques jours, François Hollande tournait la page du Grand Soir. De plus, ainsi que le rappelle L’Express, Montebourg avait déjà préconisé la suppression des régimes spéciaux dans son discours de rentrée, à Frangy. Ce matin, sur RTL, Manuel Valls n’a pour sa part pas hésité une seconde :

"Il faut dire la vérité aux Français. Il faut être clair. Et donc, les socialistes doivent le dire aussi : il faudra aligner les régimes spéciaux sur le régime général, c’est une question d’abord d’équité. Nous l’avons beaucoup entendu pendant la campagne électorale ; et puis c’est aussi une question financière parce que nous savons que, demain, il y aura pour ces régimes beaucoup plus d’inactifs, beaucoup plus de retraités que d’actifs. Et donc, il y aura un grave problème financier qui se posera."

Nul ne sait ce qui se passera demain. Mais si conflit social il y a, il risque fort de marquer un bouleversement profond et un virage sans précédent dans l’organisation sociale du pays.


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