La majorité tire sur son électorat
par Voltaire
mercredi 9 juillet 2008
En quelques semaines, la majorité du président de la République aura pris plusieurs mesures-clés à l’encontre de son propre électorat. Décidées pendant l’été, ces mesures n’auront sans doute pas de répercussions immédiates, mais pourraient durablement l’affecter aux prochaines élections.
Alors que la popularité du chef de l’État et du gouvernement est au plus bas, on aurait pu penser que ceux-ci lâchent un peu de lest en faveur de leur électorat de base. Deux mesures importantes viennent néanmoins alourdir son passif : la réforme de la carte militaire et la suppression effective des RTT pour les cadres.
La réforme de la carte militaire était sans nul doute une nécessité : l’existence de nombreuses bases militaires ne se justifiait plus, et il était nécessaire de réformer de façon plus générale l’organisation de l’armée afin de l’adapter aux conditions géostratégiques actuelles. A ce titre, un certain nombre de mesures proposées ont rencontré un large consensus : effort en faveur du renseignement militaire, rationalisation des effectifs dans certaines armes, et décommission d’un certain nombre de bases. Néanmoins, cet habillage rationnel n’a pu dissimuler la réalité budgétaire : confronté à un déficit abyssal, le gouvernement a profité de cette réforme pour effectuer des coupes sombres dans le budget de l’armée. Celui-ci, autrefois sanctuarisé par Jacques Chirac, se retrouve amputé d’une partie de ses moyens. Hélas pour le pays, ces réformes n’ont pas touché au problème principal du budget militaire français : des dépenses d’armements gonflées par l’absence de coopération européenne et par des avantages acquis par certains lobbys français.
La grande muette ne s’y est pas trompée : elle a largement rompu avec son surnom et fait savoir avec vigueur son désaccord avec ces restrictions. Pour aggraver le tout, l’événement tragique de Carcassonne a donné lieu à une attaque virulente de l’exécutif à l’égard de l’armée dans son ensemble, au point de provoquer la démission du général en chef de l’armée de terre. Et la rationalisation territoriale de l’armée provoque une fronde d’une partie des élus locaux de la majorité, confrontés au départ des militaires après celui de nombreux autres services publics. Si l’armée ne constitue pas, en termes numériques, un électorat très important, la majorité n’en a pas moins affecté une partie de son électorat autrefois captif, et qui dispose de relais d’opinion importants.
Second événement tout aussi symbolique, l’adoption du projet de loi sur la démocratie sociale et la réforme du temps de travail, qui comporte un amendement supprimant à terme les RTT, instaurées dans les lois Aubry de 1998 et 2000 pour compenser le passage de 39 à 35 heures chez les salariés dont la journée de travail ne peut être chronométrée, c’est-à-dire chez une majorité de cadres. D’un point de vue concret, cette modification ne devrait pas entraîner de modifications rapides pour les cadres des grandes entreprises, dans lesquelles des accords avantageux ont été signés. En revanche, pour les nouveaux cadres et ceux des PME, ces nouvelles conditions signifient la disparition rapide des RTT. Quand on sait que le nombre d’heures effectives par semaine des cadres dépasse souvent 46-48 heures, et que ces RTT sont unanimement appréciées pour avoir réconcilié ces cadres avec leur vie de famille, on mesure l’impact social que pourra avoir cette mesure. Et en contrecoup, l’impact politique et électoral.
Certes, l’électorat des cadres est réparti de façon plus homogène que celui des militaires, mais avec quand même un biais vers la droite, et surtout ils constituent un électorat infiniment plus nombreux.
La majorité actuelle s’était déjà aliéné l’électorat populaire (avec la crise du pouvoir d’achat), et mécontenté certaines catégories socioprofessionnelles comme les chauffeurs routiers. Voici qu’elle poursuit son entreprise de sabordage, en s’attaquant à de nouvelles catégories d’électeurs. Certes, on notera que cette majorité s’est jusqu’ici largement abstenue de toucher à son électorat le plus capital, celui des personnes âgées. Cet électorat, qui ne s’abstient pas, et qui vote aux deux tiers à droite, constitue le capital captif le plus important de la droite. Il a été soigné par diverses mesures, directes ou indirectes, depuis l’élection du nouveau président : mesures sur la transmission du patrimoine, bouclier fiscal (pour les plus aisés), plan Alzheimer, déductions fiscales pour les aides à la personne, lutte contre l’immigration, durcissement pénal, etc. Après le choc causé par le comportement du président de la République (divorce, remariage, etc.), la majorité a compris la nécessité de conserver cet électorat-clé et redressé sa communication. Reste que, comme les autres Français, cet électorat subit aussi la crise du pouvoir d’achat, et a subi une première alerte avec les franchises médicales.
En diminuant la base de son électorat qui lui était favorable, la majorité a pris un risque pour les prochaines élections. Une faible participation pourrait lui permettre de sauver les meubles, mais elle est maintenant sur le fil du rasoir, et la conjoncture économique n’est pas prête de s’améliorer…