La politique d’égalité entre les sexes n’a pas besoin de Markus Theunert

par Julien Cart
jeudi 16 août 2012

Quel plaisir de revenir de vacances et d'apprendre que le masculiniste suisse Markus Theunert, premier délégué aux questions masculines en Europe (et espérons, le dernier), président de Männer.ch, a démissionné après 3 semaines de service, pour incompatibilité avec sa charge de président du lobby des hommes. Tant mieux pour lui : il aura davantage de temps pour militer pour le porno à l'école au sein de son association.

Pour mémoire, ce psychologue, alors seulement président de Männer.ch, avait defrayé la chronique en rivalisant de bêtise avec la Jeunesse socialiste suisse - qui elle aussi avait prôné en 2010 le recours aux films pornos lors des cours d'éducation sexuelle à l'école... Ses propos sont resortis dans la presse, et ce dernier a dû choisir entre la présidence de Männer.ch et son poste de délégué.

S'il faut déconstruire avec les élèves les normes machistes de la pornographie comme les normes sexistes qui régissent tant de pratiques dans nos sociétés (publicité, prostitution, etc.), reste à savoir comment s'y prendre, à quel âge et par quelle entremise. Des choses se font mais pas assez, en témoignent les agressions et viols collectifs notamment, qui sont filmés par les élèves eux-mêmes et publiés sur internet. Il faut donc une prévention dès les premières années sur ces questions pour que les élèves soient formé-e-s pour (se) mettre des limites, connaître leur corps, et être capables de dénoncer si cela arrive des situations qui dégénèrent.

Mais est-ce que pour donner l'exemple d'ébats amoureux respectueux et égalitaires il faut passer en boucle sur un écran ce qu'il ne faut pas faire ? Cette idéologie du porno à l'école est masculiniste : il n'y a qu'à voir de qui elle émane, du président de Männer.ch, le lobby des hommes... A peine rentré en charge, voilà qu'il émet déjà une idée inquiétante, à la solde de l'industrie pornographique, qui n'avait pas besoin de cela pour fleurir. Une idée anti-pédagogique par essence. Il est bien plus pédagogue d'induire les bons comportements aux élèves. Les comportements sexistes doivent être décrits et dénoncés comme mettant en danger l'intégrité physique des personnes, mais donner une place visuelle à ces pratiques est totalement contre productif. Ce serait quelque part reconnaître que ces films ont une valeur pédagogique (comme un documentaire sur la guerre ou l’Holocauste, qu'il faudrait visionner pour prendre conscience d'une horreur) : or...

Ce "Monsieur Egalité" a donc choisi de démissionner. Et la presse people suisse s'est empressée de venir à son secours, avec notamment un article fascinant dans Le Matin, qui nous pose question : qui d'après vous, dans cet interview, est le plus masculiniste : Markus Theunert ou le journaliste du Matin ?

"- En démissionnant, ne montrez-vous pas que le sexe fort est faible ?



- Je n’en sais rien. J’ai dû prendre une décision, je l’ai prise. Mais je regrette cette issue : j’aurais fait du bon boulot."

 

Mais la caste masculiniste ne s'arrête pas aux journalistes au Matin : à Genève aussi, le masculinisme a ses défenseurs acharnés. Le bien connu sur les blogs de la Tribune, l'homministe John Goetelen, n'a pas digéré cette démission et demande celles de Mesdames Trachsel et Durrer qui auraient fait preuve de "partialité", de "dénigrement du masculin" (sic !), et auraient "diffusé des informations inexactes" qui "montrent le mépris de l’égalité réelle et l’esprit clanique" du Bureau de l'Egalité... Touchés dans leur masculinité, Goetelen et Theunert vont-ils porter plainte pour "atteinte à la virilité" comme un homme en Italie, qui a obtenu réparation après que son cousin l'ait accusé de « ne pas avoir de couilles » lors d’une dispute... ?

Mais nous avons gardé le meilleur pour la fin. Voilà que Markus Theunert himself s'est vu offrir généreusement (en pauvre victime qu'il est désormais pour les médias) une Carte Blanche dans le Politblog, dans laquelle il s'attaque ouvertement au féminisme égalitariste, tout en prétendant ne pas le faire :

"Les polémiques avec les « femmes égalitaristes » sont ainsi, dans une certaine mesure, une querelle de représentants."

Alors qu'il affirme :

"Le féminisme égalitariste, qui leur semble ringard, ne correspond plus à la réalité de leur vie de femme ouvertement émancipée."

 

Mais entendons-nous bien, ce n'est pas les hommes qui profitent des privilèges qu'il faut blâmer, mais le système !

"Entendons-nous bien : il subsiste des discriminations, par exemple les inégalités de salaire, qui sont indignes d’une société moderne. Mais ce ne sont pas « les hommes », ces prétendus profiteurs, qu’il faut blâmer pour cela, mais bien plutôt le système qui laisse perdurer ces inégalités."

 

Donc pour résumer, selon le masculiniste "une politique d’égalité entre les sexes n’a pas besoin de lutte", le sexisme ne concernerait plus que quelques problèmes tels que "les différences de salaire" et les hommes ne sont pas responsables des inégalités, mais c'est "le système" qu'il faut incriminer ! Quel affront fait aux luttes féministes, quel manque de conscience des combats qui restent encore à mener pour atteindre l'égalité dans les faits (exploitation du travail domestique, exploitation de la reproduction, ou réifiante : pornographie, publicités sexistes, etc.)  ! Le réflexe masculiniste habituel de rejet des responsabilités masculines en matière d'oppression entre les sexes : on rejette toute responsabilité dans un système oppressif sans remettre en question les comportements de ceux qui en sont responsables, à savoir ceux qui défendent leurs privilèges, soit les hommes. Alors qu'il faudrait davantage s'ouvrir à l'empathie en prenant conscience de nos privilèges et en changeant de comportement : we can do it too !

Donc Markus Theunert se trompe, il aurait dû plutôt dire :

"La politique d'égalité entre les sexes n'a pas besoin de Markus Theunert", et des autres masuclinistes.


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