La publication des patrimoines, ou la mort du politique

par Louis
mardi 23 avril 2013

En prévoyant de publier les déclarations de patrimoine des élus, le gouvernement obéit à une autre logique que celle de la transparence et de la lutte contre la fraude. Il s'inscrit dans le rapport de suspicion constante des citoyens vis-à-vis du politique qui caractérise nos sociétés modernes, rapport qui est au coeur de la crise de la démocratie.

Dévoiler publiquement son patrimoine deviendra une obligation pour l'ensemble des élus. C'est ce que prévoit la réforme préparée pour "moraliser la vie politique", parmi l'heureux durcissement des sanctions envers les fraudeurs et la création d'une Haute Autorité pour améliorer le repérage de ces derniers. On ne peut évidemment que se réjouir d'une plus grande fermeté envers la fraude, à plus forte raison envers les élus, représentants de la Nation.


Mais le fait de rendre publiques les déclarations de revenus et de patrimoine semble dépasser cette volonté de combattre plus efficacement les fraudes. Car pareille lutte ne peut être menée que par des organismes compétents, et certainement pas par le citoyen lambda alors tenté par le voyeurisme. Mieux déceler les fraudes passe donc davantage par l'augmentation des moyens humains et matériels -augmentation nécessaire- qui sont alloués à ces organismes, comme la Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTFVP) qui est chargée de contrôler les déclarations de plus de 6000 personnalités politiques, que par le libre accès à ces mêmes déclarations.

En prévoyant de les rendre publiques, le gouvernement obéit donc à une autre logique que celle de la transparence et de la lutte contre la fraude. Car enfin, l'hypothétique exigence des citoyens d'avoir accès aux déclarations de revenus et de patrimoine de leurs élus s'inscrit dans un processus de défiance vis-à-vis des politiques qui est observable en France depuis des dizaines d'années, mais également dans d'autres pays d'Europe. Un tel sentiment n'est pas nouveau, mais il se renforce : un sondage mené par le Nouvel Observateur indique ainsi que 70% des Français ne croient pas en l'honnêteté des politiques, soit 4 points de plus qu'en 2011. Et que dire de l'abstention croissante aux élections et du renforcement des votes contestataires ?

Au delà de la manifestation du caractère d'instantanéité toujours plus fort des mesures proposées par les responsables politiques, et qui montre bien que l'action de nos représentants est de plus en plus déconnectée de tout projet d'ensemble, l'idée de rendre visible par tous les déclarations de revenu et de patrimoine de nos élus est le symbole d'une profonde et inquiétante crise du politique. L'action publique se réduit toujours davantage à un rôle de gestion. Gestion économique d'abord, par le souci apparemment prioritaire du maintien ou du rétablissement des grands équilibres qui désomais s'auto-justifient (emploi, comerce extérieur, inflation, croissance). Mais gestion sociale également, incarnée dans l'évitement de tout conflit, dans la peur des réformes trop coûteuses électoralement et dans le caractère d'instantanéité des mesures que l'on nous propose, c'est-à-dire cédant aux exigences de l'instant et non pas inscrites dans une vision de long terme. Ce rôle de gestionnaire, s'il est bien sûr indispensable, ne peut suffire à définir le politique : celui-ci doit être le porteur d'un projet, le dépositaire d'une volonté collective, l'initiateur d'une impulsion dans la société. C'est bien cette crise du politique que traduit ce sentiment de défiance croissant des citoyens vis-à-vis des responsables publics et que révèle l'idée de publier les déclarations de revenu et de patrimoine de ces derniers.

Car enfin, la relation que nous entretenons avec nos élus ne doit pas être caractérisée par une suspicion diffuse, une méfiance sous-jacente, mais par une adhésion ou à l'inverse une opposition aux idées dont ils devraient se faire les porteurs. Si une transparence doit être renforcée, c'est donc bien davantage celle qui porte sur les modalités, les finalités et la cohérence d'ensemble de l'action publique, sur la présence d'un projet propre à remettre au premier plan la dimension noble du mot "politique", celui de la lutte et du débat d'idées.


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