La République 6.0

par Mlle Canarde
vendredi 23 mars 2007

Le régime politique actuel a-t-il besoin d’une sérieuse mise à jour ? Slogan symbolique, simple rééquilibrage des pouvoirs, ou révolution constitutionnelle : tous les candidats en appellent à la VIe République, mais leurs propositions divergent en réalité grandement.

"Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots". Ou les chiffres, pourrait-on donc ajouter aujourd’hui à la citation de Jaurès, grand favori dans cette campagne, parmi les mânes invoquées lors des meetings de tous bords. Car pour ce cru 2007, tous les candidats (hors Nicolas Sarkozy) sont formels : il faut passer à la VIe République. Si l’on était habitué au slogan sur les affiches protestataires (vieille antienne lepéniste par exemple), les grands candidats, qui avaient une chance réelle d’accéder à l’Elysée, parlaient jusqu’ici de "réformes des institutions", de "modifier" le texte de 1958, ou encore de "donner plus de pouvoirs aux citoyens", sans proposer ce changement de numérotation, qui, loin parfois de relever de l’anecdotique, peut recouvrir une profonde réforme des institutions. Rappellons au passage que la France n’a jamais changé de République qu’à l’occasion de chocs violents : la seconde finit par un coup d’Etat en 1851, la IIIe meurt avec le régime de Vichy, la IVe se disloque dans la guerre d’Algérie. La crise de la représentation stigmatisée par le 21 avril 2002 suffit-elle à légitimer un changement de régime ?

Maladie hexagonale

Si les petits partis peuvent faire des propositions radicales (instauration du scrutin proportionnel intégral à un tour aux élections législatives, européennes, régionales, cantonales et municipales, ou encore suppression de la présidence de la République), les grands candidats entendent en réalité peu corriger en profondeur les déséquilibres qu’ils dénoncent. Pourquoi donc lâcher l’expression de VIe République ? Certainement, elle fleure bon le "réel changement", la rupture avec le système, un thème porteur si l’on en croit l’envolée jusqu’ici irrésistible de François Bayrou dans les sondages...

Ainsi, la candidate socialiste, qui parlait jusqu’alors de "République nouvelle", voulant réconcilier le national avec le local, ose aujourd’hui évoquer une VIe République, basée sur quatre piliers : démocratie parlementaire, sociale, participative et territoriale. François Bayrou s’est donc opportunément empressé de renchérir à la télévision en se déclarant également favorable à une "VIe République", agaçant au passage davantage le candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, déplorant que c’est "une maladie française que de vouloir changer la Constitution tous les cinq matins. "C’est d’ailleurs une maladie française de penser que quand on vote une loi, on résout un problème", a par ailleurs ajouté Nicolas Sarkozy. "Nous avons de bonnes institutions, il y a quelques changements à faire, mais ce qu’il faut changer c’est le chômage, le plein-emploi, le pouvoir d’achat, l’immigration qu’il faut maîtriser. Ce ne sont pas les problèmes de VIe, de VIIe ou de VIIIe République."

Coup d’Etat permanent

Les trois grands candidats ont en réalité le même diagnostic, et veulent empêcher à l’avenir la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul, le président, qui passé l’élection, devient juridiquement et politiquement irresponsable. Aussi, les évolutions du régime pourraient certainement être progressives et ne pas conduire à un changement de République. Elles pourraient être le fruit d’un réaménagement du système semi-présidentiel actuel, avec un amenuisement des pouvoirs du Premier ministre, et un renforcement des prérogatives parlementaires. Le président, désormais plus contrôlé politiquement, pourrait s’impliquer davantage dans la gestion des affaires intérieures. Mais l’on peut rester dubitatif quand à penser que le contrôle du Président aille trop loin, ou sur la totale sincérité des candidats. Voudront-ils véritablement réduire leurs pouvoirs, une fois revêtus les habits de la fonction pour laquelle ils se sont tant battus  ? Souvenons-nous juste de la facilité avec laquelle François Mitterrand, virulent contempteur du caractère monarchique de la Ve avec son brillant pamphlet "Le Coup d’Etat permanent", s’était accommodé des ors du régime et de ses prérogatives, une fois élu...

Verdict des urnes

Faut-il penser que la crise de la démocratie, révélée par le séisme de 2002, est réellement si profonde ? Qu’elle ne peut être enrayée à l’avenir par d’autres moyens qu’un changement de Constitution ? A la différence notable de la dernière présidentielle, les Français semblent aujourd’hui se passionner pour cette campagne, comme en attestent les foules des meetings et les audiences télévisées record. Les adhésions des militants aux partis ont crû de manière importante (triplé pour l’UMP, plus que doublé pour le PS), tout comme les inscriptions sur les listes électorales. Le verdict viendra des urnes : chiffres de la participation, recul éventuel des votes protestataires, mais aussi propension des partis à faire vivre la démocratie hors périodes électorales...Car au-delà des textes et des institutions, le futur locataire de l’Elysée devra nécessairement solliciter davantage ceux qui l’ont fait "roi". Car pour en revenir à ce fameux Jaurès cher aux présidentiables, "sans la République, le peuple est impuissant, mais sans les citoyens, la République est vide".


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