La révolution c’est maintenant, la dictature c’est demain ?

par Bernard Dugué
jeudi 14 novembre 2013

Thucydide fut le premier à élaborer une histoire politique. La vie des sociétés est faite d’alternance entre des périodes de paix et de guerre. A l’ère moderne, l’alternance joue aussi, entre des périodes de développement économique et des crises qui, selon les lieux et les périodes, se traduisent par des guerres, ou alors des révolutions.

La démocratie est un mode de gouvernance acceptable et utile en temps de développement économique tandis que les sociétés sont réglées par le droit, les valeurs, les volontés bonnes. Par temps de crise, la démocratie fait douter les uns en étant conspuée par d’autres. Les peuples endormis semblent se réveiller. L’occasion d’élaborer un théorème ou une conjecture.

« En période stable et en démocratie, les citoyens élisent les représentants du peuple. En période de crise politique, les citoyens doivent déterminer qui sont les ennemis du peuple » (B. Dugué, propos sur la politique, non publié, 2013)

Les citoyens se trompent souvent sur la nature des ennemis. Les crises sont prétextes à désigner des prétendus responsables ou des boucs émissaires. Mais les vrais responsables ne sont pas tous désignés. Certains savent se travestir. La France de 2013 est dans la situation d’une crise politique, comme du reste l’Italie, l’Espagne ou les Etats-Unis. Les analystes peu rigoureux rendent François Hollande responsable de la crise politique. Sans voir qu’aux Etats-Unis, une crise politique est également présente avec un gars qu’on juge d’une autre trempe, Barack Obama. La crise politique en France est le fruit de trois décennies de mauvaise politique où les équipes gouvernementales ont laissé filer la dette, les déficits, se pliant aux revendications sectorielles, catégorielles. Une décentralisation raté, des réformes de l’éducation inutiles et délétères, un système de santé qui se tourne vers le profit, des élus locaux qui se comportent comme une mafia, favorisant les copains, annulant les PV, entretenant la spéculation foncière, amplifiant la crise immobilière qui au niveau national est aussi alimentée par les lois d’investissement défiscalisé ce qui favoriser les rentiers tout en asservissant les locataires. Sans oublier les épargnes retraite défiscalisées. François Hollande ne peut que gérer cette situation d’injustice sans disposer d’une marge de manœuvre. Il a des conseillers incompétents et des ministres sans envergure. Voilà la France, fragilisée, en colère, mais que de bêtise, à tous les niveaux. Un mal impossible à conjurer.

Le problème de la fiscalité, ce n’est pas son taux devenu insupportable dans l’absolu, c’est son montant qui est pour une partie de la population devenu insupportable. La lâcheté des gouvernements face aux contribuables plus ou moins aisés a laissé perdurer les niches fiscales qui sont contraires à l’esprit républicain de la fiscalité progressive. Du coup, les gouvernements ont opté pour la multiplication des taxes, ce qui représente une fiscalité injuste et lâche. Injuste car elle touche tout le monde de la même manière. L’écotaxe (destinée au recyclage) pour un écran télé est la même, que l’on achète un standard de 82 centimètres à 200 euros ou un écran géant à 2000 euros. L’écotaxe sur les transports va renchérir la plupart des biens de consommation et ce, de manière non proportionnelle, contrairement à la TVA qui l’est.

Le gouvernement actuel accumule nombre d’erreurs. Ne serait-ce que la réforme Peillon, bien inutile en cette période mais les politiciens sont obsédés par les traces qu’ils veulent laisser. La politique fiscale est presque désastreuse. La politique socialiste de Hollande reste dans l’esprit des précédentes. Qui et comment sacrifier sans faire trop de mécontents ni de dégâts. Le vrai problème, c’est l’esprit français traduit en terme de « mafia républicaine » qui arrange les uns, dérange les autres, soigne les uns, assomme les autres de taxes diverses. Les artisans qui forment le corps et la mémoire professionnelle de ce pays sont malmenés. Pendant ce temps, on observe le profit des petits malins qui s’y retrouvent dans les défiscalisations. La riposte citoyenne ne peut jaillir que dans un printemps du 4 août mais sans doute pas dans les urnes érigées en prétexte de comédie républicaine. Les signes d’une insurrection plurielle se succèdent mais une somme d’insurrections ne fait pas une révolution. Pas plus qu’un remaniement ministériel ne constitue une solution.

La révolution est pour l’instant une idée, une parole, mais elle ne se traduira pas en acte car d’une part, la plupart des citoyens sont couchés et d’autre part, il n’y a pas de modèle alternatif, d’invention politique, comme avant 1789. Qu’on ne nous bassine pas avec ces abrutis de politicards qui veulent sortir de l’euro ou de l’Europe. La solution ne peut venir que du peuple français (allié aux peuples d’Europe), de sa capacité à s’instruire et se soucier se la république, autrement dit, une solution introuvable à l’époque de la jungle, des rats, des malins. La France crève de la bêtise de son peuple et rien n’y fera. La jeunesse est décomposée. Qu’elle accepte d’être esclave de la mafia républicaine et de jouer sa partie dans la règle de la jungle. Jeunesse déshumanisée qui n’arrive pas à se responsabiliser et penser l’avenir mais la jeunesse est le produit de ses éducateurs qui ont failli. Les Lumières sont éteintes. La crise politique va perdurer. La dictature s’amplifier et se pérenniser. A moins que d’imprévisibles sursauts de conscience ne se dessinent.

« Si les gens avaient un minimum d’intelligence et d’estime de soi, ils auraient fait la révolution depuis bien longtemps. Ce peuple soumis mais indocile ne mérite qu’une chose, la dictature. D’ailleurs, les gens sont prêts, ils sont devenus des petits tyrans démocratiques » (propos de bistrot, inventés de toutes pièces, 2013)


Pour résumer un peu la situation, un panorama des colères. Commençons par le sujet qui fâche, les sifflets lors de la commémoration du 11 novembre. Quelques dizaines d’extrémistes selon les autorités. Certes, mais d’autres voix se sont ajoutées et puis si ces gens sont passés à l’acte, c’est qu’il y a un fond social de révolte plus profond. Les socialistes qui se plaisent à contextualiser dans certains cas font l’inverse quand ça les arrange. C’est habituel maintenant. Le pouvoir politique pratique le déni de réalité, en langage philosophé. Il est autiste, en langage de bistrot.

Ensuite, les mécontents, qui le font savoir avec des cris, des colères ou des actes plus destructeurs. Les auto-entrepreneurs, les instituteurs, les parents d’élèves, les maires fondeurs, les Marseillais, les Bretons, les gens du Nord, les cathos, les petits entrepreneurs, les artisans, les commerçants, les contribuables, les chômeurs, les licenciés, les épargnants, les automobilistes flashés par les radars, les policiers fâchés avec leur hiérarchie, les radars cassés par les bonnets rouges, le bonnet d’âne adressé aux dirigeants politiques. Et bientôt les consommateurs. Avez-vous remarqué, il manque quelques figurants dans ce portait des gens en colère pouvant se lancer dans une révolution. Ce sont les étudiants et les lycéens. Une catégorie qui naguère savait se mobiliser et qui est devenue résignée et apathique. Mais à ces mécontentements s’ajoute l’idée d’une classe politique corrompue. Les déclarations de Charles Aznavour sont dans ce contexte une véritable bombe. S’arranger avec le fisc français en offrant une valise de billets à des responsables politiques. De quoi embrasser le pays si les Français entendent bien.

Retour sur le dernier mouvement social de grande ampleur. Les grèves de décembre 1996. Rien de commun avec le fond insurrectionnel de 2013. Le mouvement était parfaitement organisé, avec notamment des centrales syndicales et de plus, il était focalisé contre un dispositif. En 2013, la fronde n’est pas encadrée par des organisations. Elle vient de toutes les composantes du peuple. Elle vise un paquet de mesures gouvernementales parfois sans lien, comme les rythmes scolaires et l’écotaxe. Les corps intermédiaires comme l’Eglise, les partis politiques, les syndicats, les associations, sont débordés par le mouvement de colère.

La possibilité d’une révolution reste néanmoins bien éloignée car si les citoyens ne veulent plus de ce gouvernement, ils ne savent pas pour autant par quoi ou qui le remplacer et pour conduire quelle politique. Il n’y a pas de controverses philosophiques majeures comme pendant les décennies ayant précédé le 18ème siècle. Ou même les années ayant précédé les révoltes étudiantes des sixties. La philosophie actuelle ne conçoit plus, elle gémit, elle rumine ou elle fustige. Les intellectuels médiatiques plaident pour des réformes, afin que tout change pour que rien ne change... pour les privilèges des nantis. La colère généralisée n’a pas de traduction politique. Néanmoins, il existe une configuration sociale capable de mener une révolution. Qui reposera sur une scission de la France car une partie des Français s’en sort correctement et n’a aucun avantage à tirer d’un changement de société. Et peut-être à y perdre. Alors qu’une majorité peut tirer quelque progrès dans sa situation, y compris des avancées morales et éthiques liées à l’avènement d’un monde plus juste.

Encore faudrait-il que ces choses soient prouvées, argumentées, publiées et discutées publiquement. Un modèle alternatif de société suppose une adhésion massive à quelques fondamentaux concernant les priorités existentielles comme la santé, la consommation, la culture, la justice, l’art de vivre sans excès et avec une certaine intelligence. Apparemment, nous sommes loin du compte. Alors on peut anticiper une crise sociale et politique qui perdurera pendant une ou deux décennies et qui sera contenue par l’Etat policier.

Honnêtement, la cause du marasme actuel est diffuse et partagée entre les différentes composantes de la société. Si une révolution doit avoir lieu, elle doit commencer par une révolution intérieure et un changement du regard. Les solutions pour un autre monde existent. Elles ne peuvent pas être discutée parce que les gens sont bornés et verrouillés par les faiseurs d’opinion. Ce qui n’empêche pas pour l’instant les gouvernants de gérer plus intelligemment la société, notamment avec une fiscalité plus juste.

 


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