La séparation des pouvoirs et l’empiètement

par Orélien Péréol
mardi 18 septembre 2018

La séparation des pouvoirs n'est pas la possibilité donnée à un pouvoir d'échapper aux deux autres. La séparation des pouvoirs n'est pas l'isolement, ce n’est pas le secret par rapport aux autres, qui reviendrait au secret envers toutes et tous. Ce n’est pas l’insularité. C'est même exactement le contraire, c'est le contrôle d'un pouvoir par les deux autres, de telle sorte qu'aucun pouvoir ne puisse s'augmenter sans fin, jusqu'à devenir tyrannique.

Montesquieu le philosophe des Lumières, créateur de cette idée de la division du pouvoir en trois dimensions et de la séparation de ces pouvoirs, nous dit : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » De l’esprit des lois (1748).

Nous sommes en ce moment à l’envers, à l’exact envers de cette valeur. L’exécutif menace le législatif et tente de lui commander sa conduite, c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire, c’est exactement contre ça que se sont bâties les démocraties.

Nul ne saurait être juge et partie. Quiconque est juge et partie a tendance à se donner raison (c’est l’appartenance qui a le plus de force pour fonder un « jugement »). Si ce quiconque est habile, il gardera une ou deux décisions où il se donne tort à lui-même afin de prétendre faire la preuve qu’il sait bien être objectif. C’est une stratégie possible, que Roland Barthes appelait la vaccine. La justice fonctionne beaucoup en cet isolat, la fameuse indépendance de la justice, tandis que les deux autres pouvoirs sont soumis aux élections. Il semble que l’on ne sache guère comment faire autrement. Cette indépendance de la justice est proclamée comme une nécessité impérieuse et même indiscutable, tandis que l’on peut voir que les élus, les membres de l’exécutif et du législatif, sont rarement mis en état de dépendance par la justice. Nombre d’entre eux échappent au vu et au su de tous à des condamnations qui semblent aller de soi et qui ne vont pas de soi, qui ne vont pas du tout, qui s’arrêtent en chemin.

Il y aurait un quatrième pouvoir, mal théorisé, évoqué quelquefois, conçu ou défini de manière plutôt métaphorique par rapport aux trois autres : la presse, l’information. Les élections qui contrôlent les élus du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif sont dépendantes de l’information. On voit un peu partout dans le monde des démocraties illibérales, dans lesquelles la presse est contrôlée par la coercition, par la force (souvent policière ou, inclusif, juridique mais, un juridique dépendant). Ce sont des démocraties parce qu’on y vote encore, mais l’opposition n’y est pas admise, elle est pourchassée, interdite. Ce sont des démocraties formelles dans lesquelles les décisions politiques ne sortent absolument pas, même mal avec beaucoup de distorsions comme chez nous, du peuple.

En France, que l’exécutif menace au nom de la séparation du pouvoir est du plus savoureux intellectuellement, et du plus dangereux politiquement. Ne laissons pas faire. L’empiètement, c’est Macron, c’est l’exécutif.

D’autre part, dans un autre ordre d’idée, qui veut la vérité veut la parole des participants. Qui veut la vérité prend le regard le plus large possible, prend le croisement du plus grand nombre d’avis, de discours possibles. Qui veut la vérité cherche le regard qui englobe le plus d’éléments de la situation, c’est ça comprendre, prendre avec soi, plus on est près de la totalité des informations disponibles, mieux on comprend. A contrario qui cherche à dissimuler la vérité s’inquiète et s’offusque de toute présence qu’il ne contrôle pas et qui pourrait apporter au dossier des éléments qu’il ne souhaite pas voir apparaître, qui ferait comprendre les choses d’une façon désagréable, contraire à son intérêt (son intérêt n’est pas l’apparition de la vérité).

Le sénat enquête, il fait partie de la représentation nationale. Il ne peut ordonner ni sanction, ni réparation. Prétendre qu’en enquêtant, il se prendrait pour un autre pouvoir que celui qu’il a (la justice) relève de l’astuce dilatoire.

Prenons garde de ne pas être, nous aussi, dans ce chemin où la démocratie reste formellement présente, tandis que son fonctionnement est altéré en son essence. Dans ces prétendus rappels à l’ordre, rappel à la loi, aux grands principes de l’exécutif envers le pouvoir législatif, les arguments avancés sont à l’envers de ce qu’ils sont vraiment et l’exécutif fait reproche au législatif de ce qu’il fait lui-même et que ne fait pas le législatif.


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