La Suisse, communauté de l’être et société de l’avoir

par jack mandon
samedi 23 juillet 2016

1 Le lac des quatre cantons, « renaissance » d’une « communauté de l’être. »

 

La naissance d’un peuple ne se perçoit pas dans les livres et n’émerge pas des décrets authentiques ou faux. Voici au moins un plan de vie qui n’appartient pas à la finance, au fétichisme de la marchandise, pas plus qu’aux historiens de bibliothèque à mille mille du vrai dialogue avec la nature terrestre et humaine sacralisées.

Animés d’une soif de vie, sans doute un besoin de survie, en quête d’un nouveau monde chargé de celui de leurs ancêtres, des hommes venus du Nord, germains et scandinaves, entrèrent dans l’histoire de la sédentarité helvétique.

 

Devant eux un décors édénique, imposant et spectaculaire, le massif du Saint-Gothard, « château d'eau de l'Europe » Aujourd’hui comme hier atemporel pour l’entendement humain. Des patronymes furent donnés au fil du temps par le vécu de ces hommes en recherche et en osmose sacrale avec Gaïa. Ce Titan Gothard libère toujours de ses entrailles, les glaciers des alpes valaisannes, uranaises, tessinoises et grisonnes. De cette ligne de partage des eaux renaît la communauté organique, en même temps que se répandent en abondance au Nord le Rhin, au Sud le Rhône. Le passage du col deviendra alors celui des échanges à travers l’histoire, entre les civilisations celtes et germaniques, libres et communautaires, la mer du Nord et adriatique et la méditerranée hantée par le rayonnement créateur des civilisations gréco-romaines.

A l’instar du Nil pour l’Égypte ancienne, le Saint-Gothard connaîtra une sanctification « perpétuelle. » à l’image du pacte signé plus tard entre François 1er et les suisses de « Marignan 1515 », après la défaite relative de ces derniers. « Neutralité perpétuelle » formule hautement magique qui participera à la maturation progressive intériorisée de la Suisse ( David biblique ) à travers son histoire, et celle du Goliath européen aux empires protéiformes, disloqué, anéanti par ses guerres, ses révolutions, ses lumières falotes, ses tyrans religieux, royaux, républicains, et maintenant engagé dans un mensonge politique. Pour achever ce bilan contrasté, la « chose bricolée » vassalisée par un empire américain belliqueux, interventionniste et pourtant moribond. Le « grand machin », l’Europe, unique ennemi de l’oncle Sam qui s’emploie avec cynisme à lui régler son compte par la stratégie du chaos. Trivialité humaine que tout cela, quand on s’imprègne des évocations naturelles fondatrices de communautés organiques sans aliénation, le mouvement authentique du monde. L’humanité vraie.

 

2 Un village néolithique sur palafittes reconstitué sur le lac de Constance près de Unteruhldingen en Allemagne.

 

Revenons à la Suisse primitive en métamorphose dans ce chaos mondialisé ? De sa naissance à nos jours, son histoire chantée, jouée, contestée et revisitée à tort ou à raison par des historiens et des créateurs de tous les horizons, de l’époque romantique à nos jours. Cet îlot central prenait forme à proximité du massif du Saint-Gothard en un lieu paradisiaque mais rude, le lac des quatre cantons, au Nord du géant Gothard. Des helvètes, celtes, ostrogoths, conquérants, lacustres puis paysans, éleveurs, artisans, forestiers, les Waldstättens. Des hommes s’enracinèrent avec détermination. Au terme du XIIIe siècle, dans un savant mélange de mythes, de légendes et d’histoire véritables, (Guillaume Tell, Winkelried,) ils prirent vie avec la liberté, la sacralité et la ferveur néolithiques mais dans un contexte romanisé et christianisé c’est à dire asservi, la société de l’avoir. L’être et l’avoir en recherche d’harmonie. Une lutte des classes entre communaux de la paysannerie, n’en déplaise aux historiens qui répugnent à évoquer ces révoltes sporadiques et tenaces. Les jacqueries qui pourtant eurent lieu dans toute l’Europe sous des formes diverses entre 1300 et 1800. En France de 1793 à 1800 plus de 200.000 vendéens et républicains se massacrèrent. Grande infamie que la révolution bourgeoise et capitaliste de 1789.

 Pour la Suisse primitive naissante, les Waldstättens, Hommes des vieilles communautés de l’être contre l’état féodal et pontifical du saint empire romain germanique, en l’occurrence le duché autrichien de Brandbourg. Ce géant boulimique étendait alors sa puissance et englobait le David frondeur épris de liberté. Il se composait alors de trois cantons : Schwyz, Uri et Unterwald. L’âme de la Suisse naquit à ce moment là, l’histoire du pays l’atteste avec la chronologie et la précision horlogère. Métaphoriquement, le balancier du temps oscille entre l’être et l’avoir, sans jamais s’interrompre. Au fil du temps et des tourmentes, s’enroulèrent hélicoïdalement, autour du trio de guerriers forestiers, à la manière d’un gastéropode géographique, des cantons bouillonnant d’histoire, divers et différents. Des affrontements politiques et religieux, interactivement à l’Europe mutante involutive furent inéluctables. La différence, fut de taille, la Suisse s’édifia presque exclusivement sur un territoire médiéval circonscrit . Comme un homme en analyse qui accepte de se remettre en question au lieu de projeter et de condamner l’autre. A la folie coutumière humaine se lova patiemment une sagesse patiente. La géographie du pays facilita ce choix politique raisonnable. La Suisse, île compacte et montagneuse, comme engloutie par le géant brouillon et belliqueux européen. Néanmoins, on ne peut gommer que depuis Marignan, selon les exigences premières de François 1er, la Suisse protéique médita en profondeur avec bon sens, le traité de « neutralité perpétuelle » mais fit essaimer ses mercenaires à travers l’Europe, ce qui fut une source d’enrichissement pour le pays mais un basculement radical dans l’ère de l’économie et de la politique modernes qui procèdent du pouvoir de l’avoir, le grand capital. L’expression de la mondialisation avant l’heure. Elle se purgeât partiellement des travers bellicistes des éternels guerriers de vocation, ce qui laissa un peu de répit au peuple pacifique, femmes enfants et anciens qui aiment et aspirent tellement à la vie sacrale la plus authentique, naturellement ou culturellement. La sagesse de cette société naissante fut d’écouter les pacifistes et répondre aux deux pulsions qui nous habitent et nous taraudent tous, l’être et l’avoir. Naquirent progressivement et dans la douleur, communes, cantons et confédération indépendants aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire séparés. Cet espace politique de bon sens devint fédéral et centralisé. Est-ce en partie par un mode de développement communautaire ancestral, que la condition sociale des cantons primitifs de la Suisse, assurent depuis les temps les plus reculés aux populations qui en jouissent, la liberté, l’égalité, l’ordre, et une forme de bien être paisible. C’est vrai que l’on a conservé ici les anciennes institutions communales, y compris la propriété communale primitive. En France, la révolution de 1789 a commis la faute, de vouloir fonder la démocratie en brisant les institutions qui seules la rendent viables. L’interprétation et la mise en pratique d’idées révolutionnaires. Elle a posé l’homme abstrait, l’individu isolé, et lui a reconnu théoriquement tous les droits naturels, mais en même temps elle a anéanti tout ce qui le rattachait aux générations précédentes et à ses concitoyens actuels : la province avec ses libertés traditionnelles, la commune avec ses propriétés indivises, les métiers et les corporations qui reliaient par un lien fraternel les ouvriers du même métier.

Cette forme de démocratie radicale existe depuis mille ans dans la Suisse primitive. Elle nous renvoie aux cantons fondateurs du pacte contesté du Grutli 1291. Dans tous les cas de figure, c’est une réalité spirituelle, n’en déplaise aux historiens matérialistes qui semblent ignorer la puissance de l’inconscient collectif des peuples et surtout l’irrationalité qui habite la nature humaine. Dans les cantons d’Uri, de Schwytz, de Glaris, dans les deux Appenzells, et Unterwalden, le peuple se gouverne lui-même, directement, sans l’intermédiaire d’aucun corps représentatif. Au printemps, les citoyens majeurs se réunissent en une assemblée unique, en plein air, pour voter les lois et nommer les fonctionnaires chargés d’en assurer l’exécution. Il s’agit là de coutumes germaniques médiévales. Ces assemblées se nomment landesgemeinde, c’est-à-dire « commune du pays, » « commune nationale, » tout le pays devient une seule commune.

La société suisse bénéficie d’un régime fédéral centralisé. Entre communes, cantons et fédération, les trois pouvoirs séparés. Chaque état où canton se distingue par ses conceptions de la démocratie, ses politiques égalitaires et son degré élevé de confiance. Les individus sont solidaires, mais ils tiennent aussi les institutions de l’État en haute estime. La police, la justice, l’armée et même le fisc bénéficient d’une solide légitimité. Conséquence logique aux droits de codécision dont ils usent fréquemment. Au droit de vote et d’éligibilité les citoyens suisses participent à l’activité de l’état dont ils jouissent à tous les niveaux. Ils peuvent notamment déposer une initiative, demander un référendum ou lancer une pétition quand ils se sentent en désaccord avec leur gouvernement. Depuis un demi-siècle passé à leur côté, je retrouve chez eux toujours le même goût pour arborer le drapeau rouge à croix blanche en permanence à proximité de leur lieu de vie et la même fierté discrète à affirmer leur citoyenneté helvétique.

Au crépuscule du divin néolithique, les communautés de l’être organiques, contre l’argent et contre l’état, soumises graduellement aux sociétés de l’avoir instaurées par les grecs puis les romains légalistes, mais aussi les juifs et les chrétiens romains rodés au décalogue. Le divin demeure de toute éternité, dans un paysage grandiose, le lac des quatre cantons, rappel du fjord ancestral, lieu de vie, de jouir et de pêche. Entouré des forêts épaisses et denses pour l’habitat confortable, giboyeuses et nourrissantes. Le Gothard majestueux dans sa divinité. Mais c’est du Saint-Gothard, déjà sanctifié donc asservi que s’engouffra la tornade mutante de la « société de l’avoir » par cette voie ouverte aux trocs, aux commerces, aux affaires, aux objets devenus précieux, à l’argent, au conflit, à la guerre sans raisons véritables. La culture du fétichisme de la marchandise et le mensonge se répandirent.

Le défi fut immense, mais le système fédéral centralisé, modernisé depuis 1848, sut adapter efficacement, avec souplesse, une organisation politique à la mesure de la mentalité des citoyens helvétiques. Le peuple suisse est pragmatique, responsable, raisonnable, vigilent et respectable parce que respecté. Peut-être que son énergie lui vient de l'aube de l'humanité, au temps ou ses ancêtres vivaient dans la concorde, c'est à dire dans l'unité sacrale du cosmique originel. Et cela, paradoxalement dans une simplicité et un naturel déconcertants.

 

C.G.Jung. Réflexions sur l’inconscient collectif, mythes, légendes et archétypes, pourraient éclairer un historien sur le caractère irrationnel et difficilement contrôlable de l’histoire, malgré la stratégie diabolique de la société de l’avoir.

L. Szondi, « Diagnostic expérimental des pulsions » l’hérédité, les ancêtres, le creuset de l’humanité. Complémentaire à Jung.

Francis Cousin, éminent maïeuticien, dans son ouvrage « l’être contre l’avoir », il éclaire le travail de Karl Marx sous l’angle originel, débarrassé des monstruosités léninistes et staliniennes aussi grotesques que mortifères.

Morin Edgar « Le paradigme perdu » La nature humaine, ed. du seuil 1973.

Origines de la confédération suisse, Charles Gilliard, université de Lausanne.

Charles Gilliard, Université de Lausanne, « Origines de la confédération suisse.

Roger Sablonier, Historien médiéviste dans une exigence rationnelle, un peu limitante mais utilement critique et déconstructrice.

 


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