Laïcité à l’école : bienveillance et fermeté. Contribution au ’socle commun’ pour les enseignants
par Laurent Simon
jeudi 28 mai 2015
Il faut dire que normalien, philosophe ET très pédagogue, Abdennour Bidar a fait un exposé brillant, clair, précis et très concret, émaillé de nombreux exemples, suivi de réponses de haute volée aux questions des parlementaires présents. Intervention qui tranche par rapport à certains discours de personnes qui se disent ou aimeraient être philosophes, et qui sont bien souvent très simplistes.
Co-auteur de la « charte de la laïcité à l'école », il a rassemblé 1000 enseignants [5] pour préciser le bagage pédagogique nécessaire aux 300 000 personnes de l'Education Nationale dans ce domaine [6].
Au sujet de l'attitude à avoir par rapport aux comportements des élèves, Abdennour Bidar a insisté sur une nécessaire bienveillance, qui doit cependant se prolonger par de la fermeté quand plusieurs indices concordants sont repérés, par exemple :
- comportement vestimentaire
- attitude différente et renouvelée par rapport à certains enseignements : absence répétée à certains cours, à des séances de sport
- tendance à rester entre jeunes de confession identique.
Bienveillance jusqu'où ? Fermeté à partir de quand ?
Nous ne pouvons que souscrire à cette double injonction, précisée par ces indications pratiques indispensables. Mais nous souhaitons simplement attirer l'attention sur l'impérative obligation de réagir au plus tôt.
Car sinon, ayant accepté de donner l'extrémité du petit doigt, c'est tout le bras qui y passe bientôt, et même tout le corps... jusqu'au moment où l'on n'en peut plus, et on éclate, pour une simple goutte d'eau ! Ce qui est alors incompréhensible pour celui qui n'a pas respecté les règles, ni pour les autres, puisqu'auparavant des comportements bien pires ont été tolérés.
Et pendant ce temps, la tolérance de ces comportements aberrants a pénalisé ceux qui avaient des attitudes normales, et encouragé ceux qui avaient des comportements non coopératifs.
L'auteur du livre recommande donc, à juste titre, de réagir immédiatement, et de façon proportionnée, dès qu'un écart est constaté.
Il nous semble donc très important de préciser et compléter concrètement cette "bienveillance et fermeté" : la bienveillance doit s'arrêter dès qu'une concordance est repérée entre plusieurs comportements ne respectant pas les règles communes, laissant place à des réponses fermes et proportionnées.
Citations importantes de Abdennour Bidar
Sur la pertinence et l'importance de "la fraternité", et sur la nécessité "d'un projet, d'un élan, d'un sentiment d'appartenance collective", lire l'excellente interview dans Le Figaro, 21 février 2015 : "Abdennour Bidar : « la pauvreté spirituelle d'un certain islam confine à l'indigence »" de l'auteur récent de "Plaidoyer pour la fraternité".
Quelques extraits :
- "Au lieu d'enseigner qu'être un bon musulman, c'est porter tel type ou tel type de vêtement, nous devrions mettre l'accent sur la culture des vertus de l'islam, sur la culture éthique de cette religion."
- Si l'école fait une morale qui ne parle pas de fraternité alors que les religions parlent essentiellement de celle-ci, le risque est de voir se répandre dans l'opinion l'idée de deux morales concurrentes : celle de l'école et celle des familles."
- "La grande mode aujourd'hui est d'être victime ! Cela engendre deux logiques qui nous enferment. Celle du bouc-émissaire, du coupable désigné dont l'identité française serait victime : « tous les problèmes de la France sont liés à l'immigration et à l'islam ». Et « en face » celle du dénigrement : « la France est méchante et elle ne veut pas des musulmans. Elle les rejette, les discrimine et les stigmatise. Elle se conduit aujourd'hui avec les musulmans comme avec les indigènes de ses colonies. » C'est délirant ! Je ne me suis jamais senti discriminé. Grâce à mon éducation familiale et à mes professeurs qui m'ont donné le sens de l'effort et du mérite, j'ai pu me hisser de mon humble collège en zone difficile jusqu'à l'agrégation et au doctorat de philosophie. Me suis-je plus battu qu'un autre ? Non. Je me suis acharné au travail comme tant d'autres élèves et étudiants de toutes les origines, et j'ai lutté avec les armes que la France m'a données, à commencer par celles de l'École laïque et républicaine."
- "Finissons-en avec le dénigrement de notre pays. Il faut dire aussi que les musulmans de France jouissent ici d'une égalité de droits et de chances réelle. Il y a en France des milliers d'enfants de l'immigration, récente ou ancienne, qui sont diplômés, professeurs, avocats, patrons de PME, artisans, médecins, artistes, qui ont réussi leur vie professionnelle grâce à leur propre choix de l'effort et du travail, au lieu de la pleurnicherie victimaire ! Les musulmans doivent se représenter la France comme une chance pour l'islam. Elle leur permet notamment de pratiquer leur foi librement grâce à la laïcité. Celle-ci n'est pas liberticide. Elle garantit au contraire les mêmes droits à toutes les convictions et toutes les croyances. On ne peut certainement pas dire que le sort des minorités soit aussi enviable dans les pays musulmans."
- Vous affirmez également que la question de l'intégration ne concerne pas seulement les musulmans. Qu'entendez-vous par-là ? "Nous avons tous besoin d'intégration, car nous sommes tous victimes de désintégration. L'intégration ne concerne pas seulement les immigrés. Que reste-t-il de commun entre un jeune enraciné dans un terroir et gamin de Montfermeil ? De même les urbains des grandes métropoles vivent-ils dans le même monde que les petits blancs prolétarisés de la diagonale du vide ? La France est en situation de poly-fractures sociales et culturelles. Dans ce contexte, nous avons besoin d'un projet, d'un élan, d'un sentiment d'appartenance collective. Nos valeurs -dignité de l'être humain, liberté, égalité, fraternité, solidarité, laïcité, mixité- ont besoin d'être réapprises par notre société tout entière et pas seulement par quelques musulmans radicaux ! Nous ne serions d'ailleurs pas si déstabilisés par l'islam radical ou traditionaliste si nous étions plus sûrs de ces valeurs, si elles avaient été assez bien enseignées dans nos écoles et par les familles -non musulmanes et musulmanes !"
Sur "la crise de spiritualité de l'Occident" :
- "C'est mon cœur de réflexion. La crise de l'Occident et de l'islam fonctionnent en miroir dont le point de convergence est la crise de la spiritualité. D'un côté, on a un sacré fossilisé qui n'arrive plus à se régénérer et qui étouffe. C'est la tragédie de l'islam qui fonctionne par stéréotype : le voile, le hallal, l'islam réduit à des codes. Cette pauvreté spirituelle confine à l'indigence. C'est ce qu'Olivier Roy appelle « la sainte ignorance » : une religiosité binaire standard et stéréotypée. En face, l'Occident matérialiste n'a toujours pas réussi à intégrer ses racines religieuses dans la modernité. Quid de la morale évangélique, de l'aspiration à la transcendance. Il y a deux mondes qui développent une hostilité d'autant plus importante qu'ils se renvoient l'image mutuelle d'une déshérence et d'une dégénérescence du rapport au sacré. J'insiste sur l'idée qu'il est temps que les deux milieux réfléchissent ensemble à redonner à l'existence humaine une renaissance spirituelle qui se nourrisse de tous les héritages au lieu de les ignorer où de les reproduire mécaniquement."