Langues : Le hezhe survivra-t-il ?
par Jean Véronis
jeudi 16 juin 2005
Les linguistes estiment à environ 6000 ou 7000 le nombre de langues parlées à travers le monde (voir base Ethnologue ;
ce chiffre varie selon les sources car il dépend en particulier de la
façon de comptabiliser les multiples variantes, dialectes, etc.).
Malheureusement, quelle que soit la façon de compter, ce chiffre
diminue d’année en année, dans un processus de désertification linguistique qui semble inéluctable :
- 50% des langues sont en danger de disparition ;
- une langue disparaît en moyenne toutes les deux semaines ;
- si rien n’est fait, 90% des langues vont probablement disparaître au cours de ce siècle.
L’Unesco a lancé un programme sur les langues en danger, mais dont les moyens sont bien faibles : il s’agit surtout de faire un inventaire, et d’enregistrer les témoignages des derniers locuteurs pour les langues qui disparaissent. Le sujet ne semble pas passionner les foules... J’avais commencé un article sur ce thème dans Wikipedia (« langues en danger »), mais je vois qu’il n’a quasiment pas évolué depuis des mois.
Le hezhe est une de ces langues en danger. C’est la langue des Hezhe, l’une des petites minorités ethniques de Chine, qui vit dans le Heilongjiang au Nord-Est de la Chine.
La communauté Hezhe
a beaucoup souffert de la pauvreté et de l’oppression et est tombée à environ 300 membres en 1949. Les conditions de vie se sont améliorées depuis, et comporte environ 4 à 5000 personnes qui vivent essentiellement de la pêche, avec une ouverture récente sur l’agriculture et le tourisme (grâce à la "sollicitude du gouvernement chinois" ; voir Quotidien du peuple).
Leur langue, le hezhe (on écrit aussi hejen ou hedjen), est un dialecte Nanai, une langue de la famille altaïque, de la branche toungouse (les autres branches sont le turc et le mongol). Les autres langues toungouzes sont assez peu connues, à part peut-être le mandchou, qui a également presque disparu après avoir été pendant plusieurs siècles la langue officielle de la dynastie régnante.
Le livre rouge de l’Unesco sur les langues en danger liste le hezhe comme langue presque éteinte. Tous les indicateurs sont en effet mauvais : total de locuteurs tombé en dessous de 50, pas de locuteurs parmi les enfants, seuls les gens âgés de plus de 50 ans comprennent la langue, etc. L’usage du chinois mandarin s’est généralisé à l’intérieur de la communauté. Le hezhe n’a pas d’écriture, et la culture traditionnelle des Hezhe, comme c’est le plus souvent le cas, est en train de se perdre avec la disparition de leur langue — en particulier le Yimakan, un ensemble de chants qui reflètent les mythes, les légendes, la philosophie et les traditions ce ce peuple.
La bonne nouvelle vient du China Daily du 6 juin. Des enseignants d’une école de Tongjiang ont développé un système d’écriture du hezhe à partir du chinois et réalisé un livre de classe pour cette langue. L’opération paraît être un succès, puisque quelque 150 élèves apprennent désormais la langue hezhe.
Cela suffira-t-il à sauver cette langue ? L’avenir le dira, mais c’est déjà une bien belle histoire pour commencer la journée.
Jean Véronis