Langues régionales : une distraction malvenue et pas anodine
par Laurent Herblay
samedi 10 avril 2021
Papier publié sur le site du FigaroVox
C’est un serpent de mer, qui avait déjà bien occupé le mandat de Hollande, qui ressurgit avec la proposition de loi de Paul Molac visant à promouvoir l’enseignement des langues régionales à l’école. Une initiative à contre-temps complet d’une époque où le niveau des élèves en français est de plus en plus inquiétant, et alors que notre gouvernement ne défend même pas la place du français.
Mais c’est le français qu’il faut défendre !
Bien sûr, les langues régionales, et les identités régionales, font partie du patrimoine et de la richesse de la France. Et la globalisation, qui pousse à l’étude des langues d’autres pays plutôt qu’à celle du basque, de l’alsacien ou du breton, a tendance à les affaiblir. La proposition de loi de Paul Molac a plusieurs objectifs : permettre l’enseignement des langues régionales à tous ceux qui le souhaitent, en imposant le financement par les communes de l’enseignement bilingue, permettre une forme d’enseignement immersif en modifiant le code de l’éducation, et améliorer leur visibilité, via les panneaux de signalisation et l’inclusion des signes diacritiques dans l’état civil, comme le tilde sur le n de certains prénoms bretons. Nous sommes dans la droite ligne de la charte des langues régionales européennes.
Mais la France, c’est aussi, partout dans le pays, le clair primat du français, vecteur critique de notre unité et de notre identité, sur toutes les langues régionales. Cette proposition pose donc deux problèmes majeurs. D’abord, il est assez effarant de vouloir accorder plus de place aux langues régionales, après avoir accepté un tel recul du français. La loi Toubon s’est révélée une ligne Maginot face à l’invasion du globish dans les publicités, où Evian propose de vivre jeune en anglais… Même notre carte d’identité est récemment devenue franco-anglaise, à la suite d’une demande (acceptée) de l’UE. Faudra-t-il qu’elle devienne demain trilingue pour satisfaire tous les besoins de notre époque ? En outre, la France semble indifférente à l’évolution linguistique de l’UE, où l’anglais, malgré le Brexit, s’impose tous les jours davantage comme la lingua franca du continent, que le français devrait lui contester.
Et en matière d’éducation, s’il est légitime de laisser ceux qui le souhaitent apprendre leur langue régionale, vouloir le promouvoir davantage pose doublement problème, comme le pointait Jean-Pierre Chevènement quand il avait quitté le gouvernement Jospin sur la question de la Corse. Car si le projet précise que cet enseignement doit se faire « sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française », cela est aujourd’hui illusoire. Le niveau des élèves en français ne cesse de baisser comme le montre cette dictée témoin, où le nombre de fautes d’élèves de CM2 est passé de 10,4 à 17,8 en 30 ans. Or il est bien évident, que ce n’est pas en leur apprenant en plus parallèlement une langue régionale que cela améliorera l’apprentissage du français. Et ce, d’autant plus que, sous Hollande, l’apprentissage de l’anglais a été poussé. Aujourd’hui, il est urgent de remettre des moyens et du temps supplémentaire sur l’apprentissage de notre langue à tous, ciment de notre nation bien trop oublié.
Plus globalement, cet agenda, promu depuis plus de vingt ans par l’Union Européenne, est tout sauf neutre. Derrière la prise en tenaille du français, entre l’anglais, les langues d’origine pour certains, et les langues régionales, difficile de ne pas y voir un agenda profondément antinational. Alors que la nation est affaiblie depuis quarante ans par l’agenda supranational, régionaliste et identitaire, il faut s’opposer à un tel projet, même s’il peut sembler sympathique et portant peu à conséquence. C’est l’addition d’une multitude de mesures, qui peuvent paraître relativement anodines isolément, qui abîme le ciment qui fait notre nation. Et parce que le français a une place majeure dans ce ciment, comme l’avait bien compris les promoteurs de notre nation, il faut le protéger de toute initiative qui pourrait l’affaiblir plus encore, même si cela est fait au nom de traditions à défendre, comme cela est le cas ici.
Avec un français toujours moins bien maitrisé par les jeunes générations, concurrencé par l’anglais, promouvoir les langues régionales est une très mauvaise idée, à rejeter. La seule priorité que nous devrions avoir, c’est davantage défendre la place de notre langue commune dans l’espace public, mais aussi en faire la priorité numéro un de l’éducation nationale, à mille lieues devant toutes les autres langues, dont l’apprentissage ne doit venir qu’après avoir acquis une bonne maitrise du français.