Le bal des faux-semblants électoraux

par Laurent Herblay
mercredi 26 juin 2024

Bien sûr, il y a souvent des faux semblants et des postures électoralistes dans les campagnes électorales. Mais, là, avec une campagne bien trop courte, nous atteignons sans doute un niveau particulièrement élevé de déclarations qui n’engagent que ceux qui les écoutent. Plutôt que des débats de fond sur de vrais orientations politiques, les caricatures, les postures et les contradictions fleurissent...

 

Mais pour qui et quoi votons-nous ?

Bien sûr, la macronie n’est pas avare en faux-semblants. C’est le président qui a choisi un temps de campagne tellement court qu’il lui permet d’échapper à un vrai questionnement démocratique. Entre les débats sur la dissolution, les tractations sur les alliances, et les polémiques plus ou moins stériles, son bilan n’est qu’effleuré et les projets à peine survolés. C’est tout le processus démocratique qui est à nouveau entravé, à la suite de la campagne de 2022, également entravée par l’exploitation du contexte international par cet exécutif rétif aux vrais débats. Dans les faux semblants de la majorité, il y a aussi ses promesses, qui n’engagent que ceux qui les écoutent… Certes, la baisse du prix de l’électricité devrait venir, mais ici Macron promet quelque chose qu’il laisse faire, et non pas un choix (de baisse de TVA, ou de sortie du mécanisme fou de fixation des prix). L’indexation des retraites est aussi le principe, et il est assez piquant que la macronie fasse cette promesse alors que certains envisageaient une désindexation… Mais comme la piètre fortune du président ne tient qu’aux personnes âgées, pour elles, l’austérité peut attendre les élections.

Et dans le cirque de cette campagne, une ancienne députée macroniste prend les couleurs LR-RN et Aurélien Rousseau, au gouvernement il y a encore quelques mois, celles du Nouveau Front Populaire ! Il faut dire que l’alliance des gauches n’est pas en avare en faux semblants, le dernier en date étant la pseudo expérience supérieure de Mathilde Panot par rapport à Blum en 1936. Pour qui prend du recul, difficile de ne pas y voir un syndicat d’intérêts contradictoires uniquement réunis pour maximiser leurs chances de gagner un siège. Rassembler de Poutou à un ancien membre du gouvernement de Macron, c’est un grand écart assez extravagant. De même, la présence de Hollande est une sinistre farce tant son mandat avait dépassé par la droite celui de Sarkozy sur les questions économiques, et largement lancé l’expérience Macron. Le Nouveau Front Populaire n’est-il pas une immense mascarade tant il est difficile de croire que son aile prétendument socialiste défendrait longtemps le programme accouché pour cette élection ? Comment ne pas imaginer que face à un choix entre l’UE et le programme commun, les Verts et le PS choisiraient l’UE, quitte à mettre en place une austérité monstrueuse socialement, comme ils l’ont déjà fait ?

En effet, plus globalement, se pose la question de la compatibilité du programme du NFP avec l’UE. Bien des mesures du Nouveau Front Populaire sont peu compatibles avec le cadre de cette construction européenne. Et en l’absence de toute volonté de rupture (à l’exception possible de François Ruffin), le NFP ferait comme Syriza en Grèce il y a 9 ans, et Mélenchon deviendrait le Tsipras français. Au moins, un faux-semblant a été levé par l’alliance de gauche : celui qui serait Premier ministre en cas de victoire. Jean-Luc Mélenchon n’a pas tardé à faire acte de candidature, en pointant que le parti le plus important était légitime. Et étant donné le contrôle qu’il a sur LFI, comment douter une seconde que ce serait lui le candidat à Matignon si le Nouveau Front Populaire l’emportait ? Pas sûr que cela fasse gagner des voix à la gauche sachant que 81% des Français sont opposés à sa nomination comme Premier ministre.

En matière de faux-semblants, LR n’est pas mal non plus, avec son président qui oublie de consulter les instances de son parti avant d’annoncer une alliance avec le RN. Puis les pieds-nickelés qui s’opposent à lui n’ont même pas été capables de suivre correctement les procédures pour le démettre, et ont vu sa destitution infirmée par la justice. Plus globalement, c’est toute la mascarade de l’UMP, devenu LR, qui tombe, avec des dirigeants qui défendent encore une indépendance qui ne mène plus à grand-chose, alors que bien des cadres du parti lorgnent vers la minorité présidentielle, quand bien des militants se sentent de moins en moins éloignés d’un RN normalisé. Que pourra-t-il rester de ce parti où même les tenants d’une ligne indépendante sont divisés entre Wauquiez, Bertrand et Lisnard, qui se croit un destin ? Il est possible que les « LR » tendance Ciotti (dont à peine deux députés sortant, un nouveau faux-semblant assez ridicule) soient plus nombreux que les LR indépendantistes dans la prochaine Assemblée, et que cela occasionne une nouvelle foire d’empoigne qui ne rendra pas notre vie politique plus lisible.

Le RN n’est pas non plus à un faux-semblant près. Mais le premier faux-semblant concernant le RN est sans doute le discours qui le présente comme un parti d’extrême-droite dangereux, le Hitler des temps modernes, pour reprendre Manon Aubry. Si le RN arrivait au pouvoir, tous ceux qui ont crié au loup risqueraient d’être assez ridicules si la PME Le Pen se révélait être seulement un parti de droite populaire respectueux des institutions, comme Melloni en Italie. Les lendemains qui déchantent pourraient aussi être pour cette gauche donneuse de leçons dont le discours risque de paraître bien excessif. Mais le RN devrait assumer un Premier ministre bien vert pour la fonction, et de vrais angles morts dans son programme, comme ce refus de remettre un plein contrôle des mouvements de personnes aux frontières, se contentant de simples contrôles aléatoires. Il y avait quelque chose d’effarant à voir Marine Le Pen défendre la liberté de circulation au sein de l’UE limitée aux européens. Même les britanniques, dans l’UE, avaient toujours refusé cela. Plus globalement, se pose la question de la compatibilité du programme du RN avec l’UE, et sa capacité à faire différemment dans le cadre juridique si contraignant imposé par le machin européen. Les ajustements récents du programme économique pose aussi des questions, même si les résultats calamiteux de Macron y ont une part de responsabilité non négligeablle, imposant sans doute une ambition moindre.

Entre une minorité présidentielle qui fait mine de découvrir des problèmes et annonce quelques mesurettes, un front de gauche au programme largement incompatible avec l’UE sans être prêt à rompre avec elle, comme un RN mené par un jeunot, le choix n’est guère réjouissant. Et pour couronner le tout, le débat vire trop souvent aux noms d’oiseau, ce qui permet d’éviter les sujets de fond. Pauvre France.


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