Le Cachulot en campagne électorale

par Europeus
vendredi 19 janvier 2007

Le Cachulot n’est pas un animal fabuleux et rare venu de l’autre bout du monde. Non, mais c’est une sacrée bébête. Jugez plutôt. Le doute plane depuis plusieurs semaines, savamment entretenu par le principal intéressé, sur la volonté de Nicolas Hulot de se déclarer officiellement candidat à l’élection présidentielle. Force est cependant de constater, en tout cas, et dans l’attente de sa déclaration de candidature, que ce ne sont pas les moyens financiers qui lui manquent, ce qui pose ainsi légitimement la question du cadre juridique dans lequel ces sommes ont été mises en œuvre autour de cette montée en puissance... Le Cachulot a frappé.


Pendant plusieurs semaines, personne n’a pris très au sérieux la campagne présidentielle de Nicolas Hulot. L’incrédulité initiale semble désormais faire place à une légitime interrogation sur les raisons profondes de son entrée en politique. Le risque d’une instrumentalisation, au bout du compte, au profit d’un camp, de son discours en effet particulièrement mobilisateur sur les maux qui menacent la planète n’est pas nul...

Ceci lui a permis, en toute tranquillité, depuis avril 2006, de faire investir par la Fondation Nicolas Hulot qu’il préside, des sommes tout à fait considérables au bénéfice de la promotion de sa propre image. L’opération Un défi pour la Terre, lancée avec une campagne de publicité extraordinaire grâce au soutien de TF1 en 2005, a été relancée au printemps 2006 avec le concours de l’Ademe, c’est-à-dire sur la base de fonds publics associés à de nombreuses entreprises et à la chaîne privée. C’est ainsi plus de 1,2 million d’euros qui ont été engagés en 2005.

Cette opération, au demeurant des plus légitimes sur le fond, a permis au présentateur-candidat de cultiver son image auprès des écoles, de tous les organismes publics, et des mairies partenaires, fort utiles à cent jours du premier tour de l’élection présidentielle... Une telle opération, totalement interdite en période préélectorale, a été menée en toute quiétude par tous ces organismes qui ne supposaient sans doute pas faire campagne pour le candidat Nicolas Hulot.

Rappelons que la période dite préliminaire, conformément à la recommandation du CSA du 7 novembre dernier, a officiellement débuté le 1er décembre 2006. Ce dernier désigne ainsi deux types de candidats (déclarés ou présumés) sans que l’on sache d’ailleurs dans quelle catégorie ranger l’animateur de télévision. Le Cachulot a frappé fort.

A cette première étape de la campagne, s’ajoute la seconde, ouverte avec le lancement de son ouvrage, Le pacte écologique. Lancé avec emphase, l’auteur-candidat a pu bénéficier d’une couverture médiatique phénoménale lui permettant d’être l’invité de nombreux plateaux de télévision et de bénéficier de la une de plusieurs hebdomadaires, sans que l’on sache bien qui, de l’auteur ou du candidat, était invité à s’exprimer...

Parallèlement, la Fondation Nicolas Hulot, par l’intermédiaire de son site Internet, fait campagne depuis juillet 2006 pour son candidat. Un appel à soutenir la candidature virtuelle du président de la Fondation y figure d’ailleurs depuis cette période. Ce qui devra conduire tout naturellement à réintégrer dans les comptes de campagne la totalité des sommes engagées par la Fondation Nicolas Hulot pour monter ce site, pour le tenir actualisé, pour répondre aux nombreux courriels qui l’ont animé, comme le rappelait il y a peu son plus proche entourage. Le Cachulot a encore frappé...

Cette rigueur s’impose également bien évidemment en ce qui concerne le budget de publicité de son ouvrage, qui s’apparente plus à un programme politique et dont il conviendra, bien évidemment, que son éditeur fournisse un certain nombre de comptes, à la Commission nationale des comptes de campagne.

A ceci s’ajoutent les multiples conférences, rencontres donnant lieu à des locations de salles (qu’elles soient payantes ou gratuites) qui ont émaillé depuis le mois de septembre la campagne de Nicolas Hulot sous couvert de la promotion de son ouvrage programmatique. La présentation des propositions contenues dans Le Pacte écologique, le 10 décembre aux côtés du président de la CFE-CGC, Bernard Van Craeynest, est un autre exemple de ce mélange des genres inédit.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des éléments, s’y ajoutent les coûts relatifs aux émissions Ushuaïa sur TF1 et à la promotion du journal du même nom, dont le Conseil d’Etat a refusé de considérer qu’il s’agissait d’un journal au sens juridique du terme permettant de bénéficier du tarif postal spécifique. Si l’on se réfère à la décision du Conseil d’Etat, il s’agit donc bien d’un organe de publicité promouvant la marque Ushuaïa et Nicolas Hulot.

Quant aux émissions Ushuaïa, où Nicolas Hulot est le seul acteur présentateur vedette, les émissions postérieures au 1er avril 2006 devront également être intégralement prises en compte dans les comptes de campagne. A cet effet, le président de TF1 a lui-même indiqué que ces émissions coûtaient entre un million et 1,5 million d’euros l’unité. Le Cachulot commence à montrer le bout de l’oreille...

De plus, s’est mise en route l’association de soutien au présentateur vedette qui, elle-même, a adressé aux maires des demandes de parrainage, a loué une péniche pour servir de siège social, laquelle devra, par conséquent, se soumettre aux règles des comptes de campagne, comme pour tous les autres candidats.

Dès lors, le coût des dépenses engagées et qui devront être intégralement remboursées s’élève déjà probablement à une somme comprise entre 3,5 et 5 millions d’euros, loin des 800 000 évoqués récemment dans un grand quotidien du soir par le directeur de campagne d’ores et déjà déclaré de Nicolas Hulot. Le Cachulot a un gros estomac.

La question la plus pertinente, au-delà de la cohérence politique à se lancer dans la bataille politique, est donc bien de savoir qui va payer la note. En effet, le Code électoral est extrêmement clair sur ce point, et interdit tout don direct ou indirect, tout financement par une personne morale de droit public ou de droit privé.

Par ailleurs, quel sera le vecteur de la communication de Nicolas Hulot durant la période dite intermédiaire de la campagne (allant de la publication des candidats officiels par le Conseil constitutionnel et disposant des parrainages suffisants), si ce n’est son Pacte écologique, qu’il faudrait dès lors intégrer dans ses comptes de campagne ? Or, là aussi, le statut particulier du candidat putatif Hulot est au cœur du sujet. Il est ainsi indiqué par le CSA que « les propos tenus par les candidats investis de fonctions officielles sont comptabilisés au titre du candidat s’ils contribuent à dresser un bilan de l’action passée, à exposer les éléments d’un programme ou s’ils peuvent avoir un impact direct et significatif sur le scrutin en excédant manifestement le champ de compétence de ces fonctions officielles ». Qu’en est-il pour Hulot ?

Ceci signifie que dès lors que Nicolas Hulot entre en campagne, il doit personnellement rembourser la totalité des frais engagés, faute de quoi non seulement il se mettrait à titre personnel dans une situation délicate sur le plan pénal, mais il mettrait également dans la même situation délicate tous ceux qui auraient ainsi contribué à faire des dons illicites, s’exposant eux-mêmes à des sanctions pénales, TF1 et les soutiens financiers de la Fondation (EDF, Bouygues, L’Oréal) en tête...

Dès lors, deux solutions existent, qui méritent des éclaircissements : ou bien un grand parti politique, par exemple l’UMP, paie la campagne, ce qui est tout à fait licite, mais, dans ce cas, la moindre des exigences en termes de transparence politique est que cette situation soit connue de tous - rompant quelque peu avec « l’universalisme » de sa prise à témoin de la société française à propos des graves dangers qu’encourent la planète et la préservation de la biodiversité ; ou bien Nicolas Hulot reste dans l’indépendance qu’il revendique haut et fort, et, dans ce cas, compte tenu de l’absence de parti politique le soutenant, la seule solution consiste à financer lui-même (et évidemment pas par l’intermédiaire d’une société) par un emprunt contracté, à titre personnel, les sommes nécessaires à sa campagne.

Mais, là encore, il conviendra qu’il mesure le risque financier, dans l’hypothèse où il n’atteindrait pas les 5 % fatidiques, préalables au remboursement par l’Etat des frais de campagne. Fort de ce constat, on ne peut être ainsi que très dubitatif sur les raisons d’être de cette campagne, visiblement orchestrée et organisée depuis bien longtemps, et rechercher quels sont réellement les instigateurs en amont. Le Cachulot sortirait-il de l’anonymat ?

S’agit-il de TF1, qui a pu se faire une publicité immense tout en continuant à vendre les produits dont la conception (bombe aérosol, etc.) est précisément en partie à l’origine de la catastrophe écologique pourtant annoncée par Nicolas Hulot ? S’agit-il d’autres sponsors de la Fondation Nicolas Hulot qui, voyant monter le péril écologique, dopé par l’effet médiatique d’Al Gore, ont trouvé plus satisfaisant d’avoir comme héros un personnage dont ils étaient certains qu’il n’aurait que des colères électives et parfois sélectives ? Une façon de noyer le poisson-cachulot... S’agit-il enfin tout simplement de Nicolas Sarkozy et de l’UMP qui, convaincus que la seule manière de battre Ségolène Royal était de récupérer le plus de voix possibles au premier tour de l’élection présidentielle, mordant sur son électorat, n’ont trouvé que Nicolas Hulot pour remplir cette fonction ? Car enfin, le Cachulot est démasqué, le cache-Hulot, ce pourrait bien être lui...

En tout cas, il faut espérer que la Commission des comptes de campagne pourra faire son travail, et agir en sorte que, désormais, ce ne soient pas les médias qui, après avoir formé l’opinion publique pour lui faire préférer tel ou tel candidat, se mettent à choisir en leur sein celui qu’ils souhaitent pour défendre au mieux leurs intérêts... Il en va de la confiance que les Français gardent encore dans leurs institutions et dans leur indépendance. C’est une question de moralité politique et de légitime respect de la règle démocratique, qui implique sincérité et transparence. Il est ainsi parfaitement normal que tous s’y conforment avec la même détermination, en toute égalité de chances...

Serge Misraï est journaliste, chroniqueur pour europeus.org


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