Le cas Dati : intrigues et ambitions

par Babar
mardi 3 mars 2009

Rachida Dati est-elle un animal politique ou une intrigante ? Est-elle redoutablement intelligente ou fonctionne-t-elle à l’instinct ? Est-elle visionnaire ou joue-t-elle un coup l’un après l’autre sans véritable stratégie sinon celle de sa propre survie ? Se sert-elle de la politique pour asseoir d’autres ambitions ou se bonifiera-t-elle pour devenir, à l’image d’autres impétueux et fougueux combattants avant elle, une sage parmi les sages ?

Deux enquêtes journalistiques, Dati l’ambitieuse, documentaire de Taly Jaoui et de Antoine Vitkine tourné alors que la grossesse de la Garde des sceaux arrive à son terme, est diffusé ce soir sur Arte ; Avec Belle-amie, biographie politique, Michaël Darmon et Yves Derai (éditions du
Moment) reviennent sur le parcours de cette femme qui déclenche les passions.

Impossible à cerner ou à définir, Rachida Dati joue constamment sur le tableau ambigu de la séduction : aimez-moi pour ce que je suis, mais prenez garde à ne pas me prendre pour une autre, je ne suis pas celle que vous croyez…

Son défaut majeur, dans un monde politique dominé par les hommes, n’est certes pas d’avancer au culot, d’être opportuniste, ambitieuse, autoritaire ou même incompétente (caractéristiques aussi bien partagées par la gente politique féminine que masculine), mais de travailler en solitaire. De ne pas partager. De ne surtout pas renvoyer l’ascenseur.

Et ça, ça ne pardonne pas. Dans le monde cruel et sans concession de la représentation politique, même les grands prédateurs avancent en meute et ne sauraient se passer d’éclaireurs. Rachida Dati, d’après les portraits qu’en tracent Taly Jaoui et Antoine Vitkine (Dati, l’ambitieuse) et Michael Darmon et Yves Derai (Belle-Amie) pratique la politique de la terre brûlée, brûle toutes ses cartouches. Impossible à saisir. Icône de la diversité et de la rupture selon Sarkozy, fashion victim, executive woman...Mère active elle se plaît à brouiller les pistes sur l’identité du père de sa fille : Eric Besson, l’animateur Arthur, Bernard Laporte, François Sarkozy auront eu droit à leur quart-d’heure "papa Dati".

Jusqu’à présent l’ancien premier ministre espagnol Aznar et, c’est une révélation du livre de Darmon et Derai, le procureur général du Qatar Alin Bin Fetais Al Marri, tiennent la corde bien qu’ils aient démentis chacun être le papa de Zohra...

Bref Rachida, "l’icône médiatique", joue avec son image glamour et virevolte, jamais vraiment là où on l’attend. Elle claque comme un drapeau, mais c’est du vent.

Petit soldat, voire pantin, de la Sarkozye, elle a été nommée à un poste clé pour appliquer à la lettre le programme de son père politique, puisqu’elle dit elle-même que c’est Nicolas Sarkozy qui l’a portée sur les fonts baptismaux.

Le soldat Dati, dès son entrée à la chancellerie a brisé l’échine des magistrats, a épuisé son entourage, se séparant avec fracas de son directeur de cabinet, le brillant Michel Dobkine pourtant nommé là expressément pour la seconder par le « ministre de la justice bis » du gouvernement, Patrick Ouart (le conseiller justice de Nicolas Sarkozy).

De l’avis des professionnels de justice c’est une mauvaise technicienne. Politiquement, elle ne semble avoir épousé les idées de Nicolas Sarkozy que parce que c’est lui. Rachida Dati est un mystère. Elle semble être ambitieuse juste par ambition...

Dati l’ambitieuse diffusé sur Arte et la biographie Belle-amie (éditions du Moment), ne se projettent pas dans l’avenir. Mais afin de le comprendre, cet avenir, leur postulat de base a été, logiquement, de revenir aux sources tout en écornant les jolis discours, la trop belle histoire de cette cosette des banlieues qui à la force du poignet à su se faire une place au soleil.


Bien sûr cette histoire est vraie : le père maçon d’origine marocaine, la mère de famille d’origine algérienne, la fratrie nombreuse, la vie monotone dans une cité périphérique de Chalon sur Saône, le mariage forcé (et annulé) puis les cinq ans passés en tant que juge d’instruction à Péronne, en Picardie (tribunal qu’elle a d’ailleurs rayé de la carte judiciaire depuis, comme si elle voulait effacer toute trace de sa présence).

Son histoire a bien sûr structuré la vie de la Garde des sceaux. Mais en négatif. En repoussoir. « Déjà, explique-t-elle dans le film, j’avais des idées précises sur ce que je voulais pas  ». De fait, renchérissent les auteurs de Belle-amie, « Rien ne lui est arrivé par hasard. Tout a été calculé, organisé, arraché ou dérobé ».

Rachida Dati n’a pas voulu recevoir les journalistes Michaël Darmon et Yves Derai, auteurs de Belle-amie. En revanche, la ministre de la justice a bien voulu s’entretenir, devant leurs caméras, avec Taly Jaoui et Antoine Vitkine, réalisateurs de Dati l’ambitieuse... Sa présence est évidemment le point fort de ce documentaire-panorama, notamment lorsqu’on l’interroge sur Cécilia et qu’elle est visiblement génée pour répondre...

Ce film recoupe sur bien des points le livre de Michaël Darmon et Yves Derai, mais, si l’on y apprend rien sur le père de Zohra (l’interview a lieu alors que Rachida Dati en est quasiment au terme de sa grossesse), il s’attarde davantage sur les débuts et les motivations de la ministre de la justice avec quelques rares - mais essentiels parce qu’ils ont du poids - témoignages à l’appui comme celui d’Albin Chalandon, le premier à l’avoir aidé.

Le film s’appelle Dati l’ambitieuse et le titre du livre, Belle-amie, se réfère quant à lui au roman homonyme de Guy de Maupassant qui « retrace l’ascension sociale de Georges Duroy, homme ambitieux et séducteur (arriviste - opportuniste), employé au bureau des chemins de fer du Nord, parvenu au sommet de la pyramide sociale parisienne grâce à ses maîtresses et au journalisme »(wikipedia).

Il n’est pas hasardeux que les quatre journalistes soient arrivés à la même conclusion : Rachida Dati est une intrigante pour qui servir la France c’est d’abord se sortir de sa condition. "Elle pratique le communautarisme personnel" ironise Michael Darmon, dans le fim diffusé sur Arte. Ce que le film ne dit pas, mais que le livre révèle, c’est qu’elle est prête à détruire tout ceux qui lui barrent le chemin. Son autoritarisme est inversement proportionnel à ses compétences : « Dati vous séduit et vous impose une relation maître-esclave. Si vous refusez, elle devient votre pire ennemi  » explique un protagoniste dans le livre de Derai et Darmon.

Un autoritarisme qui, si on lui laissait la bride sur le coup, pourrait la mener très loin : dans leur livre, Derai et Darmon racontent qu’en 2007, la Garde des Sceaux, apprenant que le Canard enchaîné s’apprête à publier un article faisant état des dépenses somptuaires du ministère de la justice - qui réclame une rallonge budgétaire de 100.000 euros pour ses frais de réception - apostrophe Bernard Squarcini, le chef des renseignements intérieurs français et lui intime l’ordre d’interdire l’article incriminé. Celui-ci répond placidement : « Ce n’est pas mon métier  »…

Elle commence médecine à Dijon, mais très vite, rêvant de conquérir Paris, elle s’inscrit en licence de Droit à Panthéon-Assas. Au vu de ses résultats moyens, il est clair qu’elle a peu ouvert ses précis Dalloz, ce que confirment les auteurs de Belle-amie : « Entomologiste des puissants, elle a observé, découpé les articles sur eux, potassé le Who’s who et repéré leurs lieux de prédilection ».

Intellectuels, ministres, industriels, artistes, elle écrit à tout le monde  : même Alain Souchon recevra des lettres dans lesquelles la petite « cosette » des cités s’épanche. Elle vivra avec Frédéric Ferney, l’animateur du Bateau-Livre une « amitié-amoureuse ». Lorsque l’émission de ce dernier sera menacé de disparaître en mai 2008, il fera appel à elle. En vain.

Rachida Dati fait peur. Peu de témoins s’expriment à découvert dans le film et dans Belle-amie ils sont nombreux à parler sous le sceau de l’anonymat. Ceux qui l’ont aidé à ses débuts - Jacques Attali, Simone Veil, le patron Henri Proglio ou encore celui de l’hebdomadaire Stratégies, Henri Nidjam - ne veulent pas témoigner. Pourquoi un tel silence ? Le film ni le livre ne l’expliquent.

Quant à ceux qu’elle a trahis - Hugues Moutouh, Malika Ben Larbi, Jeannette Boughrab… - « on peut, explique le livre, énumérer ainsi des dizaines de personnalités issues de l’immigration déçues par Rachida Dati »…

Elle est comme ça, Rachida, elle ne renvoie jamais l’ascenseur, n’a aucune reconnaissance, oublie vite ceux qui l’ont soutenue.



En 1987, elle s’incruste dans une soirée et vise juste en décrochant un entretien avec le très controversé Garde des Sceaux de Jacques Chirac (1986-1988) Albin Chalandon qui craque pour ce joli minois. Le film n’insiste pas sur leurs relations, mais Belle-amie, le livre, est on ne peut plus clair : « Lettres, déjeuners, thés l’après-midi…le chef de cabinet Bousquet de Florian gère les rendez-vous discrets d’Albin Chalandon avec Rachida Dati ». Devant les caméras, vingt ans après, Chalandon se contente de remarquer : « Elle a su manœuvrer les gens  ».

Il faut revenir sur le personnage de Bousquet de Florian car c’est à lui qu’on doit ce qui est généralement présenté par l’intéressée elle-même comme son plus grand fait d’arme, son sésame politique, sa rencontre en 2002 avec Nicolas Sarkozy.

Dati l’a déjà croisé alors qu’il est maire de Neuilly. Mais à l’époque, il est vrai qu’il parle avec beaucoup de monde. Il s’ennuie. Balladurien, il est mis à l’écart par Chirac et attend son heure dans sa mairie. Son entrevue avec Rachida Dati dure un quart d’heure et ne s’avère pas inoubliable. Quand il la revoit en 2002, il ne s’en souviendra même pas. Entre temps, elle lui a pourtant écrit quatre fois…

Pourquoi la reçoit-il alors que Claude Guéant, son directeur de cabinet, l’a déjà auditionnée et que visiblement elle ne fait pas l’affaire ? « D’ordinaire, un ministre de son niveau ne consacre pas de temps à un entretien d’embauche d’une postulante au poste de conseillère technique » explique un témoin anonyme à Darmon et Derai.

Sauf que Pierre Bousquet de Florian, ancien chef de cabinet d’Albin Chalandon devenu ensuite directeur de la communication chez Elf (où il a fait embaucher Rachida Dati en 1988), est à ce moment-là directeur de la DST. A cette époque, racontent les auteurs de Belle-amie, Sarkozy ne peut rien refuser à Bousquet de Florian qui est proche de Dominique de Villepin. Celui-ci, qui est alors secrétaire général de l’Elysée, est l’artisan du recours en grâce de Sarkozy auprès de Chirac, ce qui le mènera de l’intérieur à la présidence de la république.

Sarkozy embauche donc Rachida Dati comme conseillère technique à la délinquance et, très ironiquement, la présentera ainsi à ses collaborateurs : « Je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui ait autant envie de travailler avec moi  ».





La future garde des sceaux devra attendre deux ans avant de se faire remarquer par son mentor. Lors d’une tournée du ministre de l’intérieur dans une banlieue, un jeune l’interpelle. Rachida Dati arrête le gamin et lui lance en ôtant sa casquette d’une tape sur la tête : « on se découvre devant Monsieur le Ministre ». Pour Catherine Nay, interviewée dans le film, « elle vient d’entrer dans le champ de vision du ministre ». Darmon et Derai rapportent cette remarque de Nicolas Sarkozy : « Elle n’a peur de rien. J’aime travailler avec des gens de cette trempe. Avec des personnes comme celles-là, on va au bout du monde  ».

Quand Sarkozy passe aux finances, elle se désespère de n’être pas du voyage, mais finit par convaincre Claude Guéant de lui trouver une place. Ce qu’il fait bien que, selon le futur secrétaire général de l’Elysée, « Rachida Dati est considérée comme une fille aux compétences restreintes qui ne se distingue pas par son abattage ». Ambiance.

Puis vient la campagne pour les présidentielles. Mais avant d’en arriver là, elle a séduit Cécilia qui vient de rencontrer Richard Attias, l’homme qui organise avec Christophe Lambert le meeting du Palais des sports du 12 mai 2005, en pleine campagne pour le référendum sur la constitution européenne.

Ce meeting marque la rupture entre Nicolas et Cécilia Srakozy et sur ce plan, plus habile que dans le droit, Rachida s’ingéniera a jouer sur les deux tableaux, consolant son patron et gardant le contact avec Cécilia. Elle sera l’artisan de leur retrouvaille.

La suite, c’est Cécilia qui l’écrit et qui impose sa « sœur » dans le staf de campagne de l’UMP où elle est porte-parole avec Xavier Bertrand qu’elle déteste : « C’est naf-naf au pays des communicants ».





Une fois élu Nicolas Sarkozy hésite avant de nommer Garde des sceaux « cette brindille d’énergie qui l’a rejoint il y a moins de cinq ans, non élue et dont les compétences ne sont pas avérées  ». Là encore, Cécilia insiste pour qu’elle soit ministre de la justice. Mais c’est finalement l’avis d’Alain Minc qui décidera le président de la république : « Pour faire avaler aux magistrats une réforme de la justice aussi dure, la « beurette de Chalon » sera parfaite. « Ils ne pourront pas l’attaquer sans être soupçonnés de racisme » anticipe cet intellectuel ».

Le racisme, l’arme ultime de Rachida quand elle est à bout d’argument. Elle qui stigmatise sa communauté d’origine n’a pas de mot assez durs contre ceux qui la combattent ou l’attaquent sur ses propres compétences. Pour elle ce ne sont que des racistes…

Sur le plan politique qu’a-t-elle fait sinon désespérer les magistrats  ? Elle a réformé la justice au pas de charge, instrumentalisée par Nicolas Sarkozy et pilotée en sous-main par son conseiller justice, Patrick Ouart. Elle n’a fait qu’aller au front, ce qui n’est pas si mal.

L’épisode des municipales où on la parachute dans le 7ème arrondissement qu’elle ne peut pas perdre, mais où elle ne convainc pas franchement, est son baptème du feu politique, elle qui n’a jamais été élue. Sa tentative de mainmise sur le groupe puis sur la fédération UMP de Paris, son « rêve » enfin de conquérir Paris (mais puisque François Fillon s’y verrait bien également, elle voit ses chances s’évanouir) montre qu’elle n’est pas une habile tacticienne et qu’elle manque surtout singulièrement de réseaux.

Peu avant cela, début 2008, l’arrivée de Carla Bruni qui la déteste ("J’aime bien Rachida, dit cruellement à son propos l’épouse du président, elle me fait rire"), achèvera de l’écarter du premier cercle. Soulignons qu’elle a beaucoup apprécié Belle-amie, le livre de Derai et Darmon... Mais il lui en faut plus pour atteindre Rachida...

Aujourd’hui la voici deuxième sur la liste des européennes, derrière Michel Barnier. Pour certains commentateurs politiques, c’est un désaveu. Pour d’autres, c’est au contraire une renaissance. Sarkozy lui proposerait ainsi de se mettre au vert quelque temps, de se refaire une virginité et, auréolée de son mandat électif de revenir au moment voulu (en 2012) pour batailler à ses côtés.

Ni le film, ni le livre, là encore, ne fournissent de réponse. Et bien malin qui la connaît. Elle peut tout aussi bien tout planter pour se retrouver dans un groupe privé (elle a déjà reçu des propositions) ou vivre avec sa fille et son mari loin du tumulte médiatique ( ce qui ne semble pas cadrer avec le personnage)...

Une chose est sûre, Rachida Dati est un cas unique : "Rachida Dati est la première personnalité issue d’une famille d’immigrés maghrébins à occuper des fonctions régaliennes dans un gouvernement français".

Peut-être après tout l’histoire ne retiendra que ça ?


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