Le Christ et le logiciel Obama

par Dominique Lacroix
lundi 3 mars 2008

Loin d’être populiste, la démarche de Barack Obama peut être lue comme une sorte de syncrétisme entre christianisme et Web 2.0. Ou du moins les messages d’Obama s’accordent-ils bien avec des logiques Internet qu’il utilise largement et avec succès. Dans un État laïque où l’on jure sur la Bible et dont les logiciels gèrent le monde, est-ce vraiment une surprise ?


We are the Ones

will.i.am et John Legend, entourés de stars d’Hollywood, ont remporté un énorme succès avec le clip vidéo de soutien à Barack Obama Yes we can, lancé début février sur Internet. En un mois à peine, Yes we can aurait été vu plus de 11 millions de fois.

Rebelote. We are the Ones est dans la même veine.

will.i.am y a associé notamment Jessica Alba, Ryan Philippe, Kerry Washington, John Leguizamo, Regina King, Tyrese Gibson, Eric Mabius, Tichina Arnold, Adrienne Palicki, George Lopez et Macy Gray.

Le clip circule déjà, volontairement, sur Youtube et ailleurs. Mais on peut voir We are the Ones en grand format et de meilleure qualité, sur le site de Dipdive. Le site invite aux commentaires, qui sont déjà nombreux (plus de 500).

HopeActChange et la mosaïque vidéo

Mais Yes we can et We are the Ones ne sont pas « que » deux clips à succès, conçus sur un modèle économique propre à faire réfléchir les majors de l’audiovisuel.

will.i.am, associé aux réalisateurs Jesse Dylan et Mike Jurkovac, a lancé une initiative multimédia remarquable.
Le 20 février a été publié le site interactif HopeActChange, métaphore délibérée de la vision de Barack Obama en matière d’action collective.



- Le making off du clip Yes we can, d’abord, montre des rushes vidéos qui ont inspiré la vidéo Yes we can et à partir desquels le texte de la chanson a été composé. Chaque acteur s’exprime sur les raisons de son soutien à Obama.

- Le mécanisme collaboratif est étendu ensuite aux internautes : il est proposé à chacun de faire partie de la vidéo en y ajoutant sa ou ses propres images, à partir d’un compte FlickR. Il faut donc avoir aussi un compte Yahoo ou en ouvrir un pour l’occasion.

- Le résultat est une étonnante mosaïque vidéo. Le survol de chaque parcelle ouvre une vue miniature de l’image qui y est logée.

- La liste des contributeurs permet de voir à ce jour plus de 1 400 noms ou pseudos. On peut aussi feuilleter les albums des images envoyées.
Des fonctionnalités de marquage en favoris et de commentaires agrémentent le tout.

La réalisation du site a été confiée à l’agence new-yorkaise Syrup, qui annonce fièrement avoir développé le site en deux semaines. Depuis octobre 2007, Syrup fait partie du groupe international d’agences multimédias LBi. La première société du groupe LBi a été créée en 1996 à Stockholm. Le groupe est maintenant coté sur le marché Euronext à Amsterdam et sur le OMX Nordic Exchange à Stockholm. LBi rassemble 1 450 employés dans des agences situées dans de grandes villes d’affaires en Europe et aux États-Unis.

Ces précisions montrent qu’il s’agit d’acteurs tout ce qu’il y a de plus « branchés » dans la communication interactive, au niveau international.

Le règne de la métaphore

Jésus prêchait par des paraboles, de courts récits tirés de la vie simple qui symbolisent une démonstration morale ou religieuse. La Bible reproduit abondamment ce mécanisme rhétorique, qui a contribué à son succès populaire. Notre langage courant en garde la mémoire, puisque nous utilisons de nombreuses expressions qui viennent directement de ces historiettes racontées par le Messie, sans en être toujours conscients. Par exemple, trier le bon grain de l’ivraie, le bon Samaritain, le fils prodigue, etc.

Il y a quelque chose de messianique chez Obama, lorsqu’il parle de « réparer le monde » (repair the world). Et il y a surtout une attente messianique chez nombre de ses nombreux supporters. Mais Barack Obama use peu de métaphores. Son langage est plutôt clair et factuel. Ses grandes options politiques sont proches de celles d’Hillary Clinton. En France, on les qualifierait de centristes, si la comparaison avait un sens avec un pays à l’éventail politique très différent. Son originalité repose sur sa relation au public. Il est, par son histoire et ses préoccupations, proche des « gens simples » et leur propose de participer activement au changement. Dans certaines communautés, le changement commence déjà par la participation à la citoyenneté en votant. Le « logiciel Obama » est orienté utilisateur et l’invite à être actif.

D’aucuns parlent de populisme au sujet d’Obama, ce qui est à mon sens une erreur. Qu’il y ait charisme et succès populaire est indéniable. Mais il y aurait quelque contradiction, en démocratie, à reprocher à un candidat de plaire aux foules tant qu’il ne les manipule pas. En revanche, des composantes essentielles du populisme sont absentes chez Barack Obama, comme le rejet des mécanismes institutionnels de la démocratie représentative et la critique globale des élites. Barack Obama est professeur de droit constitutionnel et une partie importante de son action sociale a consisté en aide juridique. Certains groupes de pression (lobbies) sont en revanche en ligne de mire, comme les milieux du pétrole et de l’armement. Leur influence sur le gouvernement des États-Unis, et en particulier sur sa politique extérieure, est dénoncée.

L’imprimerie a permis la diffusion de la Bible. Les médias interactifs sont le véhicule favori de diffusion du message Obama. La métaphore y est mise en scène par les évangélistes. Elle est réalisée par des concepteurs et interprètes talentueux, des stars du spectacle. Ce sont eux qui, dans le monde numérique des artefacts, traduisent le message central en logiciel bien conçu : intuitif et orienté utilisateur, reprenant les concepts les plus en vogue de l’Internet, l’organisation collaborative, la démarche collective et le Web 2.0 à contenus fournis par les utilisateurs.
Ce qui se passe à l’écran est une métaphore des messages principaux : « Ensemble changeons l’Amérique, changeons le monde ». Le mythe fondateur de la nation melting-pot, mosaïque de cultures, est au centre de l’appel à la reconquête de l’identité et de la fierté nationale. Et puisque nous vous montrons à l’écran que c’est possible, « Nous le pouvons ». Yes we can. L’architecture de la communication est cohérente.

« Le moment est venu », dit Obama. Les magiciens de l’Internet transforment cela en momentum (mouvement, en latin), en élan et invitent à y participer.
La magie fonctionne.

Des questions demeurent.

Qu’en est-il au moment de passer du virtuel au réel ? Est-ce qu’une société est une mosaïque ? Comment ceux qui ne veulent pas être « ensemble » vont-ils accepter le changement ?

Jusqu’où l’élan mènera-t-il Barack Obama ?


Lire l'article complet, et les commentaires