Le défoulement municipal a commencé. Notes sur la cuvée 2008

par Bernard Dugué
mardi 5 février 2008

Les élections municipales vont marquer un temps fort de la politique cette année 2008. Le PS compte sur ce scrutin pour asseoir sa posture de formation d’opposition, en espérant que les électeurs usent de leur bulletin de vote pour sanctionner le gouvernement. Cette attitude est contraire à l’esprit d’une élection municipale qui a pour finalité d’élire une équipe locale censée gérer des affaires circonscrites dans des prérogatives très encadrées. Mais comme nous sommes en démocratie, chacun a le droit de s’exprimer, de donner du sens et pourquoi pas de décider qu’un bulletin peut avoir un double usage, voter pour des gens et choisir une option politique. Hélas pour le PS, ainsi que pour l’UMP qui aimerait bien reprendre deux grosses métropoles, la real politik l’emporte et le citoyen n’entend pas les sirènes partisanes, étant plus brut et prosaïque, jaugeant les élus municipaux et le maire sur un bilan, approuvant le résultat ou bien le sanctionnant. Ce ne sont pas des citoyens, mais des citadins, des citéens qui votent et, de ce fait, réélisent une équipe qui a donné satisfaction sur les points jugés les plus importants, mais aussi ayant fait l’objet d’une visibilité médiatique. L’UMP n’aura pas Dijon et Lyon, ni sans doute Paris. Le PS n’aura pas Bordeaux. Mais les batailles seront rudes pour se disputer les villes de plus de 30 000 habitants en mesure de basculer.

Depuis quelques années, des thèmes locaux ont pris un ascendant particulier, comme celui du transport. On a assisté au retour du tramway, le métro n’ayant pas séduit les métropoles, à part Marseille, Lyon et Toulouse. Les villes traversées par des fleuves et pourvues de quais ont fait l’objet d’aménagements où les architectes ont rivalisé d’originalité. Et cela a plu aux riverains et même à tous les citadins désireux de s’offrir un espace à arpenter, pour flâner, boire un verre, faire du roller ou du vélo. Les Bordelais n’en sont pas revenus de cette transformation de quais auparavant occupés par de vieux hangars inesthétiques. Les Lyonnais aussi, ravis de contempler les berges du Rhône aménagées comme un Paris plage permanent et parsemé de verdure. Un must pour déjeuner sur l’herbe à la pause de midi ou déambulation romantique un soir d’été. Le vélo aussi entre dans les thèmes municipaux médiatisés. Lyon en tête, le vélo’V avec ses bicyclettes qu’on loue comme on emprunte un chariot au supermarché et Paris avec son vélib’, fierté de Bertrand Delanoë. Que les villes désireuses de reprendre le concept se dépêchent, il n’y a plus beaucoup de noms de domaine disponibles, vél’ours, pour se déplacer en douceur, vél’ose, osez la simplicité et la rapidité.

Le volet transport compte beaucoup dans l’image d’une ville, autant que l’architecture et la préservation des espaces verts. La propreté aussi, nettoyage des rues, histoire de poubelles. A Bordeaux, les deux Alain s’affrontent sur ces petites questions de voiries, ainsi que sur une histoire de clochemerle en plein centre-ville, ces fameuses trémies d’accès au parking de Pey-Berland, recouvertes de caissons blanchâtres, commandés après délibérations, concours d’architecte, et qui ont le don d’agacer quelques riverains. Alain Rousset compterait bien les détruire. Ainsi se démarque le candidat de la gauche. Quelle audace ! Transports, propreté, espaces verts, pollution, voilà un pack électoral griffé développement durable sans lequel il est impossible de briguer une mairie, pas plus qu’on entre dans un club select sans la tenue de soirée exigée.

Une municipalité se doit de répondre aux attentes de tous les citadins, de tous obédiences, cultures, professions et niveaux sociaux. Ainsi, plusieurs thèmes sont devenus présents. Le logement social, la prise en compte des vieux, des handicapés ainsi que les crèches, thème sensible, mais qui concerne une minorité de couples, ceux qui travaillent et ont un enfant en bas âge ou bien projettent une naissance. Cela fait partie de la qualité de vie, comme d’ailleurs la réglementation des lieux festifs et le contrôle des nuisances. La sécurité semble être devenue une question saturée. D’autant plus que la responsabilité en incombe surtout à la police d’Etat, les agents municipaux n’étant qu’une force d’appoint, mais non négligeable. Voilà sur quels thèmes se joue et se discute une campagne municipale. Difficile de trouver une différence entre la gauche et la droite sur ces différents aspects. Il n’existe pas une propreté de gauche et une de droite, une manière de louer des vélos de droite et une de gauche. Tout relève du pragmatisme. Cette neutralité politique des enjeux municipaux fait que le MoDem choisit son camp et s’allie selon les configurations locales à la droite ou à la gauche, quitte à adopter des positions ubuesques, comme à Bordeaux où les deux listes concurrentes accueillent des membres du MoDem alors qu’à Lyon on approche la crise de nerf.

Reste le logement social, seul domaine où une politisation a encore un sens. Car le culturel, naguère disputé entre le modernisme de gauche populaire post-68 et la bienséance traditionnelle et classique de droite, est devenu consensuel, d’autant plus que ce qui plaît dans la culture, c’est le côté festif. Ainsi, les métropoles ont leurs événements bien médiatisés alors que les grandes villes et les moyennes ont su développer la manifestation signant l’identité de la ville. Langon, petite commune pas loin de Bordeaux, a ses nuits atypiques en août, Sarlat son festival de théâtre, Angoulême la BD, la Chaise-Dieu ses concerts feutrés et Marciac sont jazz mondial, etc. En résumé, il n’y a pas lieu de s’imaginer qu’une différence notable et radicale sépare une équipe municipale de gauche, de son homologue de droite.

A noter également un aspect nouveau ayant fait son apparition comme thème de campagne. L’économie. Sur ce point, le débat sur la Trois fut disputé entre Juppé et Rousset, chacun se réclamant du dynamisme des entreprises locales et de l’attractivité, tout en dénonçant les faiblesses de son adversaire. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on parle d’économie au niveau local, puisque c’est devenu aussi un thème national, pouvoir d’achat, fiscalité et surtout, cette croissance et le fameux rapport dont tout le monde parle. En fait, les citadins ne sont pas directement interpellés ni concernés, excepté les chercheurs d’emploi et, encore, la plupart des entreprises recrutent au-delà de la ville qui les accueille. Mais les maires ont tout lieu d’être intéressés, grâce au potentiel en termes de salaires versés, dépensés localement, et de la fiscalité, des citoyens ainsi que la très convoitée taxe professionnelle. C’est pour ainsi dire du pain béni pour les grandes villes qui tirent les ressources nécessaires pour satisfaire les citadins et, de ce fait, récompenser l’équipe municipale que les électeurs vont reconduire. Il y a des décennies que cette préoccupation est au cœur des maires, alors que des grandes villes se concurrencent pour attirer les grands groupes industriels. A Bordeaux comme à Lyon, on rêve d’un quartier d’affaires avec des tas de bureaux et déjà, les affairistes lorgnent sur les terrains à bâtir près de la gare Saint-Jean, d’autant plus que Bordeaux sera à deux heures de Paris d’ici quelques années. Si le monde est officiellement régi par l’économie de marché, dans la pratique, l’interventionnisme est très courant, sans doute un peu moins de l’Etat, Bruxelles étant attentive, mais localement, on ne compte pas les soins apportés aux PME et les aides accordées, étant donné qu’au final, le calcul est positif. A noter que ce sont les maires, plus que les adjoints, qui sont sensibles à ces questions d’économie, comme l’a montré cette étude de la SOFRES réalisée pour les précédentes municipales de 2001.

Ainsi, il n’y a pas de méthode de droite ou de gauche pour gérer une ville ; mais il existe des intérêts antagonistes et des points de friction, des conflits à arbitrer, des choix au niveau des plans d’aménagement, des quartiers à soigner, des petits commerces à protéger contre des grandes surfaces qui elles, satisfont ceux qui n’ont pas un gros pouvoir d’achat. Bref, tout un monde hétéroclite et parsemé, insatisfait, exigeant, auquel il faut répondre. Et, par conséquent, pas mal de jeux politiques avec cette année une cuvée spéciale « lignes qui bougent », le MoDem en parti papillonnant, les Verts parfois alliés à droite, les assemblages hétéroclites comme à Pau, la pratique de l’ouverture clamée haut et fort par les personnalités de droite et de gauche. Ouverture certes, encore faut-il bien considérer la position dans la liste, sachant que les derniers placés ne seront pas conseiller municipaux et que le conseil municipal administre la ville sous la responsabilité du maire, de son cabinet, ses chefs de services et ses adjoints. La plupart des conseillers municipaux n’ayant pour rôle que de voter après les délibérations et d’avaliser les décisions de la direction. Est-ce que les personnalités de la société civiles vont participer à la gestion municipale, ou bien sont-elles de simples appoints cosmétiques ? Comme du reste les people dont l’apparition sur les listes municipales signe aussi cette cuvée 2008 marquée par une présence accrue de listes émanant de la LCR qui prend un léger essor, comme naguère le FN. Et toujours, les mêmes histoires locales, les querelles politiques ordinaires, les listes dissidentes, les listes sous-marines, la politique en eaux troubles.

Le spectacle peut commencer, les grands quotidiens, lorgnant sur ce défoulement politicien, scrutent les combats locaux, comptent les points. C’est très provincial, moins sexy que les caucus américaines, mais fort divertissant. Les candidats sont en ordre de bataille, avec les troupes de militants. Pour beaucoup, c’est l’occasion de se montrer, se voir en bon citoyen. Et d’avoir quelque pouvoir, quelque aura, mais on ne condamnera point ce qui paraît superfétatoire, inhérent à la nature humaine. L’inverse serait plutôt inquiétant. Mieux vaut un bordel électoral qu’un désert politique. La cuvée 2008 ressemble à celle de 2001 avec un léger déplacement des thèmes prioritaires, l’économie notamment, et une présidence dont la douce rupture a déteint sur la composition des listes électorales, ouverture politique, mélanges divers, civils et people.


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