Le Député d’Arcis, l’inconnu de la Chambre

par Michel Frontère
jeudi 24 septembre 2015

La commune d'Arcis appartient à la première circonscription de l'Aube, Troyes I et II. Du temps de Balzac les électeurs d'Arcis allaient voter à Bar-sur-Aube.

La petite ville d’Arcis dans l’Aube est en ébullition. Les électeurs s’apprêtent à élire leur nouveau député. À l’époque le suffrage n’est pas encore universel, seuls ceux qui payent le cens, un impôt foncier, peuvent voter, d’où l’importance de séduire ces grands électeurs, en particulier les indépendants, et d’aller à leur rencontre ; un peu comme le font de nos jours les candidats au Sénat.

Voilà où nous entraîne Honoré de Balzac dès le début de son roman (inachevé) : Le Député d’Arcis. Ainsi présentées les choses paraissent simples, elles vont se compliquer ![1] Près de quatre-vingt-dix personnages apparaissent dans cette œuvre, d’une centaine de pages, classée à l’intérieur de « La Comédie humaine » dans Les Scènes de la vie politique, et publiée initialement en roman-feuilleton dans « L’Union monarchique ».

L’avocat Simon Giguet est candidat à la chambre basse, il bénéficie de deux soutiens familiaux de choix : son grand-père le colonel Giguet, ancien officier de la Grande Armée passé du bonapartisme à un libéralisme tempéré, et sa tante, veuve Marion, qui tient salon depuis vingt-quatre ans, surnommée « la reine d’Arcis » c’est une faiseuse de roi. Elle est à l’initiative d’une réunion préparatoire à l’élection où Simon, son neveu, présente sa candidature et les grandes lignes de son programme. Il entend parler au nom du Progrès et il prend l’engagement s’il est élu de soutenir Odilon Barrot, figure de proue de la bourgeoisie montante et modérée.

Le principal adversaire de Simon, le vicomte Charles Keller, a le soutien du ministère et un avantage : son père François, banquier et pair de France (les sénateurs de ce temps), a déjà exercé plusiers mandats de député ; certes, le mandat n’est pas héréditaire mais cela peut l’aider dans ses ambitions. Enfin, il est le gendre du comte de Gondreville, l’homme fort de l’arrondissement, qui peut lui aussi faire jouer ses réseaux.

Deux coalitions se font donc face à face, Balzac observe ironiquement : « En France, au soutien des élections, il se forme des produits politico-chimiques où les lois des affinités sont renversées ».

À cet affrontement électoral vient s’ajouter une intrigue, plus patrimoniale que sentimentale. Simon Giguet est soupçonné par ses adversaires d’être intéressé et de vouloir se servir du siège de député comme d’un tremplin destiné à lui permettre de prendre… un beau parti. Un nom circule : Cécile Beauvisage, dix-huit ans, fille de bonnetier (ce qui nous vaut une magnifique digression d’une étonnante modernité sur l’industrie de la bonneterie en Champagne au XIXème siècle), elle est présentée comme la plus riche héritière du département, elle aurait même refusé les propositions de mariage du Procureur du Roi et du sous-Préfet ! Une citadelle quasi imprenable.

D’autant que son grand-père maternel, Grévin, un notaire de soixante-seize ans, veille au grain et prépare sa succession : il a acheté dans les beaux arrondissements de Paris un bel hôtel particulier, l’hôtel Beauséant. Ami du Comte de Gondreville depuis soixante ans, il ne verrait pas d’un bon œil le mariage de sa petite-fille avec un futur député d’opposition. Quant à la mère de Cécile, Séverine Beauvisage, elle lui recommande de n’épouser aucun parti d’Arcis : « Vous êtes destinée à briller à Paris ». Une constante chez Balzac : on ne peut guère hélas ! espérer réussir en province.

Un événement imprévisible va redistribuer les cartes. Charles Keller est tué par les troupes d’Abd-el-Kader au moment de la conquête française en Algérie. Simon Giguet a plus que jamais toutes ses chances de se voir élu. Autre rebondissement, l’arrivée à Arcis d’un mystérieux étranger qui refuse, contrairement à la loi, de décliner son identité et le but de son voyage. Les spéculations vont bon train : est-ce un comte ? Un commis-voyageur ? Le fait qu’il se déplace en tilbury rehaussé d’armoiries plaide pour la première hypothèse. Les dernières pages écrites par Balzac éclaireront le lecteur sur ce personnage, un des dandies qui peuplent La Comédie humaine. Reçu par Rastignac devenu ministre (il a fait son chemin : il n’était qu’étudiant en droit dans Le Père Goriot), ce dernier l’incitera à se présenter à Arcis sous la bannière des légitimistes (les partisans du roi Louis-Philippe) et lui apprendra sur la foi d’un premier rapport du sous-préfet, et d’un second du commissaire de police, que Charles Keller n’avait guère de chances d’être élu...

Mais qui sera donc le nouveau député d’Arcis, ville natale de Danton ? En 2012, la circonscription à laquelle appartient la petite ville – la Ière circonscription de l’Aube- avait élu, sous l’étiquette Ump, Nicolas Dhuicq. Selon ses affinités on avait sablé le Champagne, ou pas.

Michel Frontère (membre du Groupe d'études balzaciennnes)

P.S. : on pourra se référer pour approfondir cet article à l’excellente étude de Xavier Bourdenet : « Le roman de l’élection : politique et romanesque dans Le Député d’Arcis » in Balzac et le politique, publié sous la direction de Boris Lyon-Caen et de Marie-Ève Thérenty, Christian Pirot éditeur, 2007

 

[1] On conseillera au lecteur de lire, avant Le député d’Arcis, Une ténébreuse affaire qui forme un dyptique avec le roman inachevé


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