Le destin du ministre de l’Education nationale atteint Blanquer

par Orélien Péréol
vendredi 5 avril 2019

Le destin d’un ministre de l’Education nationale suit un déroulement implacable. La régularité de cette trajectoire devrait nous informer mais nous redécouvrons à chaque fois des raisons singulières, conjoncturelles, dans l’opposition de la profession à l’action du ministre. Le seul moyen pour lui d’y échapper est de ne rien faire d’autre que de régler les affaires courantes (Bayrou ou Chatel), Fillon représentant un cas à part (il a supprimé ce qui était pour les enseignants la source des difficultés de l’école : l’élève au centre, expression du soi-disant « pédagogisme »).

Le ministre arrive et son accueil par les professionnels est scruté par la presse. Spécificité de l’Education nationale. On n’a pas la même chose pour les autres ministères. Il a plus ou moins leur faveur, mais, en général, ils attendent de voir ce qu’il va proposer pour affirmer vraiment ce qu’ils en pensent. Ensuite, le ministre consulte les syndicats longuement et propose des réformes. L’école va mal, elle est désagréable pour tous les participants (professeurs, élèves et parents) et il y a depuis 20 ans des comparaisons internationales qui lui donnent une place médiocre et surtout s’affaiblissant d’années en années, le pire étant que l’école française reproduit les distinctions sociales et que, dans cette dimension politique de son rôle, elle n’est pas non plus bien placée dans le classement international. Normalement, il faut faire quelque chose. Quand ça va vraiment mal, mal à ce point-là, changer ne peut guère qu’aller vers le mieux. On ne risque pas grand-chose à faire autrement.

Donc le ministre propose ses réformes un an ou deux après sa prise de fonction. Si cette prise de fonction est liée à l’élection présidentielle, en mai d’une année 0 (comptons-la ainsi), il commence à proposer au printemps de l’année 1 et les propositions arrivent dans les établissements à la rentrée de l’année 2. C’est un rythme normal et satisfaisant. Au début, la nouvelle politique éducative est toujours bien accueillie (modérément bien, mais sans opposition farouche ni suspicion particulière). Plus se rapproche le moment de son application, plus les critiques montent. Sur le contenu : ces réformes sont dangereuses, elles créent une école à deux vitesses (comme si ce n’était pas déjà le cas !), visent à privatiser l’école, et à former des esprits dociles au capitalisme. Sur la forme : la réforme a été décidée dans la précipitation, elle est confuse et imprécise, elle manque de moyens, elle n’a l’air de rien, presqu’insignifiante, mais en fait, elle bouleverse tout dans un sens extrêmement négatif. Il faut bien la « décrypter ». Les critiques tournent toujours autour de ces grandes lignes argumentaires. Les détails sont mis au même niveau que les questions de principe. Les enseignants informent les parents et la réforme arrive dans les têtes par des dires qui contiennent la critique avant le texte lui-même et même fréquemment à la place du texte lui-même.

Par exemple, créer des liens entre les écoles primaires et le collège dans lequel vont les élèves étaient dans des propositions de Claude Pair en 1998. Il y a longtemps que sont dans les tuyaux des procédés d’unification de l’école. Les enfants n’ont qu’une scolarité chacun et la rupture du collège, d’un point de vue de leur développement psychologique et/ou pédagogique n’a pas de sens. Elle est liée à l’histoire de l’Education en France, qui a fondé son école en deux filières distinctes : une pour tous qui se terminait au CM2 ou aux « fins d’études » pour les meilleurs avec le « certificat d’études ». L’autre filière allait au bac et dans les quartiers riches, les enfants entraient en 11ème (et non pas en CP, cours préparatoire) dans des « petits lycées ». Ils savaient qu’ils étaient sur le chemin du bac, tandis que d’autres, moins fortunés étaient sur le chemin du « certif ».

Avec les trente glorieuses, le baby-boom a explosé ce système sans que personne ne le veuille. Les collèges qui menaient au brevet furent pris d’assaut. On en construisit à la hâte un bon nombre fort mal (comme en témoigne l’incendie du collège Pailleron en 1973, il y avait beaucoup de collèges de ce type). Des sauts dérogatoires du collège au lycée devinrent une quasi-filière. Le collège unique de 1975 (Haby) organisa cette augmentation phénoménale de la scolarisation des petits Français. Ce but d’une meilleure scolarisation pour tous fut augmenté (80% d’une classe d’âge au niveau bac). En principe, tout le monde en est d’accord.

Avec une école obligatoire jusqu’à 16 ans, un socle commun qui est dans la loi et dont personne ne se soucie, unifier cet enseignement minimal accordé à tous en coordonnant les écoles primaires et le collège correspondant par la création des « établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux » (EPSF) est juste organiser l’école en fonction du programme, de son but donc, et ne devrait pas poser de problème.

Cependant, devant la réaction des personnels enseignants, le ministre Blanquer, devant l’accusation de toucher aux directeurs d’école (?) a écrit aux directeurs que lesdits EPSF ne se feraient qu’avec des volontaires. Autrement dit, cela ne se fera pas. Je prends date. Ce n’est que l’ordinaire de la relation d’un ministre de l’Education nationale aux enseignants.

On voit là une application de plus de la loi fondamentale de l'EN qui peut se dire ainsi : on s’accorde à dire que le ministre de l’EN ne peut rien faire sans l’accord des enseignants mais il ne peut avoir l’accord des enseignants que s’il ne fait rien.


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