Le destin national d’Édouard Philippe

par Sylvain Rakotoarison
mardi 14 septembre 2021

« Est-ce qu’un jour j’aurai l’occasion de servir mon pays dans la politique nationale ? Peut-être… Si c’est le cas, j’en serai heureux. » (Édouard Philippe, le 12 septembre 2021 sur TF1).

Dans le paysage politique français, l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe jouit d’une position très singulière. D’abord, parce qu’il est un ancien Premier Ministre justement, et qu’il connaît toute la rudesse du pouvoir, et aussi toute son ivresse. Les rouages de l’État, la stress du pouvoir, la complexité des situations. Ensuite parce qu’il est à un âge (50 ans) qui permet de laisser penser qu’on a un avenir encore à construire.

C’est simple, avant lui, tous ses prédécesseurs encore en vie (ils sont onze) ont renoncé à faire de la politique active. Cultivé, sportif (la boxe), il nourrit ces deux branches qui permettent un esprit sain dans un corps sain. Subtil et intellectuel, Édouard Philippe est souvent introspectif et humble, mais cela n’enlève pas une autorité naturelle qui est celle du bosseur sympathique.

Tellement sympathique qu’il peut se compromettre dans quelques fantaisies comme ses messages subliminaux qu’il transporte pendant toute la journée par l’intermédiaire de ses boutons de manchette (à son départ de Matignon, il a porté ceux qu’on lui avait offerts pour l’occasion, des tongs !). Autre fantaisie qu’il assume bien que très involontaire, sa barbe à moitié blanche, résultat d’une maladie qui n’est pas grave (« ni contagieuse » !) mais qui se voit et qu’il doit effectivement expliquer.

Remercié de Matignon par le Président Emmanuel Macron, Édouard Philippe ne pouvait pas rester silencieux trop longtemps avec la perspective de l’élection présidentielle de 2022. Il s’est confié à la journaliste Audrey Crespo-Mara dans un portrait diffusé au cours de l’émission "Sept à Huit" sur TF1 ce dimanche 12 septembre 2021.

Autant le dire tout de suite, pas de scoop sur son éventuelle candidature, ni en 2022, bien sûr, ni non plus en 2027, bien trop lointain : « Je vais dire les choses le plus clairement possible pour l’élection présidentielle de 2022. Je soutiendrai le Président de la République. Je pense, j’espère qu’il sera candidat et je le soutiendrai pour trois raisons. ». Trois raisons : Édouard Philippe, formé dans les plus hautes écoles, est un homme très structuré et ses exposés sont toujours construits avec une rigueur qui se fait de plus en plus rare dans le discours politique. Ces trois raisons sont la loyauté (« Pour moi, ça compte ! »), la cohérence (il a été son Premier Ministre pendant trois ans).

Et sa troisième raison est plus subtile. En gros, il n’y a qu’Emmanuel Macron "en magasin" pour assurer la mission extrêmement difficile du Président de la République : « [Emmanuel Macron est fait] d’un métal dont je ne vois pas beaucoup la trace dans tous ceux qui sont aujourd’hui candidats à l’élection présidentielle. ». Cela rejoint la confidence de Xavier Bertrand à Éric Zemmour (qui a cafté dans son prochain livre) : « Je sais bien que je n’ai pas le niveau, mais plus personne ne l’a aujourd’hui. La présidentielle, ce n’est pas un examen, c’est un concours. ». En fait, à mon humble avis, deux ont le niveau, actuellement…



L’objectif d’Édouard Philippe serait plutôt de restructurer la majorité présidentielle : « Si, comme je l’espère, le Président de la République est élu, il aura besoin demain d’une nouvelle majorité (…). Moi, je veux participer à la constitution de cette majorité, de cette nouvelle offre politique. Cela me paraît indispensable. Je ne demande pas une place. j’ai été Premier Ministre. J’ai aimé ça. Ce n’est pas le sujet. ».


Pas question donc de penser à 2027 (ce serait « déplacé et absurde »), il aura 56 ans à l’élection présidentielle de 2027. Toutefois, il veut penser à l’horizon 2050, pas en politique politicienne, mais en vision de la France et du monde.

La première phrase citée de l’ancien Premier Ministre, en haut de l’article, semble reprendre la fameuse formule de Georges Pompidou répondant à Jean Dumur de la télévision de la Suisse romande le 13 février 1969 à Genève : « Je ne crois pas avoir ce qu’on appelle un avenir politique. J’ai un passé politique. J’aurai peut-être, si Dieu le veut, un destin national, mais c’est autre chose. J’ai dit, le premier, que le Général De Gaulle est à l’Élysée et que son mandat expire en 1972. Il n’y a donc pas de problème de succession. Ceci étant dit, il y aura bien un jour une élection à la Présidence de la République. ».

Édouard Philippe a délaissé les sources divines pour ne se reposer que sur lui-même : « Lorsqu’on veut servir son pays, il n’est pas inutile de s’y préparer intellectuellement, politiquement, avant de donner le meilleur de soi-même. Cela me paraît indispensable. ». Et il a oublié d’ajouter qu’il s’y prépare aussi physiquement, car la politique est un métier physique, à tel point qu’en trois ans de Matignon, il a vieilli de dix ans ! Il a d’ailleurs expliqué que l’événement qui l’a le plus marqué émotionnellement à Matignon (« le pire moment ») fut la catastrophe de Millas le 14 décembre 2017 (un car scolaire percuté par un train à un passage à niveau, six adolescents tués et quatorze blessés).

Cette remarque sur son avenir qui n’est pas si éloignée de celle qu’il faisait déjà à Tugdual Denis, directeur adjoint de la rédaction de "Valeurs actuelles", dans un livre d’entretien, "La vérité sur Édouard Philippe" sorti le 9 septembre 2021 : « Il n’y a pas marqué sur mon front que j’ai vocation à être numéro 1 et que je ne peux pas accepter d’être numéro 2. Ni que j’ai vocation à toujours rester numéro 2, je vous le garantis. Si un jour je suis élu, c’est moi qui fixerai le cap, croyez-moi ! ».

Concrètement, Édouard Philippe a déjà réuni à Fontainebleau le 29 août 2021 une quarantaine de maires de la droite modérée et du centre qui lui sont proches, pour porter sur les fonts baptismaux une future formation politique. Parmi eux, on peut citer Christian Estrosi (Nice), Hubert Falco (Toulon), Jean-Luc Moudenc (Toulouse), Arnaud Robinet (Reims), Christophe Béchu (Angers), Alain Chrétien (Vesoul), Frédéric Valletoux (Fontainebleau), Arnaud Péricard (Saint-Germain-en-Laye), etc.

Le prochain rendez-vous aura lieu le samedi 9 octobre 2021 au Havre, où ce courant se structurera au cours d’un congrès fondateur. Si aucune ambition présidentielle n’est revendiquée, une autre ambition sera, elle, affichée : celle de peser sur la majorité présidentielle de demain, et donc, celle d’avoir une influence aux élections législatives de juin 2022. Ce ne sera peut-être pas seulement une force d’appoint, car la capacité des députés LREM sortants à se faire réélire est aujourd’hui largement sujet à caution après les échecs répétés de la structure présidentielle aux élections municipales de 2020 et régionales de 2021, montrant la très faible implantation locale des élus de la majorité, souvent novices en politique.

Et l’avantage compétitif de cette nouvelle formation sur les autres, ce qui est un point essentiel sous la Cinquième République, c’est qu’elle aura déjà en son sein un présidentiable tout naturel, le moment venu. Et cela, chez les autres formations politiques, cela manque énormément, tant à droite qu’à gauche…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 septembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


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