Le discours du président au Puy-en-Velay sur les racines chrétiennes de la France : « Pas en notre nom »

par Maxence
mardi 8 mars 2011

À l’instar de nos concitoyens qui ont leurs racines dans le monde arabo-musulman et qui avaient formulé un vigoureux « pas en notre nom » au moment des attentats antichrétiens dans le monde arabe, à l’initiative du magazine Respect et relayé par Libération, il faudrait que tous ceux qui en France se sentent héritiers d’une culture chrétienne, croyants ou non, que tous ceux qui sont en accord avec le champ éthique déployé par l’Évangile, puissent eux aussi formuler un vigoureux « pas en notre nom » quand on brandit l’identité chrétienne de la France à des fins politiques et partisanes. Il faut bien sûr ne pas confondre ici, le sang versé par la haine la plus rétrograde à Bagdad puis Alexandrie et là, les habiletés politiques du Puy-en-Velay dictées par une pré-campagne présidentielle qui situe Marine Le Pen en tête au premier tour devant un chef de l’État fragilisé.
 
Mais, mutatis mutandis, les gens de culture chrétienne peuvent à juste titre se sentir pris en otages par les propos d’un président qui certes a le droit de visiter les cathédrales comme d’insister sur la défense du patrimoine, mais qui sait très bien de quelle valeur performative particulière sa réaffirmation des racines chrétiennes de la France se teinte. Car, si nul n’ignore que celle qui fut longtemps la fille aînée de l’Église, s’ancre dans un terreau chrétien comme romain, quel sens cela a-t-il de le répéter et d’insister lourdement sur « l’âme » française (« il est évident que la France a aussi une âme »), dans les circonstances que l’on sait et à l’endroit même où débuta la première croisade. Les quelques allusions à la très ancienne synagogue de Clermont, aux inscriptions en écriture coufique (et non « soufique ») sur les portes de la cathédrale, aux Lumières et à Ernest Renan pour faire bonne mesure, sentent l’à peu près et l’argutie. En réalité, il s’agissait au moins autant de célébrer un patrimoine de la France éternelle que de reprendre la main en faisant oublier à quel point la diplomatie française était passée à côté (malgré une forte présence de nos ministres sur le terrain) des commencements du printemps arabe en s’érigeant comme éventuel rempart face aux foules de Tunis ou du Caire, désormais libres, et qui donc ne manqueraient pas de nous envahir en traversant la Méditerranée.
 
Après le débat calamiteux sur l’identité nationale, la loi maladroite sur la burqa, il fallait aussi « trianguler » face à une Marine Le Pen qui a fait de la laïcité son nouveau cri de guerre, qui a compris tout l’intérêt de brandir (et de tordre) à sa façon les valeurs de la République, mais qui, ce faisant, délaisse un peu son aile catholique. Les déclarations inopportunes du maire de la ville Laurent Wauquiez, qui constatait l’éloignement entre les berges du Potomac où loge DSK et sa « colline inspirée » du Puy-en-Velay, venaient rendre tout à fait clair le sens profond de ce beau discours, sens qui sera sans doute encore approfondi par les débordements qui ne manqueront pas d’être associés au nouveau débat sur la laïcité que lance l’UMP.
 
Une des forces de la religion chrétienne est justement, dès l’apôtre Paul, d’avoir proposé une vision universelle de l’homme, au-delà de telles ou telles racines, au-delà des Juifs et des Romains, comme en témoignent les coptes ou les chrétiens d’Irak, conception qui s’est retrouvée jusque dans les Lumières qu’on lui oppose quelquefois trop frontalement. Cette dimension universelle est assez loin de la dialectique entre identité et diversité que nous a servie le président, en invoquant habilement les mânes de Claude Lévi-Strauss, qu’à ce rythme-là on va finir par ériger en maître à penser post mortem du Bloc identitaire. Au-delà de la sortie de route présidentielle en matière de laïcité, c’est l’instrumentalisation de ces racines chrétiennes par un discours politique qui les trahit dans leur profondeur, qui est insupportable. Alors oui, que tous ceux qui se sentent effectivement héritiers pas seulement des murs, fussent-ils magnifiques ou romans, mais aussi des valeurs chrétiennes, mais qui ne souhaitent pas les voir ériger en outil de propagande, en arguments pour justifier tous les renfermements, toutes les exclusions et toutes les peurs, disent eux aussi « pas en notre nom ».

Lire l'article complet, et les commentaires