Le double langage de la langue de bois

par olivier cabanel
lundi 5 janvier 2015

Nos énarques ont consacré une bonne part de leurs études à supprimer les mots qui fâchent, et à coup d’éléments de langage, de gestes convenus, de calculs sophistiqués, portés par la volonté de séduire, ils nous imposent une insupportable langue de bois.

Heureusement les moyens sont nombreux pour démasquer le mensonge, la manipulation, en décryptant les attitudes, l’apparence, et en écoutant la « musique des mots », car bien souvent, ces techniques démontrent l’importance du décalage entre ce qui est dit, et la réalité.

Prenons comme sujet d’étude l’allocution que François Hollande à proposé aux français lors de ses vœux présidentiels pour 2015.

Faut-il voir dans la cravate de travers et la position des épaules la confirmation de la tendance socio-libérale prise au début de l’an dernier ?

En effet l’épaule de droite, tout comme sa cravate, penchait nettement à droite. photo

Ce qui est certain, c’est que cet homme qui vante les vertus du travail siégeait devant un bureau vide de tout dossier.

Plus sérieusement, on peut utiliser la science sophistiquée de Joseph Messinger, qui permet de décrypter la pensée de ceux qui s’expriment à travers leurs gestes, et lors des vœux présidentiels, il est intéressant de constater le décalage entre les mots prononcés par le président, et les gestes qu’il fait en même temps.

Par exemple, s’il faut en croire les études de Messinger, au début de l’intervention présidentielle, ses mains sont posées à plat sur le bureau, alors qu’il dit « je pense aux familles qui s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants » puis plus tard « nous avons donc tous les raisons d’avoir confiance en nous »…

Or cette position des mains est dans un climat mental « sceptique » : le fait de cacher ses paumes est une manière de dissimulation et un refus d’accorder du crédit à son interlocuteur, les mains ne sont pas libres, donc non créatives, prouvant qu’il manque cruellement de subtilité.

D’autre part les mains posées sur la table doigts à moitié refermés ont une signification complémentaire : dans le cadre d’un climat mental « versatile » : il pense toujours que la fatalité le punit d’une faute qu’il n’a pas commise. Lorsque le sort lui est favorable, il croit que tout lui est permis et son climat mental retrouve une vigueur toute montagnarde. S’il est dans une mauvaise passe (ce qui est le cas), il peut devenir indélicat, voire pas très honnête.

Plus tard, (curseur à 2’39’’ et à 5’40’’) alors qu’il affirme « notre ambition, c’est la lutte contre le chômage », il pose une main sur l’autre.

Or cette posture, pour Messinger, à une signification : Dans un climat pessimiste, « il pense que… » répète-t-il comme un mantra. En fait, il n’a sûrement jamais pensé de toute sa vie. Rien qu’à l’idée que ses neurones désactivés puissent un jour sortir de leur narcolepsie, ça lui flanque de l’urticaire…dixit Joseph Messinger.

Plus loin, (curseur à 4’35’’) alors qu’il parle de « justice sociale », il pointe son doigt vers le téléspectateur.

Cette attitude, décryptée par Messinger, se situe dans un climat mental de mépris : « il sait esquiver ses responsabilités avec un brio que beaucoup pourraient lui envier (…) il vous fera suer jusqu’à la fin du programme et vous vendra au plus offrant si son intérêt le lui commande (…) pour lui, vous êtes un quidam sans consistance, un chien qu’on abandonne quand vient l’été ».

Nous voilà prévenus.

Extrait du livre de Messinger « ces gestes qui vous trahissent » ‘(first éditions-1999). lien

La vidéo de l’allocution est sur ce lien

Sur le fond du discours, les éléments de langage n’offraient pas la moindre aspérité…et il n’a pas insisté autrement sur l’échec de la vision qu’il avait eu début 2014, lorsqu’il avait annoncé la fameuse « inversion de la courbe du chômage », qu’on attend encore aujourd’hui, une année après.

il a une fois de plus abordé le thème de l’environnement, en promettant pour bientôt une « déclaration sur les droits de l’humanité pour préserver la planète »…sauf que sur le fond, et dans la réalité, la transition énergétique, attendue depuis près de 3 ans, n’a pas accouché de grand-chose, à part une relance de la voiture électrique, qui va provoquer une consommation encore plus importante d’électricité, et donc justifier encore plus l’énergie nucléaire.

Une phrase est à retenir particulièrement, (curseur à 5’54’’) : « écartons les discours qui trompent et qui abusent le peuple », phrase qui ne manque pas de sel, si on veut bien se souvenir du « moi Président »…

François Morel, chez « Médiapart  » a proposé des vœux nettement plus passionnants. lien

Le terrorisme de la langue de bois ne connait pas de limites, ce qui a poussé quelques-uns à proposer des ateliers de désintoxication du langage.

Frank Lepage, et quelques autres, démontre dans cette courte vidéo, la honteuse manipulation dont nous sommes de plus en plus souvent l’objet.

En prenant 17 mots au hasard, il construit, en quelques secondes, un discours totalement abscons, qui emportera pourtant tous les suffrages.

Lepage fait partie d’une Scop crée en 2007 (société coopérative et participative), le Pavé, et au sein de cet organisme, propose un utile travail d’éducation populaire, qui devrait permettre à tout un chacun, de débusquer les manipulations dont nous sommes les jouets. lien

Les énarques ont donc changé la donne, et le capitalisme devient le développement, la domination se camoufle en partenariat, l’exploitation mute en gestion des ressources humaines, les exploités sont devenus des défavorisés, le patron devient un collaborateur, et le banquier se change en partenaire… mais la réalité est la même.

Ainsi les pays sous-développés sont passés au stade de pays émergents, les aveugles sont seulement des non-voyants, les chômeurs sont des candidats à l’emploi…

Tous les moyens sont bons pour brouiller les cartes, en passant par les anglicismes qui changent le contremaitre en coach, par les oxymores qui, d’un coup de baguette magique, font de la fragilisation une flexi-sécurité, par des enjoliveurs qui font du balayeur un technicien de surface… et tout le reste à l’avenant.

L’idée porteuse de tout ça, comme l’explique Filipe Marques, c’est de mettre un terme positif à coté d’un terme négatif, pour le rendre sympathique…

On peut aussi s’amuser, grâce à ce blog, à pratiquer facilement la langue de bois, et s’en souvenir lors des prochains discours de nos hommes politiques.

Mais il y a d’autres moyens de décrypter la langue de bois, et André Manoukian, cet animateur musicologue averti, a fait récemment un travail original en analysant un discours de François Hollande, celui qu’il a prononcé après la claque des municipales, en mettant des notes sur les mots prononcés, et le résultat est tout à fait passionnant.

L’explication vaut le déplacement, libre à chacun de la valider, ou pas, et le plus simple est d’écouter les propositions de Manoukian sur ce lien. (curseur à 18’10’’)

Comme il l’explique, quand un homme politique parle, il a deux discours, le texte qui est dit, et ce que l’on peut découvrir dans la musicalité de la voix.

Ainsi il nous fait découvrir que lorsque Hollande dit « françaises, français », il se trouve sur la gamme pentatonique, celle que François Truffaut pratiquait dans rencontre du 3ème type, lorsqu’il tentait de communiquer avec les extra-terrestres.

Hollande nous considèrerait donc comme des E.T  ?

Entre les chromatismes qui s’infiltrent, et les appogiatures qui s’invitent, André Manoukian nous fait apparaitre sous un jour original le discours du président de la république…glissant involontairement la célèbre chanson de Gainsbourg « je suis venu te dire que je m’en vais  », et prouvant au passage que le chef de l’état a la fibre Jazz, puisqu’il y a, d’après Manoukian, du Misty dans le discours présidentiel, célèbre standard de Jazz, dont le thème est « regarde moi, je suis aussi désemparé qu’un petit chat dans un arbre »…

Étonnant non ?

Plus étonnant encore, l’animateur musicien nous fait découvrir que le Président est aussi un accro à la Bossa, lorsque dans une courte litanie « pas assez de changement, encore trop de lenteurs, pas assez d’emploi, encore trop de chômage, pas assez de justice sociale…  ».

À croire que François Hollande s’est trompé de métier et qu’il ferait des merveilles en chanteur Jazz, ou même Bossa Nova ?

L’avenir nous le dira, car il est probable que, sans lire dans le marc de café, la France va continuer de s’enfoncer dans la misère, à moins que finalement, le chef de l’état revienne aux promesses faites en 2012.

Le 5 janvier, sur l’antenne de France Inter, François Hollande est l’invité, et l’auditeur aura tout le loisir de constater la maitrise, en matière de langue de bois, du chef de l’état. lien

Les auditeurs auront aussi la parole, mais vont-ils aussi utiliser la langue de bois ?

Comme dit mon vieil ami africain inspiré par Michel Audiard : « parfois, il mieux vaut se taire, quitte à passer pour un con, que de l’ouvrir et ne laisser aucun doute sur le sujet ».

L’image illustrant l’article vient de « www.passerelleco.info&raquo ;

Merci aux internautes de leur aide précieuse.

Olivier Cabanel

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