Le fixisme des identités

par Orélien Péréol
samedi 24 décembre 2022

Les luttes sociales sont passées de la critique de l’exploitation à la critique des « rapports de domination ».

La plus forte théorie de sortie de l’exploitation était le marxisme : Marx avait analysé l’existant, et tracé les grandes lignes du chemin vers la révolution prolétarienne qui résoudrait tout. On sait maintenant que cette politique n’a pas donné de bons résultats. L’exploitation capitaliste continue.

Dans la nouvelle vision, les « rapports de domination » sont fixes, liés à la place sociétale qu’on a à la naissance, qui s’appelle dorénavant l’identité. Nous appartenons à des communautés et tout le reste en découle. La seule perspective et la seule pratique est de « respecter » la fixité de ce lien, la dire, la redire, la répéter, la défendre contre les attaques, s’en montrer fier. La sortie de cet état de fait, de ce mode de discours et de ces pratiques de défense et de fierté n’est pas envisagée, et pour cause, il n’y en a pas.

Les cultures n’ont pas de propriétaires

 

Chacun se trouve ainsi assigné à une position dans les rapports de force entre les groupes sociaux, rapports de force statiques dans des groupes statiques.

L’autre aspect du discours identitaire fixiste est qu’il se situe par rapport à l’idéal parfait. Une société qui veut pratiquer l’égalité en droit comme la nôtre n’y parvient pas parfaitement. Dans le discours identitaire, elle est condamnable.

Une société qui ne cherche pas l’égalité en droit entre ses membres, il y en a, arrive beaucoup plus facilement à se rapprocher de ses valeurs.

Notre connaissance de l’histoire des hommes nous dit qu’une société parfaitement égalitaire en droit est impossible, toute société a nécessairement des groupes et les groupes incluent leurs membres et excluent les autres. Toute société a des strates, et ces strates ont des rapports hiérarchiques, certaines strates ont plus d’avantages, de biens, de terre, de serviteurs, de temps libre, d’honneur… que d’autres. L’imperfection de la vie, dans le domaine de l’égalité des places, est invincible. Lutter contre comme nous le faisons est admirable et si cela ne marche pas assez bien, si les résultats sont médiocres, il vaut mieux les garder en tête, poursuivre les idéaux et mettre en œuvre les moyens de s’en rapprocher.

Les tenants de l’identité inamovible tiennent un autre raisonnement : puisque vous ne réalisez pas l’égalité que vous prônez, c’est que vous n’êtes pas sincères, que vous dissimulez par ces idéaux votre volonté d’écrasement de l’autre. Cela découle de la pensée fixiste : les choses sont comme elles sont et si elles sont mauvaises, c’est que vous les voulez mauvaises. En l’absence de modalités d’action et de transformation, on peut voir les discours identitaire comme des prière : « Puissants, votre puissance nous nuit ; il faudrait que vous changiez. »

 

La rigidité de cette vision identitaire de l’humanité augmente même avec le temps.

Apparaissent de nouvelles notions, comme « l’appropriation culturelle » : chacun chez soi, vous ne pouvez pas représenter quelqu’un d’une autre identité que la vôtre. Une nouvelle version de « la petite sirène » a été tournée avec, dans le rôle-titre, Halle Bailey, une actrice une actrice de la communauté afro-américaine. Cela crée un tollé sur les agoras du web (les réseaux sociaux, si vous préférez) : racisme et appropriation culturelle.

 

 Au théâtre 13, une pièce « Pour un temps sois peu » a été annulée parce que le rôle d’une femme transgenre devait être joué par une femme. Ce n’est plus possible.

Le travail d’acteur consistait précisément à se mettre dans la peau de personnages autres que soi (Paradoxe sur le comédien de Diderot) ; c’était une erreur, elle est corrigée, (je plaisante), c’est fini.

 

La puissance que prend ce fixisme est désolant. Nous sommes tous métissés, nous sommes tous nés d’une femme et d’un homme. Une femme qui veut un enfant ne peut pas s’imaginer qu’elle appartient à la communauté des femmes et qu’elle fera son enfant dans cette communauté. Un homme qui veut un enfant doit aussi se rapprocher d’une femme et ne pas rester dans sa « communauté ».

La vie n’est faite que de tissages, de mélanges, d’empiètements, de passations, de transmissions, tout y est mouvement, transformations, métamorphoses. Les cultures sont des êtres vivants et profitent de ce qui passe à leur portée pour bouger, évoluer, grandir, s’augmenter…

Pour sortir de ce fixisme total, il faut bien sûr ne pas le pratiquer soi-même et montrer son inanité chaque fois que la censure identitaire gagne, lutter contre avec calme et respect, détermination et argumentation.


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