Le Frexit : l’angle mort de la présidentielle

par Laurent Herblay
mercredi 8 septembre 2021

La question semblera incongrue à beaucoup. Le sujet semble avoir été clôt en 2017, avec la déroute d’une Marine Le Pen incapable de défendre l’idée d’un retour à une monnaie nationale, et son recul sur le sujet entre les deux tours. Malgré le Brexit, le sujet a déserté les médias, comme s’il était radioactif, le faible succès des listes s’en réclamant lors des élections européennes ayant probablement accentué le phénomène. Et si, au contraire, cette idée revenait sur le devant de la scène en 2022 ?

 

 

Un contexte particulièrement favorable

Trois partis seulement, l’UPR de François Asselineau, les Patriotes de Florian Philippot et République Souveraine de Georges Kuzmanovic, tous les trois candidats à l’élection présidentielle, défendent clairement cette idée. Mais leur audience électorale limitée fait que même les souverainistes les plus convaincus hésitent aujourd’hui à avancer à visage découvert, pas toujours par peur de la réaction des médias, mais plutôt parce qu’ils craignent que cela soit toxique électoralement. C’est ce qui fait que, depuis 2017, la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le RN de Marine Le Pen ont reculé sur le sujet, le premier pour rester compatible avec le reste de la gauche, la seconde, par facilité argumentative.

Pourtant, en reprenant les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, il est frappant de constater que 49,6% des Français avaient voté au premier tour pour un candidat évoquant le Frexit (Le Pen, Mélenchon, NDA, Asselineau, Cheminade) ou présentant un programme totalement incompatible avec l’UE (Lassalle, Poutou, Arthaud). Ce qui est vu comme une proposition repoussoir ne l’était finalement pas tellement en 2017, dans un contexte qui n’était pourtant pas spécialement porteur : l’économie allait mieux, la crise de la zone euro n’était plus qu’un lointain souvenir et le Brexit, présenté comme un désastre à venir pour les Britanniques, était alors encore incertain et virtuel.

En 2022, le contexte n’est-il pas extraordinairement plus porteur ? La réalisation du Brexit est venue comme un démenti féroce aux dires de ses détracteurs. Hors de l’UE, la Grande-Bretagne était sensée ne pas pouvoir accéder aux vaccins ? Elle a été bien plus rapide que la lourde et bureaucratique UE. Son économie était sensée en pâtir ? Au contraire, elle rebondit plus vite que l’UE, son commerce s’équilibre avec ses partenaires européens, et les bas salaires y progressent vite, tant du fait de l’action publique, que du Brexit, qui a limité les flux migratoires. En outre, on ne peut pas dire que l’UE a été à la hauteur pendant la crise sanitaire, entre le fiasco de l’approvisionnement des vaccins et son plan de soutien, aussi ridiculement petit qu’extraordinairement tardif et épouvantablement complexe.

Bien sûr, il n’y a pas une majorité de Français favorables, à froid, à un Frexit, mais au cœur de la crise des Gilets Jaunes, 40% des citoyens s’y disaient favorables. Et à froid, les sondages sont toujours beaucoup plus favorables à l’UE que les résultats d’un vote centré sur ce sujet, comme l’ont montré 1992 et 2005, où les sondages ne donnaient que 31% au non au début... Le potentiel du Frexit dans cette campagne est d’autant plus important que les deux grands partis qui l’évoquaient en 2017 s’en sont éloignés, laissant de facto en déséherence les nombreux citoyens qui y sont favorables ou souhaiteraient mettre ce sujet au cœur de la présidentielle. Autant les opposants à l’UE pouvaient exprimer leur opinion par un bulletin Mélenchon ou Le Pen en 2017, autant cela sera moins vrai en 2022.

Bien sûr, cela n’a pas permis aux listes de l’UPR et des Patriotes de faire une percée lors des élections européennes. Mais il faut rappeler que la participation était bien plus faible qu’aux élections présidentielles, et que l’électorat qui s’abstient est, typiquement, celui qui est opposé à l’UE. En outre, la campagne s’est focalisée sur la liste qui arriverait en premier, LREM ou RN, poussant à une concentration des suffrages anti-système sur la liste de Jordan Bardella. Enfin, on peut aussi y voir les limites de l’offre présente alors, entre la grande jeunesse du mouvement de Philippot, et certains partis pris d’Asselineau, qui consacrait une part non négligeable de son temps à critiquer son comparse de Frexit, et dont le discours est parfois plus celui d’un constitutionnaliste ou un conférencier que d’un politique.

L’election présidentielle est le moment où le plus grand nombre s’exprime. Il y a donc un réservoir d’électeurs, globalement très critique à l’égard des politiques menées depuis des décennies et très hostiles à l’UE qui vont s’exprimer. Et dans le climat très clivant entretenu par Macron, on peut penser qu’une part importante des Français favorables au Frexit préféreront un candidat clair sur le sujet plutôt qu’un candidat fuyant la question, et dont le discours serait finalement trop proche de tant d’élus qui ont déçu. C’est au contraire la clarté et la radicalité d’une position forte sur le sujet qui pourrait rassembler les Gilets Jaunes d’hier. Il me semblerait très étonnant que les promesses intenables dans le cadre européen actuel sans proposer de trancher ce nœud gordien, puissent rassembler les indignés de notre époque.

Après, la question qui se pose, c’est de savoir si un chef relativement seul médiatiquement peut créer la surprise, même si cela est permis par nos institutions. L’autre option serait un rassemblement des partisans du Frexit. Et si cela permettait de rassembler tous ces Français d’ors et déjà prêts à dire au revoir définitivement à l’UE ? Cela reviendrait à un billet pour le second tour…


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