Le Front de gauche : l’extrême gauche ?

par Amandine
samedi 26 mai 2012

Les législatives sont au cœur des débats politiques et la candidature de Jean Luc Mélenchon contre Marine Le Pen à Hénin-Beaumont est au centre de l’actualité. Présenté comme un 3ème tour des présidentielles, nous assistons selon une grande partie de la Presse à « un combat de coqs ». Ce nouveau courant qu’est le Front de gauche, né du rassemblement d’une dizaine de partis autour d’un même programme, bénéficie ainsi de cette polarisation médiatique de son principal porte-parole. Au-delà de la notoriété indiscutable de JL Mélenchon, qui tantôt séduit et impressionne, tantôt agace, qu’en est-il, sous le prisme des médias, de la place donnée au Front de gauche sur la scène politique ?

« Seulement » 11,1% de voix pour le Front de gauche : mauvais sondages ou mauvaises analyses ?

Le 22 avril 2012, le Front de gauche termine 4ème aux élections présidentielles, sortant de cette longue campagne avec un résultat honorable, bien qu’en dessous des espoirs donnés par de nombreux sondages, qui venaient à mettre Jean Luc Mélenchon devant Marine Le Pen une dizaine de jours plus tôt (le sondage CSA du 12 avril mettait le Front de gauche à 17% tandis que le FN était estimé à 15% d’intentions de voix). Les mots utilisés par les journalistes fusent pour exprimer la surprise et la déception que ne peuvent que ressentir les représentants du Front de gauche et Jean Luc Mélenchon au terme de ce premier tour. Comment se dernier ne pourrait-il pas être amer et déçu, lui qui se voyait déjà le 3ème homme ? Les Instituts de sondage, influencés par l’engouement et l’ampleur des rassemblements du Front de gauche, auraient surévalué volontairement les intentions de vote et la ferveur constatée par les médias autour du Front de gauche n’aurait était qu’un leurre, qui représenterait seulement les voix minoritaires d’extrême gauche.

Cependant, n’en déplaise aux spécialistes, les derniers sondages tombés une semaine avant les élections annonçaient déjà une baisse tendancielle d’intentions de vote en faveur de Jean Luc Mélenchon. 

Le 19 avril, le même Institut CSA mettait JL Mélanchon à 14,5%, BVA et IPSOS à 14%, tandis que TNS SOFRES l’estimait à 13%. Sachant que la marge d’erreur reconnue dans les sondages est de 3%, on peut en conclure qu’une partie de l’électorat potentiel du Front de gauche n’a finalement pas acté son vote comme il l’avait décidé une ou deux semaines auparavant.

Nombreuses et variées ont été les raisons évoquées par les journalistes, les éditorialistes et les représentants des Instituts de sondage, pour expliquer ces revirements électoraux. Parmi celles-ci, relevons les principales :

La première, quelque peu empirique mais qui a sans doute une part de véracité : des électeurs au prime abord séduits par un candidat jusqu’alors inconnu, auraient finalement porté leur voix sur d’autres candidats ou se seraient abstenus. Ainsi, JL Mélenchon aurait bénéficié durant quelques semaines d’un effet de mode encouragé par les médias, qui se serait essoufflé une à deux semaines avant le premier tour, suite à une médiatisation moins importante, mais aussi des sondages moins favorables durant les derniers jours. On pourrait comparer cette attitude électorale plausible à une bulle spéculative, où l’on cherche à « investir » dans un candidat dont l'opinion et les sondages le portent dans les favoris de manière soudaine et notable.

Seconde explication défendue par certains spécialistes et à juste titre par les militants, un électorat naturellement de gauche influencé par l’argument du vote utile, ressassé inlassablement par les membres du PS et appuyé par ses medias partisans, dont en première ligne Le Nouvel Observateur, Le Monde et Libération. A titre d’exemple, quelques jours avant les élections, une page double et un grand titre du Monde du 9 avril, consacré à la montée dangereuse du Front National chez les jeunes selon un sondage CSA, contesté un peu tard dans les semaines qui suivirent.

Sans revenir sur le caractère irrationnel de cet argument qui fait appel au traumatisme de nombreux électeurs lors du 2nd tour des présidentielles de 2002, rappelons que le report des voix sur F. Hollande au détriment de JL Mélenchon a produit exactement l’inverse de l’effet recherché : à savoir un Front National renforcé qui durant l’entre deux tour a envahi l’espace médiatique, permettant ainsi de banaliser le discours erroné d’une immigration grandissante en France, devenue forcément un problème en temps de crise. Ainsi avons-nous assisté dans l’actualité à une sur médiatisation des obsessions sur lesquelles se base le discours de l’extrême droite : l’immigration, la viande hallal et l’assistanat généralisé. Devenus les trois grands thèmes indistincts de cette campagne de l’entre deux tour, un lien implicite s’est tissé dans l’inconscient collectif entre ces trois notions, avalisant ainsi la stratégie du FN dans le but évident de stigmatiser la population musulmane. De l’étranger, on pouvait croire en lisant les grands titres de la presse nationale que LA priorité des français relevait de cet amalgame fondé uniquement sur des impressions et des a priori qui ont la vie dure, d’autant plus lorsqu’ils sont relayés comme une information dans les médias. 

− Troisième élément évoqué pour expliquer le désistement d’une partie des intentions de vote en faveur du Front de gauche : un discours et un programme qui ont, comme le PS, mis de côté l’électorat populaire, en refusant de faire de l’immigration un élément central de la campagne, alors qu’elle représente un problème essentiel aux yeux de la majorité de la population.

Parmi les défenseurs de cette analyse, Eric Zemmour, qui a évoqué le discours de Jean-Luc Mélenchon sur les plages du Prado à Marseille comme la démonstration définitive de la fracture intellectuelle entre la gauche et le vote populaire, notamment le vote ouvrier, parce qu’il avait eu l’audace de présenter le métissage comme une force pour la nation et non un problème. Entendons par là que selon Eric Zemmour, les classes populaires auraient préféré le FN au Front de gauche, parce qu’elles seraient, au mieux hostile à l’émigration, au pire foncièrement racistes.

Au-delà de toutes ces analyses qui en disent peut-être davantage sur la manière de penser de leurs auteurs que sur le résultat du Front de gauche, il y a un aspect des élections présidentielles dont aucun spécialiste ni aucun média n’aura pensé ou voulu évoquer clairement : celui de la peur des extrêmes.

· La peur des extrêmes, garante de l’oligarchie en place

Le Front de gauche s’évertue pouratnt à répéter inlassablement dans la presse et durant ses meetings qu’il n’est en aucun cas un courant d’extrême gauche, mais qu’il est l’évanescence de ce qui a toujours défini la gauche traditionnelle, à savoir sa volonté de réformer l’ordre social dans un sens égalitaire où le progrès social en est le moteur.

Le Front de Gauche propose une révolution, certes, mais citoyenne, c'est à dire par les urnes. Son programme politique est fondé entièrement sur les valeurs de la démocratie et de la république, héritier des luttes sociales dont nous bénéficions encore aujourd’hui, garantes de la défense de l’intérêt Humain devant la politique néolibérale injuste et antidémocratique menée par une poignée de technocrates nommés à la tête de l’Europe et de la BCE. 

Dans cette ère où il est naturellement admis qu’un pays doit savoir renoncer à ses acquis sociaux durement gagnés au nom du néolibéralisme présenté comme la seule issue possible et favorable à la majorité, il est difficile pour les médias et les intellectuels d’imaginer qu’un autre projet de société puisse être envisageable sans qu’il ne soit qualifié d’extrême.

Peut-être est-ce rassurant pour l’oligarchie que constituent le grand patronat, les politiques au pouvoir et les medias tenus en laisse par les grandes industries qu en sont les actionnaires, de penser que le modèle dans lequel nous vivons est le seul possible. Ainsi assistons-nous plus que jamais à une pensée unique ressassant à qui veut l’entendre, que dénoncer le modèle ultra capitaliste revient forcément à se tourner vers l’extrêmisme et risquer ainsi de retomber dans les dictatures les plus odieuses de l’Histoire.

Ainsi, un rapprochement superficiel entre Jean Luc Mélenchon et Staline par des parallèles grossiers n’est plus uniquement l’apanage des militants FN et de la droite populaire, amateurs de propagandisme, il devient également un procédé courant dans les grands médias. Le message, bien que simpliste et déconcertant par sa vacuité, devient une évidence.

Les contre-vérités faisant l’amalgame entre les dictatures et le Front de gauche sont assénées partout au point de ne plus choquer personne, pas même les intellectuels. Ainsi, en première ligne, le très vite dit philosophe Michel Onfray consacre un article dans un numéro spécial du Nouvel Observateur à Jean Luc Mélenchon, prétendant sans vérifier ses sources que ce dernier ose défendre le régime cubain et Fidel Castro. Jean Luc Mélenchon n’a-t-il pas assez répété sur les plateaux télévisés qu’il ne considérait en aucun cas ce pays comme un modèle, et encore moins une démocratie, mais qu'il dénonçait surtout l'embargo économique, commercial et financier des Etats-Unis à l'égard de ce pays ?

L’oligarchie peut être rassurée, le peuple a bien entendu son discours et ne peut imaginer le Front de gauche autrement que comme un extrême dangereux pour notre démocratie. Mais n’ont-ils pas remarqué que les partis rassemblés sous l’étiquette du Front de gauche, notamment le PC, sont déjà depuis des années des acteurs institutionnels de la vie politique et qu’ils sont les premiers, et parfois les seuls, à défendre sur le terrain, aussi bien dans les mairies, au parlement français et européen que dans la rue, les acquis sociaux et les valeurs républicaines de de notre pays, clés de voûte de notre démocratie ?


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