Le Front de Gauche : la mystification des euro-fédéralistes
par jean-jacques rousseau
mardi 2 octobre 2012
"Le Front de gauche a constitué une force politique cohérente, quand Ayrault et Hollande ne font que diviser la gauche". Cette déclaration de Jean-Luc Mélenchon, sur la chaîne LCP - Assemblée nationale, retient notre attention. Elle porte deux affirmations : La coherence politique du mouvement dont il est le chef, le rejet de la responsabilité de la division "de la gauche" sur d'autres... Cette analyse s'inscrit dans le débat autour du Pacte budgétaire européen que se propose de ratifier le gouvernement Ayrault sous la forme d'une loi organique votée par le Parlement.
Plusieurs organisations - dont le Front de Gauche - contestent ce mode de ratification et exigent un référendum. Dimanche 30 septembre une manifestation est organisée à Paris pour réclamer une consultation populaire sur ce Traité et contester la politique d'austérité qui semble imposée par le texte.
Mais qui ne s’aperçoit pas - malgrè tout les talents oratoires du tribun - de l'incapacité à produire des analyses correctes, du manque de cohérence du Front de Gauche et de cette mystification euro-fédéraliste ? Quel est donc l'intérêt de M. Mélenchon de proposer une stratégie politique absurde et sans issue ? Chercherait-on a diviser et décourager les forces démocratiques pour mieux ruiner la République ?
Il est certain que cette entrée en matière semblera abrupte et sans fondement pour beaucoup. Il n'est pas suffisant de mettre en cause la ligne politique du Front de Gauche sur une simple intuition. Cet article se propose donc de contribuer au débat sur cette question et d'appuyer la démonstration par des arguments concrets.
L'année 2012 a été riche d’événements : les présidentielles, les législatives, le débat actuel du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Autant de rendez-vous qui nous permettent de faire le point sur la cohérence prétendue du Front de Gauche et les points forts de sa propagande politique.
On s’aperçoit alors d'une pénible ambiguïté, d'une sorte de double discours, d'analyses tronquées et insuffisantes comme si - mystérieusement - le Front de Gauche manquait de matière grise ou n'osait pousser ses analyses jusqu’à leurs conséquences logiques.
Reprenons les appels à la mobilisation contre le TSCG pour vérifier les arguments qui conduisent à s'opposer à la ratification gouvernement socialiste. Ils s'avèrent incomplets et étrangement produisent une étrange convergence avec la propagande euro-fédéraliste.
Le but poursuivi par le Front semble étrangement de soutenir les institutions et processus antidémocratiques de l'Union européenne. Pour ce faire, il s'agit d'occulter les fondements monétaristes de la BCE pour agiter une véléité de renégociation du projet d'austérité - pourtant techniquement indispensable au maintien de la monnaie commune ! Ne s'agirait-il pas aussi de camoufler les postulats impérialistes ou euro-fascistes qui ont alimentés la "construction européenne" pour mieux défendre alors une prétendue "solidarité" ou "indépendance européenne" ?
Mais a bien y regarder cette ambiguïté est la même qui a traversé tous les discours idéologiques, les thèmes de campagne tant présidentielle que législative. Moments critiques où bien peu de choix ont été proposé - ou plutôt imposés a partir des instances dirigeantes - d'utiles et décisifs pour faire basculer les lignes politiques en faveur des forces vives, militantes pour un renouveau démocratique en France.
C'est pourquoi ceux qui aiment la France et admirent son rôle historique en faveur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les citoyens qui reconnaissent l'utilité et la nécessité du principe de la souveraineté nationale pour agir contre l'oppression impérialiste et financière qu'elle émane de Wall Street, de la City, de Francfort, ou d'ailleurs sont déçus et se sentent floués... Ils ne peuvent plus se retrouver dans les slogans simplistes, les défaillances logiques, les fanfaronnades inutiles d'un Front de Gauche qui ne sera jamais un Front populaire et encore moins un Front du Peuple ! Selon toutes évidences...
Première évidence : la convergence euro-fédéraliste
L'opposition du Front de Gauche au TSCG n'est pas un mouvement contre l'Union européenne contrairement à ce qu'on pourrait croire mais plutôt contre sa ratification par voie parlementaire et à la politique autoritaire vers l'austérité qu'il induit.
Cette prétendue "opposition a une politique d'austérité" s'est illustrée par plusieurs appels et manifestes.
Ce qui surprend c'est que le Parti fédéraliste européen affirme avoir lui-même initié une pétition contre ce traité dès le mois de février. Il communique sur ce sujet : "Le changement récent de majorité n’a pas fait évolué le texte dans le sens que nous souhaitions. Le PFE constate toujours l’absence de budget fédéral pouvant relancer la croissance en Europe. Le PFE manifestera en marge d’une action coordonnée par le collectif « Stop Austérité ». Il s’agira pour le PFE de refuser le TSCG tout en faisant valoir son projet fédéraliste. « Non au TSCG, oui à une Europe fédérale et démocratique » [6]
A partir de là les choses se brouillent. On peut manifester contre le TSCG mais ne pas remettre en cause ni le Traité de Maastricht, ni celui de Lisbonne, ni aucune institution européenne. Mais au contraire reconnaître leur légitimité, voir réclamer le renforcement de celle-ci dans un système "fédéral" ! Est-ce là cette vague véléité de "réorienter la construction européenne" ? La petite contrepartie demandée (A qui ? à Mario Draghi de Goldman Sachs ? à la Commission ? au Parlement européen à Bruxelles ou à Strasbourg ? est-il encore permis de s'interroger ?) consistant à l'allocation d'un "budget fédéral pouvant relancer la croissance" et "contre l'austérité"... Énorme duperie ! Ce traité renforce d'abord la mise sous tutelle les États et les parlements nationaux par une nouvelle "délégation de souveraineté". Ensuite par ce moyen juridique de renforcement du principe de supra-nationalité s'instaure un régime politique austérité en France et en zone euro sous la supervision directe des instances de l'UE. Mais est-ce la volonté de soumettre les États à cette tutelle qui est décriée ou simplement le Traité dans sa partie économique et budgétaire ? Voudrait-on nous faire appeler à la rescousse des pompiers "fédéraux" pyromanes, ceci tout en dépouillant l’État de ses prérogatives et le disqualifiant de son rôle politique naturel de résoudre les crises ?
Or cette proposition entre entièrement dans la ligne des partisans de l'ultra-libéralisme. Les amis de David Cameron par exemple ne se cachent plus pour dire "Que cette crise est l’occasion où jamais de rétrécir le périmètre de l’État." [7]
Le rapprochement du Front de gauche avec les thèses euro-fédéralistes apparait nettement dans cet appel à manifester le 30 septembre à Paris [8]. Ce texte émanent d'économistes proches du Front de Gauche ne répond à aucune des questions essentielles, ne fait aboutir aucune analyse cohérente. C'est pourquoi Jacques Sapir vient de le commenter (en gras) et donne les raisons pour lesquelles il ne se joindra pas à cet appel :
" La montée des déficits publics est une conséquence de la chute des recettes fiscales due en partie aux cadeaux fiscaux faits aux plus aisés, de l’aide publique apportée aux banques commerciales et du recours aux marchés financiers pour détenir cette dette à des taux d’intérêt élevés. S’il est entièrement exact que cette crise n’est pas une crise de la dette publique, les auteurs n’identifient pas les causes de cette dette : la crise de compétitivité causée par l’Euro et la désindustrialisation qui en a découlé dans un certain nombre de pays. Cette désindustrialisation a poussé certains pays vers des stratégies « folles » de croissance par un endettement soit des ménages soit public, qui aujourd’hui se retournent contre eux"
"La crise s’explique également par l’absence totale de régulation du crédit et des flux de capitaux aux dépens de l’emploi, des services publics et des activités productives. Elle est entretenue par la BCE qui appuie sans conditions les banques privées, et exige à présent une « stricte conditionnalité » austéritaire des États lorsqu’il s’agit de jouer le rôle de « prêteur en dernier ressort ». Elle leur impose des politiques d’austérité et s’avère incapable de combattre la spéculation sur les dettes souveraines, cela d’autant que sa seule mission reconnue par les traités est celle de maintenir la stabilité des prix. En outre, cette crise est aggravée par le dumping fiscal intra-européen et l’interdiction qui est faite à la BCE de prêter directement aux États pour des dépenses d’avenir [...] À nouveau, si le constat est exact, il est très incomplet. Admettons qu’une politique de relance monétaire (un « quantitative easing » européen) ait été faite. Elle aurait profité avant tout au pays le plus compétitif de la zone, soit l’Allemagne. En réalité, la stratégie allemande a consisté à chercher à développer systématiquement la compétitivité de son économie (au détriment de ses travailleurs) et à empêcher les autres pays, qui ne jouissent pas d’une même dotation en ressources, à faire de même par des dévaluations progressives (logique de fonctionnement de la zone Euro). Quand bien même on éffacerait toutes les dettes, nous ne tarderons pas à les voir se reformer en raison des écarts de compétitivité."
"F. Hollande, après s’être engagé pendant la campagne à renégocier le traité européen, n’y a en fait apporté aucun changement, et, comme vient d’ailleurs de le reconnaître E. Guigou, choisit aujourd’hui de poursuivre la politique d’austérité entamée par ses prédécesseurs. C’est une erreur tragique. L’ajout d’un pseudo-pacte de croissance, aux montants réels dérisoires, s’accompagne de l’acceptation de la « règle d’or » budgétaire défendue par A. Merkel et N. Sarkozy. [...] Le TSCG a, en réalité, pour but de « crédibiliser » la politique de sauvetage de la zone Euro [...]".
Le drame de ce texte est ici que ses auteurs n’explorent pas les alternatives et évitent de se confronter avec de déplaisantes réalités. Nous sommes tous d’accord pour dire que le TSCG est nocif mais, et c’est un « mais » important, la solution est-elle dans plus de fédéralisme ? Le problème est que l’on ne dit pas quelles seraient les conséquences de ce fédéralisme (et de la mutualisation des dettes). Un système fédéral implique des transferts importants entre régions à haute compétitivité et régions à basse compétitivité (comme cela se fait en Frace et en Allemagne). Les calculs qui sont faits depuis un mois estiment que ces transferts impliqueraient de 8% à 12% du PIB pour l’Allemagne (suivant les hypothèses de politique macro-économique). Qui peut penser qu’il est crédible d’attendre de l’Allemagne un tel sacrifice ?
Enfin, pourquoi ne pas dire que Paul Krugman, et bien d’autres, considèrent que c’est la zone Euro le problème ? Aurions nous un « bon » Krugman quand il parle des menaces de récession et un « mauvais » Krugman quand il évoque la zone Euro ?
"Je ne puis aussi que constater que l’on ne répond pas à la question essentielle : comment résoudre la crise de compétitivité dramatique qui existe entre pays de la zone Euro les écarts vont de 20% (France) à 35% (Espagne), et même au-delà (Portugal et Grèce) ? Comment harmoniser des économies qui sont profondément hétérogènes, avec des populations qui le sont tout autant et qui ne sauraient massivement se déplacer dans la zone Euro ? La gestion de cette hétérogénéité est impossible dans le cadre d’une monnaie unique car elle implique des sacrifices financiers bien trop importants pour l’Allemagne. Telle est la réalité et se cacher derrière des grands principes et des appels ronflants n’y changera, hélas, rien."
"[...] Ce texte repose sur un constat très incomplet de la situation actuelle. Il ne va pas à la racine du mal et ne permet pas à ses lecteurs d’avoir une réelle intelligence de la question qui est réellement posée. Je puis partager certaines des affirmations avec les auteurs de ce texte, et en particulier leur refus du TSCG ; mais là où nous divergeons radicalement c’est sur les propositions. Le TSCG est le produit d’une stratégie qui vise à la survie coûte que coûte de la zone Euro. Soit on accepte cette stratégie, et on ne mégotera pas sur ses conséquences (comme le dit sans fard Jean-Marc Ayrault), soit on la refuse. Si l’on veut RÉELLEMENT refuser le TSCG il faut alors en tirer TOUTES les conséquences et appeler à la dissolution rapide de la zone Euro."
Et oui vous avez bien lu. Les "économistes" du Front de Gauche ont été cherché M.Sapir en espérant le voir valider leur thèses. Mais comme ils partent du postulat qu'il faut "sauver l'Euro" (Puisque les français d'après les sondages ne veulent pas l'abandonner, et qu'il faut présenter un programme consensuel de "réorientation de la construction européenne" pour ne déplaire à personne dans les meetings ou à Francfort ?) ils négligent complètement l'évidence. Sans critères de convergence ... il n'y a pas d'Euro. Et les critères de convergence imposent ce contrôle de l'inflation, de l’émission monétaire par la banque centrale, de la redistribution salariale. L’Euro impose l'austérité, c'est la condition sine qua non de sa survie. Même si pour répondre aux cris d'orfraie de ceux qui refuse l'austérité et réclame un budget de relance de la croissance, la Banque centrale distribuait de l'Euro a tous les pays par camions, ça n’empêcherait en aucun cas ces pays de continuer à s'endetter, à perdre leur compétitivité, leur emplois industriels et déséquilibrer leur balance commerciale au profit des pays plus compétitif de la zone...
Le Front de Gauche réclame un référendum sur le TSCG mais ne propose nullement de sortir de l'Euro. Or ils font penser ici aux "ouiouistes" qui affirmaient qu'ils n'y avaient pas de plan B en 2005. Car s'ils ne proposent pas de sortir de l'Euro, et ne prépare pas déjà les citoyens a cette opportunité c'est donc ils devront faire campagne pour le "Oui" au TSCG et aux critères de convergence qu'il contient... pour "sauver l'euro" au nom de la "solidarité, le complexe militaro-industriel et l'indépendance européenne" : les nouveaux thèmes de campagne de M. Mélenchon [9]
Dans son projet de convergence euro-fédéraliste le Front de Gauche propose une double incohérence : 1. se pose en réformateur politique en prétendant mettre "l'Humain d'abord" mais se coule admirablement dans la pensée euro-fédéraliste qui met d'abord en avant l'Euro et la solidarité européenne d'une zone économique asphixiée et moribonde ; 2. se propose de défendre la démocratie citoyenne par le recours au suffrage référendaire alors qu'il n'y a dans ses cartons aucune alternative à proposer. Beau concept que cette démocratie du choix unique ! Bravo, belle "cohérence" !
Deuxième évidence : l'incompétence économique et historique
Le Front de Gauche ne semble pas offrir d'autre alternative que celle proposée par les médias et déjà intériorisé par une majorité de français... sauver l'Euro, rester dans la zone euro. Mais pourquoi le projet politique du Front de Gauche est-il aussi limité ? Peut-être est-ce du à la limitation culturelle et idéologique, l'absence d'une vision historique et économique rationnelle du mouvement ?
Ainsi M. Mélenchon ne cesse de proclamer partout que "Si la BCE prêtait directement aux États, la crise des dettes publiques cesserait dans la minute". On vient de le voir, il voudrait négocier pour relancer l'économie des prêts à 1 % de taux d'intérêt. Mais cela ne tient nullement compte de l'origine de la dette et de la nécessité des critères de convergence imposé par les Traités, les institutions européennes et surtout par l'Allemagne pour maintenir à flot la Zone euro et empêcher la dégringolade inflationniste qui ruinerait les épargnants et les consommateurs dont les revenus ne sont pas indexés et renchérirait les importations sans régler le problème du déficit commercial entre partenaires de la zone.
Sur le plan économique il faut comprendre d'où vient la politique d'austérité imposée par les institutions européennes et le système de la monnaie commune. Il faut pour cela remonter dans le temps et saisir le développement de l'organisation économique des sociétés industrielles.
Sans prétendre remonter aux calendes grecques on peut déjà penser que les dirigeants du Front de Gauche n'ont pas encore compris (on se le demande bien...) qu'un véritable tournant économique s'est produit à partir de la rupture de la parité entre le dollar et l'étalon-or quand "les États-Unis renoncent unilatéralement en 1971 à la convertibilité du dollar en or à 35 dollars l’once. Dès lors, le cours du dollar va évoluer librement par rapport aux autres devises donnant cours à un nouveau système de parités flottantes. Le gouvernement américain ne soutient plus sa monnaie et début 1978, l’instabilité monétaire est généralisée et la situation est telle que même les échanges communautaires sont menacés. Les monnaies européennes les unes après les autres doivent quitter le Serpent monétaire européen. La nécessité d’un nouveau système s’impose, autour d’un système monétaire capable d’empêcher l’envol du Deutsch Mark en le lestant avec les monnaies moins performantes de ses principaux partenaires commerciaux."
"La politique de taux de change fixe des pays en "zone économique européenne" est anachronique dès les accords de la Jamaïque (7 et 8 janvier 1976) qui consacre l’abandon du système des taux de changes fixes et la légalisation du nouveau système : le régime des changes flottants. Dès lors [Le taux de change varie donc en principe selon la quantité de crédit émise par chaque pays. Une politique monétaire laxiste/rigoureuse est « punie » par une baisse/hausse de la valeur de la monnaie locale par rapport aux autres devises.] cela ne pouvait aboutir qu’à des attaques systématiques "des marchés" sur les devises exposées soit en les renchérissant comme le Deutsch Mark soit en les dévaluant comme le Franc Français ou la Lire italienne, etc.
Donc les critères de convergence sont des emplâtres pour solidariser des économies asymétriques face aux contraintes extérieures dans le seul but de maintenir le niveau de la compétitivité allemande, et empêcher le rééquilibrage à la baisse de son économie." [10]
A partir de ce constat plusieurs solutions se présentent : soit la France continue d'utiliser sa propre monnaie mais qui subira la pression spéculative des marchés financiers sur sa devise et donc l'expose à dégrader son taux de change et dévaluer ; soit à épuiser ses réserves change et emprunter pour soutenir sa monnaie ; soit à exiger la réforme du système monétaire en proposant à tous les pays du Monde, par le biais des instances internationales, l'institution d'une chambre de compensation des paiements internationaux par exemple sur le modèle du "bancor" [11] de Keynes.
Ensuite sur le plan historique le Front de Gauche semble mépriser les analyses serieuses sur la prépondérance abusive de l'Allemagne dans la construction européenne. Les références qui pointent vers l'origine nazie du projet de Communauté économique actuel tels que les discours Walter Funk, ministre de l’Économie du III Reich, condamné à Nuremberg [12] ou cette magnifique propagande en faveur de "collaboration" au nom de la "Nouvelle Europe" et de la "solidarité européenne" contre le Bolchevisme et les anglo-saxons... [13]
Aujourd'hui encore le Front de Gauche feint d'ignorer que les slogans en faveur du sauvetage de l'Euro et de "l'indépendance européenne" ne peuvent être compris que par l'exigence allemande de contrer la tendance de sa propre monnaie à la surévaluation en y associant d'autres monnaies plus faibles et garantir ainsi l'écoulement de ses produits industriels sur les marchés à un cout compétitif. Un dispositif technique qui satisfait aussi sa prétention ancienne à l'hégémonie en Europe dont on ne peut ignorer les fondements dans la pensée impérialiste pan-germanique. [14]
Mais dira-t-on qu'ignorer ou passer sous silence de tels éléments tant économiques qu'historiques est une évidence de l'incohérence de la force politique que représente le Front de Gauche ? Oui, ici même.
Mais il y a encore mieux.
Troisième évidence : l'echec des campagnes politiques de 2012
Cette année les élections législatives et présidentielles donnaient une magnifique opportunité au Front de Gauche de présenter ses arguments , gagner des points dans l'opinion et conquérir des positions l'inscrivant durablement comme une force politique cohérente.
Or la déception des présidentielles fut grande ! Le mouvement n'a récolté au 1er tour que 11.11% des suffrages exprimés soit 3.985.298 voix sur 35.885.739. Loin derrière le Front National de Marion Le Pen qui atteint le score de 17,9% en troisième position derrière M. Sarkozy (27,18%) et François Hollande (28,63%). [15]
Non content d'un résultat aussi médiocre et bien éloigné des plus sombres prévisions M. Mélenchon jettera le manche après avoir perdu la cognée en réclamant le report au second tour en faveur de M. Hollande, des voix qui se sont portées sur sa candidature. Quelle maladresse ce soutien inconditionnel sans exiger quelque contrepartie, ne serait-ce que - par exemple - l'exigence d'un vote du prochain Traité européen par référendum !
Mme. Le Pen se fera les gorges chaudes d'une telle incohérence et soulignera le rôle de "voiture balai du PS", de "rabatteur des voix de gauche" dont elle a toujours accusé le candidat du Front de Gauche et qui alors se vérifie aux yeux de tous...
Piqué dans son amour-propre certainement et surtout cloisonné dans le réduit du débat subalterne où le placardise son soutien inconditionnel à M. Hollande, M. Mélenchon va lancer pour les législatives son nouveau thème de campagne : ce sera une grande chamaillerie avec sa prétendue rivale, Mme. Le Pen... Le niveau zéro du débat politique, le niveau maximum de l'affaire personnelle. Belle cohérence encore !
N'y avait-il personne au Front de Gauche de lucide et cohérent pour proposer un recadrage du débat et réclamer de meilleurs thèmes de campagne ? Des thèmes susceptibles de répondre à l'attente des français, d'éclairer l'opinion par une analyse plus pertinente de la situation et de contenir de meilleurs propositions ?
Que la politique économique soit européenne ou non cela fait toute la différence. La construction européenne a durci les conditions de la lutte sociale que l'on en soit conscient ou pas. Derrière le cadre des traités instaurant libre circulation des marchandises et capitaux : les profits, les conditions de redistribution des revenus et de la plus-value du travail sont mieux protégés. C'est une évidence est c'est d'ailleurs l'intérêt premier de ces textes et de ceux qui les ont promu. Dans ces conditions il faut savoir qu'il sera quasiment impossible de renégocier ces clauses abusives sans remise en cause du déni de démocratie et d'un euro-fascisme [16] austéritaire derrière ces traités et ces lois internationales.
C'est une évidence aussi que le Front de Gauche pour démontrer son rôle d'utilité publique et républicaine devait dépasser les slogans anti-xénophobes de bon aloi et qui n'engagent à rien pour proposer un projet économique viable. Ceci au lieu d'agiter la promesse vaine d'un "Smic à 1700 ou 1800 euro" auquel personne n'a vraiment cru en raison des contraintes européennes et de la liberté de circulation des capitaux et des marchandises contenue dans les Traités. Si le Front National a gagné des voix ce n'est pas seulement celles des racistes mais aussi celle des patriotes qui ne se retrouvent pas dans les slogans de "protectionnisme européen" et de "Smic à 1700". On savait pertinemment que cette politique salariale est impossible à mettre en place sans politique économique indépendante et le respect de la souveraineté nationale... Pourquoi occulter le débat sur ce sujet ? Pourquoi s'en remettre constamment à d'éventuelles négociations ultérieures avec la BCE ou la Commission auxquelles ne sont attachés encore aucune garantie, aucun droit démocratique ?
Le tribun Mélenchon réclamait dans ses meetings "des drapeaux rouges", la belle affaire ! Il n'y avait pas mieux à faire que de servir de "repoussoir bolchevik" ? Dépasser les limites d'une analyse politique sectaire et s'ouvrir aux thèmes républicains par exemple ?
Pourquoi avoir continué à taire le trou d'air de la campagne du Front de Gauche après les Présidentielles ? L'occasion des législatives était la meilleur pour déployer une argumentation pertinente et convaincante. Mais une ambiguïté s'est définitivement installée dans le cœur du programme politique entre le vertige d'une radicalisation à gauche et le projet nécessairement pluraliste, négocié et consensuel de 6ieme république. Quelle était désormais la ligne du Front de Gauche concernant l'affirmation du principe démocratique et en particulier l'exigence absolue de referendum sur les traités européens ? Pourquoi ne pas avoir négocié sur cette base avec le Parti Socialiste et en faire la priorité du combat citoyen avant et pendant les législatives ?
Toutes les formules incantatoires sont restées dans le vent tant que le Front de Gauche s'est attaché à ne défendre qu'un camp politique :"la Gauche" et non les droits politiques de tous les citoyens français. Comment cela aurait-il pu être réalisé ? En déployant depuis une agora démocratique et pluraliste, une aile droite républicaine, un centre conciliateur et une aile gauche progressiste en ordre de bataille citoyenne... Au lieu de ça, il est resté isolé et recroquevillé comme Front excentrique et n'a pu dès lors devenir le Front populaire et encore moins le Front du Peuple que l'on attendait.
Pour réussir il aurait fallu qu'il soit l'initiateur d'une campagne de conquête des droits politiques par l'affirmation des principes fondamentaux de la démocratie et l'exigence de mise en place de ses moyens pratiques : assemblées délibérantes, droit de pétition, d'initiative du référendum et de ratification des traités. Ce sont sur ces outils citoyens qu'il était nécessaire de s'appuyer pour sortir de l'impasse de la fiction représentative, du piege de la délégation de souveraineté, de la rhétorique sur la supranationalité... C'était là exprimer des solutions pour permettre aux forces démocratiques de prendre part à la seule lutte qui compte : la résistance à l'oppression, la conquête d'une liberté politique par la reconnaissance du droit du peuple à disposer de lui-même et réaffirmer par solidarité ce principe fondamental à l'adresse des peuples voisins bafoués par la machine européiste !
Mais pour cela il était nécessaire qu'il se présente en pratique comme une conférence démocratique et pluraliste animée par des citoyens volontaires et bénévoles. Ce qu'il ne pouvait être réellement du fait de sa conception et constitution initiale comme confédération de partis dont les dirigeants ont conservé tous leur réflexes tacticiens, leurs sourdes ambitions et jalousies, leur intentions trop discrètes et autres secrets inavouables.
Pour réussir la campagne c'était surtout un projet patriotique et réaliste qui devait s'affirmer comme alternative. C'est à dire un projet basé sur le moyen et l'objectif raisonable de reconquete républicaine de la souveraineté nationale.
Quatrième évidence : l'abandon du projet de souveraineté nationale
N'est-il pas pénible de constater que pour le Front de Gauche la souveraineté nationale soit quasiment considéré comme un principe éculé et dangereux ? Au point même qu'il en soit à afficher ce nouveau concept d'origine douteuse "d'indépendance européenne" ? Existe-t-il une cohérence théorique, un consensus politique à ce niveau ? Nous n'en trouvons pas.
De même appeler la France la "patrie républicaine des français" n'ajoute rien à la question. A moins qu'il ne s'agisse de la manifestation d'une volonté sous-jacente de dénigrer ou discréditer les patriotes attachés à l'histoire, à la culture, au modèle social de leur pays. Une tentative pour les opposer, les diviser, les affaiblir par la querelle civile, les désorienter par cette nouvelle lecture "internationaliste" d'une "solidarité européenne" comme norme absolue du politiquement correct. Tout ceci prête largement à confusion.
Oui la France existe et depuis longtemps. Elle a traversé bien des crises et bien des batailles où à chaque heure, chaque jour, chaque année, son existence en tant que nation souveraine et indépendante s'est trouvée compromise. Il a plu au Ciel qu'elle se rétablisse à chaque fois par un coup du sort extraordinaire dans la fortune des batailles, par le secours de ses alliés ou la confusion de ses ennemis ; qu'elle revienne, à chaque fois, à la table des négociateurs pour exiger le respect de sa liberté et de sa souveraineté pleine et entière. Dirons-nous qu'elle cherche naturellement la discorde ou la guerre ? Non ! Qu'elle lutte avec succès pour ses droits et se défend contre ses agresseurs : c'est un droit fondamental. Avec cela la France - comme nation libre - a toujours voulu partager le bénéfice de sa position en imposant par principe le droit de chaque peuple à disposer de lui-même et à être traité grand ou petit sur un pied d'égalité avec les autres. Y en auraient-ils pour qui une telle constance, une telle autorité magistrale serait déplaisante et ferait grincer des dents ? En reste t-il de ces impériaux criminels qui voudraient encore tenter d'étrangler ce modeste pays, ce peuple sympathique et courageux dans les griffes de la tyrannie ?
D'ailleurs quelle est cette doctrine de la souveraineté, en quoi est-elle utile pour nous ?
"Rousseau dans le Contrat social développe les questions de souveraineté populaire, à travers une conception aboutie des droits naturels, qui incluent le droit de résistance à l'oppression. Chaque citoyen détient une part de souveraineté. Aussi, c'est une souveraineté dont le titulaire est le peuple ; considéré comme la totalité concrète des citoyens détenant chacun une fraction de cette souveraineté." [17]
Dans ses institutions ou dans les relations internationales, partout où le Peuple ne peut se présenter, la Nation est représentée par des autorités élues ou mandatées qui peuvent délibérer, traiter et s'engager avec la simple condition cependant de rapporter le contenu des actes qui seront ratifiés avant de prendre effet et force de loi. [18]
L'intérêt de la notion de souveraineté nationale est donc qu'elle permet l'expression démocratique du Peuple par le biais des institutions qu'il se choisit librement. Il est donc paradoxal de se prétendre "démocrate" et vouloir placer "l'humain d'abord" mais priver les citoyens d'un pays de la liberté d'exprimer sa volonté générale par le choix des lois et des traités qui lui convienne selon le principe de la souveraineté nationale.
Sans capacité des citoyens de gérer leurs propres affaires et de déterminer librement la politique économique ou social grâce à leurs institutions nationale, il devient inopérant d'attendre d'une autorité étrangère comme la BCE ou la Commission qu'elle réponde aux exigences nationales. Puisque plus rien ne contraint de satisfaire les desiderata d'une population qui n'a plus ni autonomie ni alternative politique et qui ne peut plus que subir le bon vouloir d'autrui. C'est donc dans cet état de dépendance, ce rapport gouvernant-gouvernés proche de la servitude, que l'on veut placer le peuple français à l'égard d'une autorité européenne ? Cette attitude se retrouve intégralement dans les propositions du Front de Gauche qui à chaque question, à chaque problème posé répond comme si la France n'avait dans leur esprit plus aucune capacité d'agir : nous demanderons, nous négocierons avec (au choix) la BCE, le Parlement, la Commission, les autres peuples, les extra-terrestres pour qui se range sur notre position et règle notre place ce que nous refusons de traiter par nos propres moyens intellectuels, humains, financiers, etc. "solidarité européenne" oblige... Quelle farce !
Le premier acte de résistance populaire et citoyenne serait plutôt de se défier et écarter de toute responsabilité ces partisans de la "supra-nationalité". Ceci pour mieux réaffirmer leur attachement au principe de la souveraineté du peuple et au droit de referendum. Laisser ce thème entre les mains d'une extrême-droite xénophobe, qui s'est montrée plus soucieuse de renforcer l'oppression fasciste, de collaboration avec les milieux financiers que de favoriser une vraie démocratie, est une véritable erreur politique.
Ainsi nous plaçons la souveraineté nationale comme première condition de la liberté et de la démocratie. La lutte pour rétablir un État de droit disposant d'une souveraineté monétaire, militaire, industrielle et territoriale est inséparable de la lutte contre l'oppression des puissances de l'argent ou des impérialismes de toute nature. C'est tout l'enjeu de l'exercice du pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple.
"Les réformes qu'il faut exiger pour rétablir la démocratie sont celles qui permettent que le peuple : 1. dispose de droits reconnus et garantis, inscrits dans une charte des droits politiques tels le droit de constituer des assemblées délibérantes pour les affaires locales, le droit pour l'assemblée des citoyens de quitus ou de rejet des comptes publics et ensuite le droit de pétition et d'initiative législative, etc. pour toute les assemblées où les décisions sont prises sans l'expression directe de sa volonté et de son consentement quand il n'est -pour des raisons d'ordre pratique - que "représenté" ;
2. Qu'il puisse dans l'exercice de ses droits politiques mettre en œuvre une procédure d'initiative populaire et obtenir par pétition l'organisation d'un vote au parlement ou par référendum portant sur un projet de loi ;
3. Qu'il se prononce en dernier recours sur la ratification, le rejet ou l'abrogation de tout texte législatif, constitutionnel ou d'un traité.
La mesure complémentaire éprouvée par les citoyens helvétiques est que les textes de l’exécutif (décrets, ordonnances, etc) ne sont valables que pour une année seulement. Terme au-delà duquel ils perdent tout effet si une ordonnance législative n’est pas intervenue pour les valider. Une ordonnance législative également susceptible d’être validée ou rejetée par referendum sur l’initiative populaire." [19]
En guise de conclusion nous ajouterons ce commentaire à propos d'un sondage à l'adresse des politologues et autres sophistes politiciens qui nous le savons en sont friands :
"Une majorité de Français veut moins d’intégration européenne et davantage de décisions de l’État. Ils sont 60% à vouloir plus d’État, contre 40% qui veulent plus d’Union européenne.
L’euro n’a eu que des conséquences négatives : L’introduction de l’euro a eu des conséquences négatives sur le niveau des prix (89%), le chômage (63%), la « compétitivité de l’économie française » (61%). Plus d’un tiers des Français veut sortir de l’euro. Les Français sont aujourd’hui 35% à vouloir sortir de l’euro. Le meilleur score est 38% (mai 2010), et le plus mauvais 26% (juin 2012). L’euro est un « handicap » : C’est l’opinion de 45% des Français, seulement 23% pensent que c’est un « atout » L’UE est inefficace : A 76% les Français jugent que l’UE est « inefficace » « pour limiter les effets de la crise actuelle ».
L’identité européenne n’a presque aucune réalité. [em]