Le Juge et le pingouin
par olivier cabanel
samedi 23 mars 2013
Alors qu’une chanteuse, épouse du précédent président, est suspectée d’avoir mis en scène son successeur, vexée peut-être de n’avoir pas reçu le baisemain traditionnel de sa part lors de la passation de pouvoir, un juge met en examen son « Raymond ».
C’est un vrai coup de tonnerre dans le landerneau politique, ou après la récente démission de Jérôme Cahuzac, ministre du budget, soupçonné d’avoir caché de l’argent, en Suisse, ou à Singapour, un juge, le juge Jean-Michel Gentil, après avoir confronté l’ancien président de la république à 4 ex-employés de la femme la plus riche du monde, Liliane Bettencourt, a décidé de mettre en examen Nicolas Sarközy, pour abus de faiblesse.
Lors de cette confrontation, Pascal Bonnefoy, l’ex-majordome de la milliardaire, mais aussi Dominique Gaspard, une ancienne femme de chambre, Henriette Youpatchou, l’infirmière, et un autre maître d’hôtel ont témoigné, face à l’ex-président de la république, à la demande du juge, dont on dit qu’il « n’est pas du genre à se laisser impressionner ».
On se souvient que c’est lui qui avait réussi à faire accepter à Liliane Bettencourt de passer une expertise médicale, laquelle avait prouvé que la milliardaire était affaiblie psychologiquement, et c’est lui aussi qui avait convoqué Philippe Courroye, son prédécesseur dans cette affaire, lequel était « aimablement » qualifié par ses confrères de « courroye de transmission », pour sa proximité supposée avec le pouvoir. lien
Sarközy risque 3 ans d’emprisonnement, 375 000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité de 5 ans maximum. lien
Voilà qui tombe mal (ou bien selon le cas), puisqu’il avait fait valoir des velléités de retour sur la scène politique il y a peu. lien
Etrange télescopage juridique, puisque cette affaire Bettencourt avait provoqué la démission d’un autre ministre du budget, un certain Eric Woerth, et pour Laurent Wauquiez, il n’y a pas l’ombre d’un doute, il ne croit pas au hasard de calendrier, et semble convaincu que la démission de Jérôme Cahuzac et la mise en examen de Nicolas Sarközy sont à rapprocher.
Cette mise en examen ne va pas réjouir son épouse, laquelle venait de faire le buzz avec sa chanson « le pingouin », et même si elle se défend mordicus d'avoir voulu faire allusion à François Hollande, (lien) il n’est pas impossible d’imaginer que cette chansons soit une sorte de vengeance rétroactive, initiée lors du départ d’elle et de son époux, de l’Elysée.
Dans cette chanson, elle évoque un pingouin « mal élevé », « à l’air souverain », mais « qui n’a pas des manières de châtelain ».
Et elle s’adresse à lui : « eh, le pingouin, si un jour tu recroises mon chemin, je t’apprendrais à faire le baisemain »…
Elle décrit un pingouin « les bras ballants, l’œil hautain (…) qui bouffe ses mots, qui n’est pas beau…) »
Au-delà de la qualité discutable des alexandrins, qui fait rimer pingouin, dauphin, radin, coin coin, et jardin, il n’est pas sur que cette chanson restera dans les annales, mais ce qui est sur, c’est que son « Raymond » est en train de lui voler la vedette avec sa mise en examen. lien
Il n’est pas inutile de revenir sur l’affaire Bettencourt, qui a commencé en mars 2007, lorsque l’ex-comptable des Bettencourt avait révélé l’existence d’une enveloppe de 50 000 euros, destinée à financer la campagne de Nicolas Sarközy.
Rappelons que les règles qui fixent le financement d’une campagne électorale sont précises : les dons en espèces ne peuvent excéder 150 euros, et une même personne physique ne peut pas, lors d’une même élection, financer la campagne d’un ou de plusieurs candidats pour une somme totale dépassant 4600 euros. lien
Une fois de plus, c’est surtout l’enquête fouillée menée par « Médiapart » qui a permis de faire toute la lumière, ou du moins sur une partie de celle-ci. lien
Les journalistes investigateurs du site ne peuvent que se réjouir d’une justice qui, comme ils l'écrivent, s’émancipe enfin. lien
En effet, il y a eu les conversations enregistrées par Claire Thibout l’ex-comptable, et son témoignage : André Bettencourt finançait largement les politiques : « chacun venait toucher son enveloppe. Certaines atteignaient même parfois 100 000, voire 200 000 euros ».
Concernant Eric Woerth, la comptable précise : « le versement de 50 000 euros, le 26 mars 2007 pour financer la campagne de Nicolas Sarközy » ce que confirmait Philippe de Maistre, devenu par la suite le responsable des affaires politiques du couple Bettencourt.
Pour bien enfoncer le clou, l’ex comptable disait au sujet de Nicolas Sarközy, « c’est un habitué », laissant entendre clairement qu’il était venu quémander des fonds à plusieurs reprises, évoquant au passage 150 000 euros destinés au financement de la campagne présidentielle de 2007. lien
Claire Thibout décrit l’hôtel particulier des Bettencourt, à Neuilly-sur-Seine, alors qu’elle était en fonction de mai 1996 à novembre 2008 évoquant « le théâtre de remises régulières d’enveloppes en espèces à des hommes politiques de premier plan ». lien
Le juge, Jean-Michel Gentil n’a pas la réputation d’en être un, et d’après ses collègues, « c’est le juge d’instruction par excellence » ; un avocat girondin a ajouté : « il n’est pas facile ». lien
Quant à Patrick Balkany, il a déclaré a un débatteur qui lui reprochait sa virulence et la défense qu’il a fait de son ami Nicolas : « je vous emmerde »…en niant juste après l’avoir dit. lien
Henri Guaino, très remonté, a déclaré sur l’antenne d’Europe 1, vendredi 22 mars, que « la décision du juge Gentil était indigne et irresponsable, parlant d’une affaire montée de toute pièce (…) d’un juge qui se croit tout permis ». lien
Ce qui a fâché le syndicat de la magistrature qui envisage de donner une suite à cette attaque en règle, (lien) d’autant qu’il a le soutien de la ministre de la justice, laquelle a tenu à rappeler « l’indépendance de l’autorité judiciaire ». lien
Sans préjuger de la suite qui sera donnée à cette affaire, espérant que la justice pourra suivre sereinement son cours, et ira jusqu’au bout, on peut conclure provisoirement en disant qu’un vent mauvais souffle sur le petit monde politique.
Comme dit mon vieil ami africain : « la mère est celle qui prend le couteau par la lame ».
L’image illustrant l’article provient de « melty.fr »
Merci aux internautes pour leur aide précieuse
Olivier Cabanel
Articles anciens
Sarközi et Guéant sur la sellette
Vers un dénouement du Karachigate
Les dessous sales du Karachigate
Le maillon faible du Karachi-gate
Les saigneurs de la République
Nous étions au bord du gouffre…
Les vessies pour des lanternes