Le mauvais procès fait aux chômeurs

par Laurent Herblay
samedi 6 septembre 2014

Bien sûr, les droits viennent avec des devoirs, y compris pour les chômeurs. Il peut y avoir des abus et il est légitime que l'Etat lutte contre cela. Mais outre le fait que l’immense majorité des chômeurs n’ont rien à se reprocher, la déclaration du ministre du Travail est aussi suspecte que révélatrice.

Un choix tactique et stratégique
 
L'offensive du gouvernement contre les chômeurs poursuit deux objectifs. Alors que le nombre de chômeurs de cesse de monter depuis l'arrivée de François Hollande au pouvoir, malgré quelques mesurettes destinées à limiter l'hémorragie, le ministre pensait sans doute qu’il était utile de sous-entendre qu'une partie des chômeurs serait des feignants profitant du système. Ce faisant, François Rebsamen a repris tous les poncifs néolibéraux, notamment sur les emplois non pourvus, alors même qu'un travail sérieux démontre que le taux d’emplois vacants est faible en France. Mais pour une majorité incapable de faire baisser le chômage, cela peut créer un nuage de fumée pour camoufler les vrais problèmes.
 
En outre, ces déclarations ont un second intérêt, à savoir d'aller dans le sens du discours eurolibéral assumé tenu par le président depuis d'année. En effet, voici une déclaration qui aurait sans doute été applaudie lors des universités de rentrée du Medef ! Elle est cohérente avec le positionnement politique actuel de l'équipe au pouvoir qui donne ainsi des gages aux plus libéraux. Et, comme le dit Krugman dans son dernier livre, ils cherchent à faire porter aux chômeurs la responsabilité de leur situation alors que l'immense majorité d'entre eux cherchent durement du travail, comme il le rapportait en évoquant le million de candidatures reçues par Mac Donald's aux Etats-Unis en 2011 pour 50 000 postes proposés.
 
Un mauvais air du temps

Malheureusement, ce type de discours, même s’il est profondément malhonnête, n’est pas incohérent avec un certain air du temps qui s’installe. On pourrait même voir un parallèle avec le déluge de condamnations contre les banques. Dans les deux cas, on met en accusation des comportements individuels au lieu de s’attaquer aux problèmes de fond, que ce soit la régulation de la finance ou la politique économique, qui devrait promouvoir l’emploi. Le débat est détourné des questions collectives et politiques à des questions de comportements individuels, passant au passage, de manière subliminale, le message que les individualités ont peut-être plus d’importance que notre destin collectif. Pas étonnant que dans une telle époque, la politique soit vue par le trou de la serrure, avec le livre de Valérie Trierweiler.

Cette lecture du monde, individualiste, et qui oublie ou condamne le sens collectif de nos vies, est typique d’une lecture néolibérale. Même s’il est juste de lutter contre les abus commis par quelques individus isolés, il est tout de même effarant aujourd’hui d’évoquer le problème du chômage de la sorte alors que notre pays est embourbé dans un chômage de masse depuis 35 ans. Il est révoltant de mettre la lumière sur quelques individus alors que pas moins de 6 millions de Français cherchent un travail. Nous devrions nous poser des questions sur les fondements même de notre système économique pour faire en sorte que tout le monde puisse trouver du travail et non stigmatiser quelques bouc-émissaires.

Ce faisant, cet épisode confirme à nouveau l’achèvement de la mue libérale-libertaire du Parti « Socialiste » qui porte décidemment bien mal son nom. Comment peut-on se dire socialiste quand on renonce à trouver une solution à ce Munich social qu’est le chômage pour stigmatiser les chômeurs ?


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