Le nouveau visage du Front national
par Cosmic Dancer
mardi 17 avril 2007
L’envahissement des idées portées depuis sa création en 1972 par le Front national - fondé dans le but de rassembler sous une bannière unique les différentes factions de l’extrême droite française, en dehors, peut-être, de celle qui reconnaît mieux ses valeurs chrétiennes chez Philippe de Villiers - au sein de la population doit être l’une des préoccupations majeures des républicains d’aujourd’hui, qu’ils soient de droite ou de gauche.
La sympathie quasi inconsciente de nombre de nos concitoyens pour les
idées de ce parti a grandi ces dix dernières années, en proliférant sur
deux terreaux favorables. D’une part, le cynisme de François Mitterrand
qui, dans les années quatre-vingts, a su instrumentaliser le FN pour
qu’il concurrence la droite républicaine, et l’abandon par le PS d’une
classe ouvrière relayée par des armées de précaires, au profit des
revendications de confort de ceux que l’on appelle les
bourgeois-bohèmes. A noter cependant l’attrait qu’il exerce également
sur des classes moyennes dont le pouvoir d’achat a pris du plomb dans
l’aile et sur une jeunesse qui rêve de "casser le système". D’autre part, la déliquescence accrue, aux plans économique, social et moral, dont souffrent sept millions de pauvres,
après qu’une dénonciation légitime des dérives de l’Etat-Providence ait
abouti au démantèlement des fondements de la solidarité nationale
(éducation, santé).
Un constat de vacuité qui permet au FN de dénoncer tout à la fois l’impuissance de la gauche à vaincre la pauvreté et l’arrogance de la droite néolibérale à la favoriser. Et de gagner ainsi de nouveaux votes protestataires, ceux des "ni-ni", soit "non" à ce que JMLP a défini, avec sa propension aux raccourcis, comme l’UMPS, incarnation bicéphale d’un fantasmatique "Etablissement" des "tous pourris".
C’est pourquoi il m’a semblé essentiel d’aborder ce thème au travers du prisme de cette figure que l’on pourrait comparer à celle d’un ange en chute libre vers l’enfer (Chute ! Eloge de la disgrâce. Editions Blanche, 2006) : Alain Soral, plumitif mineur mais doué, romantique de gauche désabusé cherchant sa cause et sa révolution depuis trente ans et ayant développé, dans plusieurs écrits pamphlétaires, un système de pensée dialectique redoutable qui lui a valu de devenir le conseiller de camapgne du Front national nouvelle version. Et de lui offrir non seulement les arguments qui lui manquaient pour asseoir sa réputation de visionnaire mal aimé, mais une couleur d’autant plus séduisante qu’elle se pare d’un volet social en contradiction absolue avec ses bases idéologiques en cas d’accession au pouvoir. Un volet social dont il ne faut pas négliger les retombées. Voir exemples ici et là.
Alain Soral ne représente pas un danger au sens où ses livres se vendent à peu près aussi mal que tous les essais dignes de ce nom, mais au sens où il offre à l’appareil idéologique frontiste les moyens de conquérir toujours plus de déçus, toutes sensibilités confondues. Son ralliement au FN, dont il estime que la figure historique JMLP est le seul véritable révolutionnaire d’aujourd’hui, tombe à point nommé dans une campagne où, à quinze jours du premier tour, 42 % des Français se déclaraient encore indécis. Et ceci, alors même que la faction droitiste du parti s’encolère de sa présence.
Après, donc, avoir mis en oeuvre une refondation complète de la sématique de son discours (Mégret déclarait en 1996 : "Nous entendons mener et gagner la bataille du vocabulaire") et formé les cadres de son état-major à une respectabilité nouvelle, notamment en créant un prétendu "conseil scientifique" (dont est issu le fumeux Rapport Millon, il ne manquait plus au FN qu’à se gauchiser et à se républicaniser, lui qui hait tant la République. C’est chose faite.
Une histoire d’amour mode victime : la figure du martyr
Alain Soral partage avec JMLP des origines modestes, une langue râpeuse, terrienne, labile et roublarde, prisant l’insulte déguisée et les formules lapidaires. Avec lui, il a également en commun une posture crucifixionnelle (il fut en effet victime de plusieurs agressions physiques, et malmené récemment à Sciences-Po Paris où il était invité avant que d’être exclu ; enfin, Olivier Besancenot a refusé qu’il participe à un débat télévisuel qui les souhaitait tous deux sur le plateau) que Dieudonné, deuxième larron de ce relookage non raciste et social, affectionne également, qu’il soit confronté à l’ostracisme ou à la diabolisation, ces deux types d’offensives n’ayant eu pour effet que de consolider leur image de prophètes maudits.
Du pain béni pour le FN, dans la mesure où ce victimisime jouissif et rémunérateur alimente à merveille le feu paranoïde de la fumeuse théorie du complot. Une complotite aiguë revendiquée comme une confiscation démocratique qui lui permet de considérer tout procès perdu comme une victoire des comploteurs et tout procès gagné comme une victoire contre ceux-ci.
Outre qu’il représente un moyen de parer toute critique, le complot a aussi l’avantage de diffuser une vision manichéenne du monde, ciment de toute idéologie extrémiste. Mais quel est ce complot ?
Il est d’ordre spiritualiste, quasiment. Ce en quoi il séduit ceux qui cherchent désespérément ce que notre république a bien pu faire de ses valeurs fondatrices humanistes et universalistes. Il est spiritualiste au sens où il propose uen vision magique d’un monde où s’affronteraient le Bien et le Mal, et où les cadres du FN détiendraient une vérité dûment cachée par leurs ennemis.
En quoi consiste-t-il ? Pour le Front national, la France serait gouvernée en sous-main par une coalition politico-médiatique issue d’un lobby... juif : « Les grandes internationales, comme l’internationale juive, jouent un rôle non négligeable dans la construction de l’esprit antinational » (Le Pen, Présent, 1989).
Pour Alain Soral, de formation intellectuelle marxiste, la confrontation de classes et l’articulation exploités-exploitants s’arrange tout autant de la prétendue superpuissance de forces... juives.
Au plan de la politique internationale, une certaine part de l’ultra-droite et une certaine part de l’ultra-gauche se rejoignent en conséquence pour désigner d’une même voix l’ordonnateur supposé du Crime : l’axe imaginaire judéo-américain inflitré partout. Brièvement, ceci explique pourquoi Alain Soral et Dieudonné, ainsi qu’Ahmed Moualek (président de "La banlieue s’exprime"), se sont retrouvés au Liban en août 2006 en compagnie de Thierry Meyssan, Meyssan dont le délirant L’Effroyable Imposture est devenu un best-seller mondial au même titre que les Protocoles des Sages de Sion, bible de la paranoïa antisémite. (Sur les motivations et les méthodes de Thierry Meyssan, lire le remarquable essai de Fiammetta Venner, L’Effroyable Imposteur - Editions Grasset, 2005.)
La République nous appelle...
Au plan national, le racisme avéré de JMLP ("Oui, je crois à l’inégalité des races, c’est évident", a-t-il déclaré lors de l’université d’été du FN, 1996) se couvre de doux euphémismes et courtise les beurs des banlieues, dont une jolie représentante a orné récemment une affiche de campagne.
Encore une fois, Alain Soral, qui préfère les femmes voilées aux femmes en string, peut s’enorgueillir de faire résonner un propos où l’ancien "envahisseur" - maghrébin, arabe, musulman - est devenu, par le miracle de la transubstanciation gauchisante, le héraut d’un nouveau Lumpenproletariat.
Pour s’en convaincre encore, il suffisait jusque récemment d’effectuer une promenade sur le site de labanlieuesexprime.org, qui a curieusement disparu. Mais dont Ahmed Moualek avait accordé une interview dont il était fier à un web-magazine d’extrême droite, lui qui soutient sans faillir l’ex-comique Dieudonné dans ses nouvelles croisades.
Ainsi, par une alchimie de l’absurde, les anciennes victimes d’une prétendue haine xénophobe franchouillarde largement fantasmée (par les élites de droite, principalement), élevées au sein de la nurserie d’un antiracisme® (lire à ce sujet l’excellente analyse de JC Moreau sur Agoravox) contre-productif et aliénant risquent-elles aujourd’hui de se lancer à l’assaut de la social-démocratie que le FN ne cesse de combattre depuis ses origines et que Soral exècre.
Notamment parce qu’elle a nourri en son sein le fléau du communautarisme dans lequel les combats républicains (laïcité, égalité, solidarité, justice), et même le patriotisme républicain, ont été évincés au profit de revendications particularistes et abandonnés à l’extrême droite.
C’est tout le sens du discours de Valmy lors duquel, sous l’inspiration d’Alain Soral, JMLP a pu tout à la fois jouer sur la fibre chrétienne chère à son idéologie et se faire enfin valoir comme possible fédérateur d’une France réunifiée.
Une France qui, blessée dans ses traditions par la construction laborieuse et non concertée de l’Europe, et par la violence de la mondialisation sauvage et de la déconstruction insécurisante de la dignité des classes moyennes et pauvres, risque bien de le célébrer comme ultime refuge.
Un constat de vacuité qui permet au FN de dénoncer tout à la fois l’impuissance de la gauche à vaincre la pauvreté et l’arrogance de la droite néolibérale à la favoriser. Et de gagner ainsi de nouveaux votes protestataires, ceux des "ni-ni", soit "non" à ce que JMLP a défini, avec sa propension aux raccourcis, comme l’UMPS, incarnation bicéphale d’un fantasmatique "Etablissement" des "tous pourris".
C’est pourquoi il m’a semblé essentiel d’aborder ce thème au travers du prisme de cette figure que l’on pourrait comparer à celle d’un ange en chute libre vers l’enfer (Chute ! Eloge de la disgrâce. Editions Blanche, 2006) : Alain Soral, plumitif mineur mais doué, romantique de gauche désabusé cherchant sa cause et sa révolution depuis trente ans et ayant développé, dans plusieurs écrits pamphlétaires, un système de pensée dialectique redoutable qui lui a valu de devenir le conseiller de camapgne du Front national nouvelle version. Et de lui offrir non seulement les arguments qui lui manquaient pour asseoir sa réputation de visionnaire mal aimé, mais une couleur d’autant plus séduisante qu’elle se pare d’un volet social en contradiction absolue avec ses bases idéologiques en cas d’accession au pouvoir. Un volet social dont il ne faut pas négliger les retombées. Voir exemples ici et là.
Alain Soral ne représente pas un danger au sens où ses livres se vendent à peu près aussi mal que tous les essais dignes de ce nom, mais au sens où il offre à l’appareil idéologique frontiste les moyens de conquérir toujours plus de déçus, toutes sensibilités confondues. Son ralliement au FN, dont il estime que la figure historique JMLP est le seul véritable révolutionnaire d’aujourd’hui, tombe à point nommé dans une campagne où, à quinze jours du premier tour, 42 % des Français se déclaraient encore indécis. Et ceci, alors même que la faction droitiste du parti s’encolère de sa présence.
Après, donc, avoir mis en oeuvre une refondation complète de la sématique de son discours (Mégret déclarait en 1996 : "Nous entendons mener et gagner la bataille du vocabulaire") et formé les cadres de son état-major à une respectabilité nouvelle, notamment en créant un prétendu "conseil scientifique" (dont est issu le fumeux Rapport Millon, il ne manquait plus au FN qu’à se gauchiser et à se républicaniser, lui qui hait tant la République. C’est chose faite.
Une histoire d’amour mode victime : la figure du martyr
Alain Soral partage avec JMLP des origines modestes, une langue râpeuse, terrienne, labile et roublarde, prisant l’insulte déguisée et les formules lapidaires. Avec lui, il a également en commun une posture crucifixionnelle (il fut en effet victime de plusieurs agressions physiques, et malmené récemment à Sciences-Po Paris où il était invité avant que d’être exclu ; enfin, Olivier Besancenot a refusé qu’il participe à un débat télévisuel qui les souhaitait tous deux sur le plateau) que Dieudonné, deuxième larron de ce relookage non raciste et social, affectionne également, qu’il soit confronté à l’ostracisme ou à la diabolisation, ces deux types d’offensives n’ayant eu pour effet que de consolider leur image de prophètes maudits.
Du pain béni pour le FN, dans la mesure où ce victimisime jouissif et rémunérateur alimente à merveille le feu paranoïde de la fumeuse théorie du complot. Une complotite aiguë revendiquée comme une confiscation démocratique qui lui permet de considérer tout procès perdu comme une victoire des comploteurs et tout procès gagné comme une victoire contre ceux-ci.
Outre qu’il représente un moyen de parer toute critique, le complot a aussi l’avantage de diffuser une vision manichéenne du monde, ciment de toute idéologie extrémiste. Mais quel est ce complot ?
Il est d’ordre spiritualiste, quasiment. Ce en quoi il séduit ceux qui cherchent désespérément ce que notre république a bien pu faire de ses valeurs fondatrices humanistes et universalistes. Il est spiritualiste au sens où il propose uen vision magique d’un monde où s’affronteraient le Bien et le Mal, et où les cadres du FN détiendraient une vérité dûment cachée par leurs ennemis.
En quoi consiste-t-il ? Pour le Front national, la France serait gouvernée en sous-main par une coalition politico-médiatique issue d’un lobby... juif : « Les grandes internationales, comme l’internationale juive, jouent un rôle non négligeable dans la construction de l’esprit antinational » (Le Pen, Présent, 1989).
Pour Alain Soral, de formation intellectuelle marxiste, la confrontation de classes et l’articulation exploités-exploitants s’arrange tout autant de la prétendue superpuissance de forces... juives.
Au plan de la politique internationale, une certaine part de l’ultra-droite et une certaine part de l’ultra-gauche se rejoignent en conséquence pour désigner d’une même voix l’ordonnateur supposé du Crime : l’axe imaginaire judéo-américain inflitré partout. Brièvement, ceci explique pourquoi Alain Soral et Dieudonné, ainsi qu’Ahmed Moualek (président de "La banlieue s’exprime"), se sont retrouvés au Liban en août 2006 en compagnie de Thierry Meyssan, Meyssan dont le délirant L’Effroyable Imposture est devenu un best-seller mondial au même titre que les Protocoles des Sages de Sion, bible de la paranoïa antisémite. (Sur les motivations et les méthodes de Thierry Meyssan, lire le remarquable essai de Fiammetta Venner, L’Effroyable Imposteur - Editions Grasset, 2005.)
La République nous appelle...
Au plan national, le racisme avéré de JMLP ("Oui, je crois à l’inégalité des races, c’est évident", a-t-il déclaré lors de l’université d’été du FN, 1996) se couvre de doux euphémismes et courtise les beurs des banlieues, dont une jolie représentante a orné récemment une affiche de campagne.
Encore une fois, Alain Soral, qui préfère les femmes voilées aux femmes en string, peut s’enorgueillir de faire résonner un propos où l’ancien "envahisseur" - maghrébin, arabe, musulman - est devenu, par le miracle de la transubstanciation gauchisante, le héraut d’un nouveau Lumpenproletariat.
Pour s’en convaincre encore, il suffisait jusque récemment d’effectuer une promenade sur le site de labanlieuesexprime.org, qui a curieusement disparu. Mais dont Ahmed Moualek avait accordé une interview dont il était fier à un web-magazine d’extrême droite, lui qui soutient sans faillir l’ex-comique Dieudonné dans ses nouvelles croisades.
Ainsi, par une alchimie de l’absurde, les anciennes victimes d’une prétendue haine xénophobe franchouillarde largement fantasmée (par les élites de droite, principalement), élevées au sein de la nurserie d’un antiracisme® (lire à ce sujet l’excellente analyse de JC Moreau sur Agoravox) contre-productif et aliénant risquent-elles aujourd’hui de se lancer à l’assaut de la social-démocratie que le FN ne cesse de combattre depuis ses origines et que Soral exècre.
Notamment parce qu’elle a nourri en son sein le fléau du communautarisme dans lequel les combats républicains (laïcité, égalité, solidarité, justice), et même le patriotisme républicain, ont été évincés au profit de revendications particularistes et abandonnés à l’extrême droite.
C’est tout le sens du discours de Valmy lors duquel, sous l’inspiration d’Alain Soral, JMLP a pu tout à la fois jouer sur la fibre chrétienne chère à son idéologie et se faire enfin valoir comme possible fédérateur d’une France réunifiée.
Une France qui, blessée dans ses traditions par la construction laborieuse et non concertée de l’Europe, et par la violence de la mondialisation sauvage et de la déconstruction insécurisante de la dignité des classes moyennes et pauvres, risque bien de le célébrer comme ultime refuge.