Le Pen au second tour : de l’impossible au probable

par Frédéric F.
mercredi 18 avril 2007

C’est cuit, fini, bouilli, râpé ! Tous les mots n’y suffiraient pas. Faisons donc au plus court pour l’enterrement : le pari de Le Pen est perdu, définitivement, irrémédiablement. Mettez-vous ça dans la tête. Il ne pourra en aucun cas être du second tour cette fois. Impossible. Catégoriquement. Circulez messieurs, dames, il n’y a rien à voir... foi de sondages !

Et pourtant... et pourtant...

(1) Où l’on montre que Jean-Marie Le Pen semble très sûr de son fait : il sera au second tour ; et qu’il n’a rien à gagner à trop le dire... sauf s’il a tout simplement de très bonnes raisons de le croire...

Dix fois. Vingt fois. Cent fois peut-être nous l’avons entendu répéter sur toutes les chaînes - télé, radio -, sur tous les tons - amusé, taquin -, son assurance de se qualifier en faisant plus de 20% au premier tour de cette élection. De tous les candidats, il est à ma connaissance le seul à s’être autant avancé sur un chiffre : 20% ou plus.

Mais pourquoi ? Pourquoi une telle assurance dans le propos ? Et pourquoi une telle insistance surtout ? Quel message politique se cache derrière ? Quelle tactique ? A mon avis, cette tactique est double : dans un premier temps, décomplexer les électeurs qui seraient prêts à franchir le pas - " Je vous le dis, vous n’êtes pas seuls, n’ayez pas peur de venir à moi ". Mais cette tactique a un prix cependant : elle ranime une crainte, elle remobilise les opposants, ce qui, plus que le renforcer, pourrait l’affaiblir. Prix rendu négligeable à la vérité par le martèlement continu de cette prévision. Plus personne n’écoute, tout au moins parmi ses adversaires. C’est simple, le vieux déraille, le vieux radote. Il n’est plus menaçant.

Et en plus cela fait cinq ans que l’on nous bassine avec le "plus jamais ça", que cela ne se reproduira pas, " because " le traumatisme du 21 avril, le vote utile, etc. Tout le monde est donc convaincu (surtout la gauche, qui ne brille pas toujours par son intelligence - pardon pour elle ! - et qui, sûre d’elle, s’apprête en se dispersant à refaire la même erreur qu’en 2002) que Le Pen est fichu.

On comprend donc l’utilité politique de dire, et répéter, et répéter encore son assurance d’être du second tour : mobiliser. Mais pourquoi s’avancer sur un chiffre ? Pourquoi ne pas être plus flou ? C’est en effet prendre un grand risque que de s’exposer autant sur une estimation. Qu’on y songe ! Si Le Pen termine à 13 ou 14 ou 15%, comme médias et sondages l’annoncent partout, alors il devra répondre de son échec. Il devra répondre, tout simplement parce qu’il s’est trop avancé. "Vous voyez bien monsieur Le Pen, vous disiez partout pouvoir faire plus de 20 et vous n’avez fait que 14. C’est un échec ! Votre vote ne sera jamais autrement que protestataire. Et Sarkozy, par son action résolue mais se tenant toujours dans les rails de la démocratie - pas comme vous, Satan dévoyé ! - a commencé d’assécher le marais protestataire dans lequel vous nagiez."

Je crois pour ma part que Le Pen ne se serait jamais aventuré à ce petit jeu chiffré sans un sentiment très net, des éléments tangibles, bref, une quasi-assurance de franchir cette barre dont il nous a tant parlé, ou tout au moins de s’en approcher fortement : celle des 20%.

Et ce sentiment très net, il le puise en particulier de son expérience du quotidien : les gens l’applaudissent, l’arrêtent pour le prendre en photo, lui demandent un autographe... beaucoup plus qu’avant où il devait se cacher, ou presque. Le climat a manifestement changé pour lui. Quelque chose se passe.

Un indice. Un indice ténu. Mais un indice quand même.

Poursuivons notre enquête...

(2) Où l’on démontre que les sondages sont des anges bavards... à condition de les faire parler...

Vous ne croyez pas aux sondages d’intention de vote sur l’élection à venir ? Moi non plus ! C’est pourtant sur la base des sondages (entre autres choses, mais aussi grâce à mon tout petit flair à moi) que j’avais deviné dès la mi-janvier 2002 que Le Pen pouvait être du second tour de l’élection présidentielle. En mars, j’en étais vraiment sûr. Vous ne me croyez pas ?! Aucune importance. Mais accordez-moi tout de même le bénéfice du doute. Et regardons la machine à sondage.

Le vote Le Pen est remarquablement clair en réalité, beaucoup plus clair qu’on ne veut bien nous le dire. A côté des sondages sur les intentions de vote, les instituts posent un tas de question sur tout et n’importe quoi. Et là, croyez-moi, c’est une vraie mine ! Un trésor ! Il suffit de se pencher et de prendre. De lire. Et en 2002, très nettement, je m’étais aperçu qu’il y avait un "gap" entre les intentions de vote exprimées et le potentiel électoral réel de Jean-Marie Le Pen - potentiel qu’on pouvait mesurer aux indices de popularité, aux réponses sur des questions de société (du genre : " faites-vous confiance à untel pour résoudre tel problème ?", etc.). Juste un exemple éclairant à mettre en perspective avec la situation actuelle. Juste un. Quel était l’indice de popularité de Jean-Marie Le Pen, début avril 2002 (Sofres), un peu avant l’élection ?... 16 %. Quel était au même moment son niveau dans les intentions de vote ?... 12 %. Quel fut son résultat réel ?... 16,86 %, c’est-à-dire proche de 17 %, c’est-à-dire encore, très proche de son indice de popularité. Probablement parce qu’il est plus facile d’avouer aux sondeurs qu’on apprécie Le Pen, que de dire qu’on va voter pour lui.

Maintenant, j’imagine qu’une question vous brûle les lèvres. Quel est l’indice actuel de confiance de JMLP ?... 18 %. Deux points de mieux qu’en 2002 ! On s’approche méchamment de 20 %, vous ne trouvez pas ?

Ah ! Evidemment ! Je sais ! Certains vont me dire - je les entends déjà me le dire - "cette fois-ci c’est tout différent. Cette fois-ci ce n’est pas pareil. Il y a Sarkozy !"

Je vois, je vois. Vous pensez que certains des électeurs qui trouvent politiquement "sexy" Jean-Marie Le Pen pourraient aller voir ailleurs, chez Nicolas Sarkozy. C’est une hypothèse, en effet. Mais un petit truc ne passe pas dans cette hypothèse, juste un, qui fait mal dans la gorge, comme une arête :

Sans doute vous rappelez-vous des commentaires de JMLP sur Sarkozy le fils d’immigré ? Eh bien, figurez-vous qu’un institut a fait un sondage à ce sujet pour voir si les Français approuvaient ou non les propos tenus. Résultat : 25 % des Français approuvent les propos de JMLP. Croyez-vous sincèrement qu’un électeur de JMLP qui s’apprêterait à voter pour Sarkozy (et ils sont nombreux, si on en croit les médias) dirait en même temps qu’il approuve les propos de Le Pen raillant les origines du candidat vers lequel se portera finalement son choix ?! Pas très crédible. Et carrément schizophrénique d’ailleurs ! Evidemment, je sais, mon raisonnement s’appuie sur l’hypothèse que les 25% en question contiennent en totalité ou presque les électeurs de JMLP, ce qui n’est pas prouvé mais reste fort probable.

Autre exemple qui permettra d’apprécier le potentiel actuel de JMLP : sondage du jour (LH2). Combien de sondés considèrent que la présence de Le Pen au second tour serait une bonne chose pour la démocratie ? ... 22% ! Si c’est une bonne chose, pardonnez-moi, mais dans le cas de Le Pen, c’est qu’on est près de voter pour lui ! Et combien considèrent que ce serait une bonne chose pour eux, personnellement ? ... 20% !

Autre exemple, encore : la campagne de JMLP est-elle proche de vos préoccupations (question CSA) ? Oui à 21%. Je défends que beaucoup de ces gens qui se disent sensibles à la campagne de JMLP voteront tout simplement pour lui. Toujours du même institut : les sondés trouvent sa campagne moderne à 17%, pensent qu’elle propose des idées nouvelles à 19%, qu’elle est crédible à 24%, solide à 30% et enfin précise à 39%. Certes, n’allons pas croire qu’il aura 39% ! Mais observons quand même qu’il se passe quelque chose autour de 20%. Assez clairement.

On pourra me rétorquer qu’appliqué aux autres candidats ce raisonnement ne tient pas. On ne peut rien déduire en particulier d’une cote de popularité (celle de Bayrou est astronomique, et ils ne touchera peut-être pas les étoiles - mais la lune, qui sait ?). On obtiendrait en effet des chiffres extravagants. Parfaitement exact. Mais l’histoire prouve qu’il y a une correspondance assez forte entre ces sondages qualitatifs et les résultats définitifs dans le cas de Le Pen.

En conclusion, il me paraît raisonnable de placer Le Pen aux alentours de 20%, c’est-à-dire le niveau que lui-même se donne.

(3) Où l’on illustre le formidable fossé entre les chiffres annoncés par les sondages et les gesticulations des uns et des autres...

Soyons clair ! Si les sondages portant sur les intentions de vote avaient ne serait-ce qu’une once de crédibilité, Le Pen serait définitivement cuit, bouilli, râpé. Près de 28% pour Sarkozy, 24% pour Royal, 18% environ pour Bayrou et 13 à 15% pour Le Pen.

(a) Où l’on regarde d’abord du côté des politiques :

Même en considérant les indécis, de pareils écarts, gigantesques, seraient irrattrapables à une semaine de l’échéance. Sarkozy pourrait se contenter de gérer, tranquillement, raillant quelques fois la candidate des socialistes ; Royal de taper un peu sur Bayrou, pour écarter définitivement tout danger ; et Le Pen devrait se fendre de quelques larmes essuyées dans un grand mouchoir tricolore. Mais qu’en est-il en réalité ? Regardons Sarkozy. A près de 30%, et donc assuré d’être au second tour, il devrait tirer ses flèches sur la seconde : Royal, dans l’optique de la manche d’après. Et tire-t-il sur Royal ? Non ! Il la préserve. Absurde. Plus absurde que ça encore, il chasse avec force sur le terrain de Le Pen, le 4e, sensément largué loin derrière. Absurde et incompréhensible. Pourquoi donc vouloir affaiblir un mort si politiquement il n’est plus en vie ? C’est que le mort est peut-être bien plus vivant que ça ! C’est que sur le terrain de Le Pen il y a du gibier à chasser ("la majorité silencieuse"), et que la gibecière de Sarkozy est loin d’être aussi pleine qu’on voudrait bien nous le faire croire. Plonger la main dans sa gibecière, vous y verrez plus de plumes que de gibier !

Ecoutez ! Lisez ! Par exemple les dernières déclarations de François Hollande :

"L’échec de la politique gouvernementale depuis 2002 me laisse penser qu’il y a des conditions objectives pour que le vote de l’extrême droite soit à des niveaux élevés."...

"Mais je me pose la question : qu’est-ce qui ferait que le candidat de l’extrême droite fasse moins en 2007 qu’en 2002 ?"

Certes, c’est peut-être pour appeler à un vote utile (s’il sent que sa candidate est elle-même en danger, ce qu’objectivement les sondages semblent exclure, mais on vient de voir que le comportement des politiques ne suivait en aucune façon la température donnée par les instituts de sondages... ). Mais si c’était tout simplement... la vérité ?

(b) Où l’on s’intéresse à présent aux médias :

Tout aussi instructif, les messages subliminaux des médias.

Premier exemple (parmi beaucoup d’autres) : reportage du journal de 20 heures de TF1 du samedi 14 avril consacré aux élections vues par les médias européens. Le reportage se termine comme suit :

" Les télévisions européennes, pragmatiques, concentrent leur attention sur trois des douze candidats : NS, FB et SG. La presse européenne n’a pas de doute, pour elle l’un de ces trois noms est celui du futur président français. "

Excusez-moi, vous me trouverez peut-être tordu, mais généralement, quand on dit ne pas avoir de doute, c’est qu’on en a un très fort. En effet, si vraiment il n’y avait aucun doute, si Le Pen était politiquement mort, ce commentaire n’aurait tout simplement pas été fait. Il coulerait de source. Son seul but, c’est de dire aux Français : "Inutile de voter pour un autre que ces trois-là, n’y pensez surtout pas ! ce serait un vote pour rien". Message subliminal. Ou comment sauver la baraque.

Plus cocasse encore ! Un reportage du journal de TF1 du dimanche 15 avril à 20 heures (consultable sur leur site, allez voir - c’est instructif ! - le reportage intitulé : Sarkozy à la pêche aux voix du FN).

Plusieurs temps forts :

Tout d’abord un spectateur interpelle NS et lui demande : " Si au 2e tour il y a l’extrême droite et la gauche, vous appelez à voter pour qui ? "

Et Sarkozy de lui répondre : "Ah ! Il n’y aura pas l’extrême droite !"

Qu’on m’explique l’intérêt de ce passage si Le Pen n’est plus un danger ! Sur les deux ou trois heures de "pellicule" qu’ils ont filmées dimanche, pourquoi donc les journalistes ont-ils pris ce passage précis ? Quel est leur message ? Là encore, c’est un message subliminal, d’abord à l’attention des électeurs potentiels de Le Pen : "Ne pensez surtout pas à voter Le Pen ; Le Pen est mort, n’y penser surtout pas, il est mort, point final !" Mais ce message se double d’un autre, aussi subtil, cette fois-ci à l’attention de ses opposants : rappeler que le mort est là, que le mort est encore en vie, dangereux. Attention !

Et le reportage continue avec ce commentaire de la journaliste : "Aujourd’hui dans les Bouches du Rhône, le FN n’effraie pas moins qu’ailleurs."

N’effraie pas moins qu’ailleurs ! Mais pourquoi devrait-il donc effrayer, si l’homme est à 13 ou 15%, très loin derrière les autres ? Pourquoi donc ? Là aussi, suggérer le danger.

Et cela continue. Cette fois c’est Sarkozy qui parle : "Moi ce qui m’intéresse, c’est qu’on se tourne vers l’avenir. Je ne veux pas de JMLP au second tour comme en ... (blanc) ... 2002." Ce blanc est hallucinant. Il s’arrête soudain, ravale un mot dirait-on, dans une curieuse grimace, et sort finalement "2002". J’ai l’impression qu’il s’apprêtait tout simplement à dire... 2007 !

Au-delà de mon interprétation toute personnelle (et nécessairement subjective) de son silence involontaire et de sa grimace, pourquoi parlerait-il donc de vouloir éviter un Le Pen au second tour, si ce dernier était réellement à 13 ou 15% ? C’est tout simplement absurde et incohérent. S’il évoquait la menace d’un Schivardi au deuxième tour, on l’internerait direct, car c’est absurde, "les sondages le montrent !" Mais il n’est pas beaucoup moins absurde aujourd’hui de parler d’un danger Le Pen vu le niveau actuel donné par les différents instituts.

Conclusion et sentiment :

Le Pen est à un niveau bien plus élevé que ne le donnent à penser les chiffres. Tous les indices vont en ce sens. Il tourne probablement autour de 20%, peut-être plus. Sera-ce suffisant pour un second tour, à voir ?

Les instituts, avec la complicité des médias se sont probablement livrés de longue date à une mascarade. Leur but : donner le plus longtemps possible l’idée que Le Pen était politiquement mort, en espérant que leur stratagème prendrait et que les électeurs potentiels de JMLP se détourneraient de lui (on ne vote pas pour un mort !). Selon toute vraisemblance, leur stratégie a totalement échoué. Le Pen n’a pas faibli, mais il a au contraire augmenté. Du coup, politiques, médias et instituts de sondages se trouvent dans une impasse.

Les premiers ont l’obligation de courir après lui : thème de la nation, abondamment commenté. Généralement, vous me l’accorderez, quand on court après quelqu’un, c’est au mieux qu’on est juste à son niveau, au pire derrière lui, et pas loin devant !

Les seconds, à savoir les médias, traçant exclusivement depuis des années leurs commentaires à la lumière des "chiffres", sans aucun esprit critique, ne peuvent pas dire ouvertement que Le Pen est un vrai danger, puisqu’il est donné à des niveaux ridiculement faibles aujourd’hui. Cela reviendrait tout simplement à avouer que ces sondages étaient au mieux totalement à côté de la plaque, au pire totalement bidonnés, et que les commentaires, toujours appuyés dessus, étaient complètement foireux. Le discrédit de la profession attendra... une semaine encore. Et c’est humain : différer la douleur autant que possible, comme un enfant qui court pour échapper à la gifle. Ils lancent donc des messages subliminaux, espérant amorcer une prise de conscience et une mobilisation anti Le Pen qui viendrait sauver leur baraque. Hélas pour ces grands penseurs, cette nouvelle stratégie ne marchera pas, la plupart des gens étant maintenant sincèrement persuadés que Le Pen est fichu (sauf évidemment ceux qui s’apprêtent à voter pour lui, et qui y, à défaut de croire nécessairement à son succès, croient néanmoins à leur colère, à eux, colère qu’ils exprimeront en deux et trois lettres dimanche). Persuadés grâce à qui ? Grâce aux médias ! Grâce aux sondages ! La probable histoire d’un aveuglement médiatique, ou comment retourner le couteau contre soi !

Merci pour votre patience. Mon message était un peu long...


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