Le peuple, les élus, les experts

par Orélien Péréol
jeudi 30 juin 2016

Le peuple, les élus, les experts, trois acteurs majeurs de la démocratie. On entend très souvent la démocratie comme élection. Or, si l'élection est indispensable, elle n'est pas suffisante. Il lui est nécessaire le sentiment d'appartenir à une unité qui vote, un peuple.
Le peuple décide de l'action politique par l'intermédiaire des élus, conseillés par les experts. Ce « triumvirat » implique des tensions permanentes entre ses membres. Convenablement prises en compte et modérées, elles sont salutaires. L'Europe est donnée aux bureaucrates de Bruxelles, dit-on, la solution, jamais évoquée consisterait à donner plus de pouvoirs aux élus européens et d'aller vers un peuple européen (seul Erasmus fait ce travail, il faudrait inventer beaucoup de choses de ce type, aider l'installation des diplômés dans les pays communautaires, par exemple, tout ce qui brasse les Européens dans l'Europe...). L'Europe est, en substance, une unité culturelle (système féodal puis royauté, démocratie, instruction des enfants par l'Etat... architecture, musique classique, littérature, philosophie, sciences, techniques, révolution industrielle...) enchâssée dans une mosaïque de pays plutôt petits et en guerres dynastiques fréquentes. Cependant, quand Christophe Colomb découvre l'Amérique, c'est l'Europe qui découvre l'Amérique...
Le discours populiste est le seul publiable : un peuple bon par nature, trompé sans arrêt par des élus corrompus qui ne pensent qu'à eux, qu'à leur carrière et leur porte-monnaie... Ils sont déconnectés des réalités. Ce discours, diffamatoire pour la plupart des élus, abonde. Ceux qui le tiennent voient le populisme chez les autres, forcément.


En démocratie, tout le monde participe à la décision. Il n'est pas nécessaire d'avoir un certain niveau d'instruction, ni d'intelligence. C'est précisément possible par l'alliance difficile, conflictuelle et productive aussi de l'expert et du décideur, qui est présente dans nombre d'actions humaines. Les élus décident avec les informations et analyses apportées par les experts. Il ne serait pas admissible que les experts décident. Nous faisons la même chose quand nous réparons notre appartement, par exemple : des entreprises établissent des devis (ils disent comment ils voient ce qu'il faut faire et combien cela coûte) et nous décidons. Tout cela n'est pas parfait, mais tant que personne n'a la science infuse, la délibération permanente, comme nous avons, sera la meilleure façon de s'occuper de nos affaires communes.
Les opposants à Notre Dame Des Landes qui continuent le combat malgré le vote d'une fraction du peuple, se positionnent en experts, sachant, ayant analysés... et imposant une « scientifique » vérité à un peuple manipulé. Ils pensent tellement avoir raison que la violence leur paraît acceptable (ils l'imputeront à l'Etat). Cette attitude et ce type de comportement rompent avec la démocratie, et ils n'arrivent pas à le voir, ils se positionnent plutôt sur un sentiment contraire, ils seraient à la pointe de la démocratie, un état démocratique incandescent, extrêmement souhaitable et plus démocratique que les ordinaires routines de la démocratie.

Il appartient au peuple de contrôler la faisabilité des promesses électorales. Ce n'est pas facile, mais on peut y travailler et commencer par cesser de se présenter en victime. Quand les partisans anglais du Brexit disaient qu'ils transféreraient la contribution anglaise au système de santé, c'était évidemment impossible. Il eut fallu que cette contribution européenne n'ait pas de contrepartie, soit pure perte pour le Royaume-Uni... et que le budget d'un pays soit comme des vases communicants simples.
Nous ne sommes pas des jouets sans volonté dans les mains de candidats qui ne sont là que pour trahir. Il est légitime qu'ils pensent faire mieux que les autres et qu'ils fassent ce qu'ils peuvent, une fois élus. Contrairement aux idées reçues, les élus n'ont pas le pouvoir. Ils décident dans des situations extrêmement contraintes dans lesquelles la marge de manœuvre est faible. On les appelle les politiques, alors que nous sommes tous politiques.
Pendant deux siècles, la gauche proposait des changements d'institutions vers plus d'égalité, plus d'idéal... que l'Etat refusait. Depuis la Révolution, être de gauche consistait à fourmiller d'idées neuves, à bousculer les institutions, les vouloir plus près de leur idéal, de l'idéal... et cette volonté de changement radical se heurtait au puissant qui voulait le maintien des équilibres en cours. Depuis quelques décennies, être de gauche consiste à s'opposer aux propositions de réformes venant de l'Etat et travailler à l'immobilité ! Cruelle inversion de l'instituant.
Les médias sont accusés de nombreux maux. On peut calculer les distorsions qu'ils apportent mais comme on ne peut se passer de médiateurs, il y en aura toujours.

Les critiqueurs portent souvent l'idée implicite qu'il y aurait un système parfait, ils montrent des défauts comme si corriger les défauts, tous les défauts était dans le domaine du possible. 
Notre démocratie doit intégrer deux acteurs nouveaux : les lobbies, nombre d'entreprises mondiales sont plus fortes que les Etats, en volume financier, en mobilité territoriale et en capacité à se transformer ; et des citoyens pour qui la délibération, la démocratie n'est pas désirable, qui voient la beauté de l'homme dans l'application de ce qui leur semble la loi de Dieu et dont une minorité a commencé à utiliser tous les moyens, vraiment tous, pour ranger tout le monde sur cette vision.
Nous devrions prendre ces analyseurs en compte et nous en servir pour redire, repenser ce qu'est la démocratie, la refaire à certains endroits. Reparler de cette dialectique complexe entre décideurs populaires, décideurs élitistes (élus) et savants informant tout le monde.

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