Le programme du RN c’est alléchant. C’est quand on goûte que ça pique
par Jean-Luc Picard-Bachelerie
samedi 15 juin 2024
Le projet du Rassemblement national semble très favorable à ceux, nombreux, qui rencontrent de plus en plus de difficultés dans leur vie quotidienne, se sentent abandonnés et fragilisés par la société, de plus en plus exposés, eux et leurs enfants, à l'insécurité et à l'incertitude.
Parmi les nombreuses mesures annoncées, on peut citer entre autres la réindexation des retraites, l'augmentation des petites retraites, la revalorisation du minimum vieillesse, l'aide aux handicapés et aux proches aidants, la création d'urgences gériatriques, la lutte contre les déserts médicaux, une hausse des salaires de 10 %, la revalorisation des salaires des personnels soignants et des enseignants, une baisse de la TVA sur les produits énergétiques, le doublement du nombre de magistrats, la construction de 100 000 logements sociaux par an, l'aide à la réhabilitation de l’habitat ancien, la diminution des impôts des ménages...
Quand on fait le bilan de toutes les mesures impactant les recettes et dépenses sociales ou publiques (voir le détail plus bas), on trouve 26 mesures parmi celles listées augmentant les dépenses sociales ou publiques, ce qui est très positif. On trouve aussi 10 mesures diminuant les recettes sociales ou publiques au profit des ménages et des entreprises. Ces éléments du projet sont donc très alléchants, les ménages et secondairement les entreprises sont gagnantes, ce qui explique sans doute en grande partie le succès de Jordan Bardella aux dernières élections européennes.
Comment sont financées ces 43 promesses alléchantes ?
La très grande majorité (36) des mesures proposées augmentent les dépenses sociales et publiques et diminuent les recettes correspondantes, tandis qu'une petite minorité (7) de mesures diminuent les dépenses et augmentent les recettes. Une part importante de ces dernières mesures visent à exclure les étrangers de la protection sociale.
On trouve au cœur du programme du RN la baisse massive des recettes des assurances sociales (suppression des cotisations des entreprises notamment) et la baisse massives des recettes publiques, au profit des citoyens riches et des entreprises. Or on ne peut financer pour tous nos enfants une école de qualité de la maternelle à l'université, un hôpital qui soigne chacun de nous, une justice qui fonctionne bien, une police qui nous protège et des services publics dans les zones rurales avec moins de recettes. Les mesures alléchantes sont donc très loin d'être financées.
Le projet du RN : rupture ou continuité ?
Le projet du RN se situe ainsi dans la ligne des politiques menées depuis 10 ou 20 ans, avec une baisse continue des recettes publiques et sociales justifiant l'abandon progressif des services publics et de la couverture sociale. Comme on l'a dit de Macron, les promesses du RN n'engageront que ceux qui y croient. En effet, comment financer plus avec moins ? Tous ceux qui auront cru aux promesses alléchantes du RN risquent de se retrouver avec encore moins de services publics, avec encore moins de protection sociale pour eux-mêmes et leurs enfants. Difficultés, abandon, insécurité et incertitude ne feront que croître, à rebours des promesses alléchantes.
Les immigrés, que font-ils, que coûtent-ils ?
Tout reposerait alors sur l'exclusion des ménages étrangers de leurs droits sociaux et la restriction drastique de l'immigration. C’est d’ailleurs la suppression des droits sociaux des uns qui est censée financer les quelques mesures sociales pour les autres. Les étrangers immigrés seraient la cause de l'abandon de la plupart des Français, de leur insécurité sociale. Or, les étrangers font les travaux les plus durs et les moins bien payés, ils formaient l'essentiels de ceux qui ont continué à travailler durant la crise sanitaire pour continuer à apporter les services indispensables à la vie quotidienne (éboueurs, aides-soignantes, médecins étrangers, caissières, livreurs...). Sans eux, que serions-nous devenus ? Sans eux qui feraient les travaux les plus durs ? En outre, ils cotisent plus à la Sécurité sociale et au budget de l'État qu'ils ne leur coûtent, quoiqu'en disent certains.
En outre, sont-ils responsables de la baisse des recettes publiques et sociales ? De l'abandon des services publics ? De l'enrichissement extraordinaire des 1 % les plus riches au détriment de tous les autres qui voient leur condition de vie se dégrader ?
Rompre l'égalité de traitement entre Français et étrangers, c'est rompre l’égalité de traitement entre enfants au sein d’une même école, entre malades à l'hôpital ou entre salariés d’une même entreprise. C'est hiérarchiser la société encore plus qu'elle ne l'est, entre les bons et les autres. C'est la diviser encore plus. Demain, on bannira les étrangers, et après demain on bannira les Français les plus faibles ou les moins performants, pour le motif qu’ils coûtent... Non seulement ceux qui auront voté RN auront moins de services publics, mais une grande partie d'entre eux se trouveront stigmatisés pour une raison ou une autre : deux fois victimes.
Dans un tel climat d’exclusion, comment peut-on espérer avoir une société apaisée ? C'est construire une société encore bien plus violente qu'actuellement, bien plus divisée. Or notre force, c'est notre solidarité, c'est réduire les inégalités autant que possible, apaiser la société. Notre société en a bien besoin après tant d'années de gouvernement au bénéfice des immensément riches.
Annexe : les mesures du RN impactant les recettes et dépenses sociales ou publiques
(entre parenthèse le numéro de la mesure dans le projet du RN)
1. Augmenter les dépenses sociales et publiques, diminuer les recettes : 36 mesures
5 mesures augmentant les dépenses sociales :
-
Réindexer les retraites sur l’inflation pour un pouvoir d’achat respectueux d’une vie de travail (9.1).
-
Revaloriser le minimum vieillesse à 1 000 € par mois et augmenter les petites retraites (9.2).
-
Permettre à ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans pendant 40 annuités de prendre leur retraite à 60 ans (9.4).
-
Déconjugaliser et revaloriser l’Allocation Adulte Handicapée (10.1).
-
Revaloriser et augmenter la durée des aides destinées aux proches aidants (10.4).
1 mesure diminuant les recettes sociales :
-
Permettre aux entreprises une hausse des salaires de 10% (jusqu'à 3 smic) en exonérant cette augmentation de cotisations patronales (5).
21 mesures augmentant les dépenses publiques :
-
Accélérer les procédures judiciaires en engageant le doublement du nombre de magistrats. (3.4)
-
Atteindre 85 000 places de prison en 2027 (3.6).
-
Renationaliser les autoroutes (6).
-
Créer un chèque-formation mensuel de 200 à 300€ pour les apprentis, les alternants et leurs employeurs (7.1).
-
Doubler le soutien aux mères isolées élevant des enfants tout en renforçant les contrôles pour éviter les fraudes. (8.2)
-
Créer un prêt à 0% pour les jeunes familles françaises transformé en subvention pour les couples qui auront un 3e enfant (8.3).
-
Construire en cinq ans 100 000 nouveaux logements étudiants (8.4).
-
Lancer un grand plan sur l’accès à la scolarité pour les enfants touchés par le handicap (10.2).
-
Relancer la filière nucléaire, hydroélectrique et investir dans la filière hydrogène. (12.3)
-
Contraindre les cantines à utiliser 80% de produits agricoles français (13.3).
-
Revaloriser les salaires des personnels soignants à hauteur de leur travail (14.2).
-
Investir dans les technologies de santé et rapatrier la fabrication des médicaments (14.3).
-
Créer des urgences gériatriques dédiées à nos aînés (14.4).
-
Agir contre les déserts médicaux grâce à des incitations financières fortes pour les soignants et augmenter le nombre de maisons de santé (14.6).
-
Donner plus de place à la prévention, notamment grâce aux visites médicales scolaires qui redeviendront systématiques (14.7).
-
Revaloriser les salaires des enseignants et refonder leur formation (15.2).
-
Construire 100 000 logements sociaux par an dont 20 000 en faveur des étudiants et jeunes travailleurs (17.1).
-
Lancer un plan de réhabilitation de l’habitat ancien grâce à des aides efficaces (17.2)).
-
Créer un Fonds de Garantie des Loyers pour protéger les propriétaires (17.3).
-
Créer un « fonds souverain français » pour augmenter la rémunération de l’épargne des Français et l’orienter vers des secteurs stratégiques et l’innovation (19).
-
Porter le budget de la défense à 55 milliards d’euros à l’horizon 2027 (20).
9 mesures diminuant les recettes publiques :
-
Baisser la TVA de 20% à 5.5% sur les produits énergétiques (carburants, fioul, gaz et électricité) en tant que biens de première nécessité (4).
-
Exonérer d’impôt sur le revenu tous les jeunes actifs jusqu’à 30 ans pour qu’ils restent en France et fondent leur famille chez nous (7.2).
-
Supprimer l’impôt sur les sociétés pour les entrepreneurs de moins de 30 ans pendant les 5 premières années pour éviter leur départ à l’étranger (7.3).
-
Instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant (8.1).
-
Supprimer les impôts sur l’héritage direct pour les familles modestes et les classes moyennes (8.5).
-
Exonérer les donations des parents mais aussi des grands-parents à leurs enfants et petits-enfants jusqu’à 100 000€ par enfant tous les dix ans (8.6).
-
Restaurer la demi-part fiscale en faveur des veuves et veufs (9.5).
-
Supprimer l’IFI qui taxe l’enracinement (16).
-
Supprimer la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE) qui pénalise les PME-TPE locales et les impôts de production qui nuisent à la relocalisation (18.3).
2. Diminuer les dépenses sociales et publiques, augmenter les recettes : 7 mesures
2 mesures diminuant les dépenses sociales :
-
Réserver les aides sociales aux Français, et conditionner à 5 années de travail en France l’accès aux prestations de solidarité (1.3).
-
Assurer la priorité nationale d’accès au logement social (1.4).
1 mesure augmentant les recettes sociales :
-
Créer un ministère de la lutte contre les fraudes (fiscales) (22).
1 mesure diminuant les dépenses publiques :
-
Supprimer les ARS et réduire à 10% les postes administratifs dans les hôpitaux pour libérer des moyens pour les soignants (14.5).
3 mesures augmentant les recettes publiques :
-
Privatiser l’audiovisuel public (6).
-
Créer un IFF, impôt sur la fortune financière, pour taxer la spéculation (16).
-
Créer un ministère de la lutte contre les fraudes (fiscales, aux importations, ententes, etc.) (22).
Texte rédigé avec Robert Joumard