Le retour d’Alain Juppé ou l’amnésie française
par REJOU-MECHAIN
vendredi 21 novembre 2014
Lorsqu'un personnage politique rentre dans le club des septuagénaires il apparait bien légitime d'établir un bilan sur sa vie et son oeuvre. Qu'en est-il de Monsieur Alain JUPPE ?
Son parcours politique apparait bien ici comme le standard de référence de nos chers technocrates de la Vème République, un parcours obligé : Louis Legrand, la rue d'Ulm, Sciences Politiques et... l'incontournable ENA !
Comme tout néophyte politique des années soixante, bien que non élu et seulement en poste à l'inspection générale des finances, il n'hésite pas à proclamer ses affinités pour l'extrême gauche. En effet, Alain Juppé affirmera ultérieurement avoir voté pour Alain Krivine, membre de la ligue communiste révolutionnaire, à l'occasion de l'élection présidentielle de 1969.
En 1976, séduit par la personnalité de Jacques CHIRAC, il devient son collaborateur puis, enfin, il adhère au RPR ancêtres de l'UMP.
1978 est l'année où il tente sa première campagne législative sans succès, battu par le député socialiste sortant Roger Duroure.Il se console alors en prenant la présidence de la fédération départementale du RPR des Landes.
Il devient le directeur adjoint de la campagne de Jacques CHIRAC pour l'élection de 1981 qui aboutira à la victoire des socialistes.
Elu député européen en 1984, il devient ensuite député de Paris en 1986 grâce au scrutin proportionnel instauré par François MITTERAND. Il sera ensuite réélu en 1988 et 1993.
Il se retrouve ministre du budget durant la première cohabitation période pendant laquelle il supervise un baisse générale de la fiscalité décidé par Edouard BALLADUR alors ministre de l'économie.
Après le basculement de la droite dans l'opposition, il devient le numéro deux du RPR assurant le contrôle des revendications internes en provenance des jeunes militants rénovateurs.
On le retrouve Ministre des Affaires étrangères lors de la deuxième cohabitation, période au cours de laquelle, en accord avec le Président MITTERAND, il soutient une opération militaire au Rwanda encore aujourd'hui sujette à controverse.
En 1994, il devient Président du RPR par intérim avec la candidature de Jacques CHIRAC à l'élection présidentielle. A l'issue de la victoire de Jacques CHIRAC, Alain JUPPE est nommé premier ministre sans oublier de conserver la présidence du RPR. Il lui suffira de deux ans pour conduire son gouvernement à sa défaite après l'échec aux élections législatives de 1997 après avoir augmenté de façon très substantielle la pression fiscale. Voici quelques mesures adoptées par Alain JUPPE durant son ministère de deux années : hausse de la CSG instituée par les socialistes, mise en place du CRDS (Contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale), augmentation de la pression fiscale avec augmentation de 10% du plafond des tranches de l'ISF et suppression de son plafonnement aboutissant à ce que certains foyers fiscaux paient plus d'impôts que leurs revenus ! Nous pouvons également évoquer le projet de vente de Thomson Multimédia officiellement très endetté au groupe Daewoo contre un franc symbolique après recapitalisation de 11 milliards de francs par l'Etat.
Mais cette piètre petite tranche de vie politique ne saurait être suffisante pour dresser le profil d'un personnage politique qui, aujourd'hui, représente, aux yeux d'un bon nombre de Français amnésiques ou trop déçus du socialisme, l'image de l'homme providentiel que les médias tentent également de leur imposer. Il convient ainsi de réveiller les esprits embrumés sur quelques affaires qui ont tant déchainé une sphère médiatique toujours plus avide de scandales pour alimenter ses flux d’information. Ainsi quelques rappels sont-ils nécessaires
Il y a dix ans seulement, le 30 Janvier 2004, le Tribunal correctionnel de Nanterre condamnait Alain JUPPE à 18 mois de prison avec sursis et à une peine de 10 ans d'inéligibilité au motif de prise illégale d'intérêts. On peut lire dans le jugement rendu :" Alain Juppé a délibérément recouru à des arrangements illégaux » pour favoriser l'action du RPR, que la nature des faits était « contraire à la volonté générale exprimée par la loi » et qu'il avait ainsi « trompé la confiance du peuple souverain »
Il est vrai que ledit “peuple souverain” a souvent l’habitude d’être trompé par des politiciens, de gauche comme de droite, que l’argumentation des juges paraît bien dérisoire. Il y a là comme un hommage rendu à une démocratie idéale fort éloignée de ce qu’elle devrait être réellement ! C'est bien pour cela qu'en appel la cour poussée probablement par sa naturelle "mansuétude" et sa volonté de ne pas briser une future brillante carrière politique, a réduit cette condamnation à 14 mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité. Corruption, racket ou prise illégale d’intérêts ont toujours un sens dans notre beau pays ?
L'appartement de Laurent JUPPE locataire privilégié de la Ville de Paris restera dans les annales des passe-droits immobilier. En effet, en juin 1995, Le Canard enchaîné publie un document interne de la Ville de Paris, signé par Alain Juppé, donnant ordre à ses services de diminuer le loyer de son fils Laurent, logé dans un appartement relevant des propriétés de la ville de Paris, rue Jacob. Il est locataire, à un prix défiant toute concurrence, d’un appartement de 189 m² dans la même rue, où sont réalisés des travaux pour plusieurs millions de francs aux frais des contribuables. Une plainte pour « prise illégale d’intérêts » est déposée par l’Association des contribuables parisiens, créée ad hoc par Arnaud Montebourg, à l’époque jeune avocat et adhérent du Parti socialiste.
Les emplois fictifs de la mairie de Paris avec ses « faux chargés de mission » viendront alimenter les média. En 1999, Alain Juppé est alors mis en examen pour « abus de confiance, recel d'abus de biens sociaux, et prise illégale d'intérêt » pour des faits commis en tant que secrétaire général du Rassemblement pour la République et maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995. Il est considéré comme un élément clé d'un système de financement occulte d'emplois au sein du RPR financés par la mairie de Paris et des entreprises désireuses de passer des contrats publics (sa secrétaire personnelle au RPR fut elle-même rémunérée par une entreprise, le groupe immobilier Ségur, puis par la ville de Paris).
La procédure aboutit en Janvier 2004 lorsqu'Alain Juppé est condamné à une peine d’inéligibilité de dix ans dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. A la suite de cette condamnation il part enseigner l'Ecole Nationale d'Administration Publique de Québec. Bon nombre d' universitaires se sont étonnés qu’un homme politique condamné à une peine d’inéligibilité puisse donner des cours à de futurs hauts-fonctionnaires !
En mars 2011, de concert avec Nicolas SARKOZY et Monsieur Bernard HENRI LEVY, Alain Juppé plaide pour une intervention de la communauté internationale en Libye, pour protéger d'« urgence » les populations civiles contre les violences commises par les troupes de Mouammar Kadhafi. Nous pouvons mesurer, aujourd'hui les conséquences catastrophiques de cette décision sur le plan humanitaire et politique.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’une telle carrière politique se devait d’être récompensée par de multiples décorations : Grand Officier de l’ordre national de la Légion d'honneur, Grand-Croix de l’ordre national du Mérite en 1995, Grand-Croix du Mérite de l’ordre de Malte, Grand-Croix de l'ordre de la Croix du Sud du Brésil, Officier de l’ordre national du Québec en 1996,…
Les Français seraient-ils vraiment devenus amnésiques à ce point d’offrir une nouvelle chance d’alternance à de médiocres politiques qui n’ont plus rien à prouver quant à leur incapacité à changer le bien pitoyable paysage politique de la France ?