Le rêve européen est mort. Place au MIRE
par Bernard Dugué
mardi 12 juin 2012
Depuis deux ans, l’Europe envoie des signaux inquiétants. Tout à tour, des pays sont déclarés en grande difficulté et sont l’objet de l’attention des autorités européennes dotées d’un organigramme assez compliqué pour qu’on ne s’y retrouve plus. Des fonds de stabilités au FMI, de la BCE aux fonds d’intervention, tout est mise en place pour renflouer les institutions financières qui vacillent. Souvent, ce sont des Etats qui peinent à obtenir des liquidités à taux correct sur les marchés et d’autres fois, ce sont les banques qui sont menacées, comme on le constate actuellement en Espagne, dernier pays en date à bénéficier de fonds d’aide européens, après l’Irlande, le Portugal et la Grèce. L’Europe donne l’image d’un navire qui aussitôt une voie d’eau colmatée, laisse apparaître une autre brèche dont il faut s’occuper. Les citoyens européens sont certainement déboussolés et n’y connaissant rien en économie, s’en remettent aux informations et décisions annoncées par les médias sous l’autorité de quelques analystes habilités à parler de la finance puisqu’ils font partie de ce corps de métiers qui ne met pas ses mains dans le cambouis mais trempe ses neurones dans l’univers comptable des chiffres et des taux d’intérêt. Le citoyen européen espère que son pays ne va pas couler et qu’il pourra continuer à travailler et vivre avec des revenus stables. Souvent, d’autres citoyens européens sont laminés par le système, expulsés de leur emploi ou parfois de leur logement. Il y a beaucoup de pauvreté et finalement, on se demande quel peut-être le rêve européen dans cet assemblage de pays qui s’entendent pour laisser filer le chômage mais pas se défiler les déficits, oeuvrant de ce fait au sauvetage des puissances financières tout en faisant preuve d’impuissance sociale.
Le rêve européen est mort titre Eric Le Boucher, chroniqueur sur Slate. Oui, certes, mais quel fut ce rêve européen ? A entendre les analystes politiques, tout repose sur la croissance, seul salut pour une Europe en pleine crise d’identité, en crise financière et du reste, minée par les crises sociales. Mais quel crédit accorder à ces bonnes intentions alors qu’on sait pertinemment que les marges pour faire de la croissance sont extrêmement réduites en raison des structures socio-économiques nationales, de la bureaucratie communautaire et de la concurrence globale. Les Européens s’appauvrissent et donc même le rêve d’un continent prospère s’effondre. Ce qui reste, c’est une Europe dont les Etats sont en paix depuis 1945, ce qui au fond, répond au souhait des pères fondateurs.
L’Empire romain avait à travers Remus et Romulus son mythe fondateur. Pour nous, les noms de Monnet, Schuman, Adenauer et quelques autres résonnent comme un mythe moderne mais rationnel d’où sorti l’Europe comme ensemble de nations devant s’entendre non plus par la force de l’équilibre des puissances (qui finit en général par la guerre) mais par une volonté commune de vivre ensemble et de permettre aux peuples de contribuer chacun au développement des industries, de l’économie, et même de la pensée, de la poésie, la culture et la créativité selon les mots employés par Adenauer. Une Europe ainsi voulue comme unie et prospère se devait d’instaurer quelques règles, notamment pour mettre en commun des ressources naturelles et de créer un espace économique partagé. La CECA fut ainsi crée comme espace supranational doté d’une autorité indépendante censée rendre la guerre impossible. Dans la foulée, cinq ans après, fut donc créée la CEE, institution devant permettre l’intégration économique et qui deviendra en 1993 la CE, communauté européenne, l’un des trois piliers de l’Europe politique que l’on connaît actuellement. Cette communauté a été élargie considérablement, alors qu’elle a mise en place divers moyens d’intégration comme le marché unique, l’espace de Schengen permettant la libre circulation des citoyens communautaires et bien entendu l’euro comme monnaie unique pour les pays ayant souhaité en disposer moyennant des conditions strictes pour être acceptés dans la zone euro. L’Europe est devenue un colosse administratif assurant l’intégration technique, économique, sociale, mais aussi des coopérations en matière de politique étrangère, de justice et de police. Seuls de rares spécialistes savent dans les détails comment fonctionne l’Europe. Beaucoup d’étudiants sont satisfaits après leur séjour à l’étranger organisé par Erasmus alors que bien des agriculteurs s’en sortent bien avec les aides de la PAC tandis que d’autres ne rechignent pas devant les financements communautaires pour développer leurs projets. Mais au final, l’Europe est devenu un colosse qui tangue.
Pourquoi l’Europe ne fait-elle plus rêver ? Eh bien parce qu’il y a eu un malentendu. L’Europe n’est plus considérée comme un rêve ou une fin, du moins par les jeunes générations. L’Europe est avant toutes choses un moyen. La plupart des dirigeants politiques parlent de l’Europe comme un bouclier pour affronter la globalisation, comme un super Etat providence et protecteur. On a besoin de plus d’Europe ânonnent-ils, présentant la CE comme un instrument devant les servir. On voit le résultat. Les égoïsmes nationaux reviennent. La solidarité n’est qu’une façade masquant la peur d’effondrement systémique comme ressort des mesures adoptées. Au final, chacun, individu, entrepreneur, institution, cherche à mettre l’Europe à son service sans vraiment se préoccuper de savoir s’il sert l’Europe. Quoique, cette idée de servir un Etat renvoie à d’anciens systèmes totalitaires. Disons qu’il faudrait songer à servir plutôt quelques valeurs dont serait garante la souveraineté spirituelle européenne. Pour l’instant, la plupart se servent de l’Europe pour faire des affaires, prospérer et cet espace communautaire est devenu un milieu socio-économique permettant aux plus doués dans la jungle économique de prospérer. Et comme les responsabilités financières sont diluées, eh bien quelques Etats ont pris des distances avec la rigueur budgétaire. Le cas des banques est différent. Les banques espagnoles se sont comportées comme les banques américaines avant la crise des subprimes. Elles ont joué au casino immobilier et sont en difficulté, menaçant de faire « sauter le système » si elles ne sont pas renflouées. Cette affaire ressemble exactement à notre Crédit Lyonnais dont les dirigeants, protégés par le statut nationalisé, ont joué au casino dans les années 1990 avant que l’établissement ne soit renfloué par les contribuables français qui maintenant, payent pour les erreurs des banquiers espagnols. L’appât du gain facile, la cupidité, l’avidité pour l’argent, l’irresponsabilité, l’indifférence aux valeurs et à la communauté des peuples et Etats, voilà les causes de la mort d’un rêve européen qui n’a même pas su se déployer.
Le diagnostic est évident. L’Europe n’est considérée que comme un moyen par une majorité d’Européens pour qui la politique et la vie se résume à une histoire de sous. Adieu la poésie et la créativité. Le protocole de Lisbonne secondé par les accords de Bologne indique la voie à suivre pour les citoyens communautaires. Il faut de l’économie, de la croissance, de la technologie. Les plus fervents partisans de l’Europe se recrutent dans les classes favorisées, dans les milieux bien considérés, chez les gens qui ont réussi. Le rêve européen, du moins tel qu’il est apparu de manière fantomatique, s’est dissout dans la matière et le profit. Les intellectuels européens ont baissé la garde, sont devenu des bras cassés de la pensée en même temps que des commensaux favorisés par la cour des médias et les scènes d’expression. Comment comprendre que les Européens sont devenus ces abrutis de petits soldats verts dont la mission est de lutter contre le réchauffement. Le rêve européen, c’est une autre idée, plus spirituelle, plus culturelle. Il faut réinventer l’Europe, en faire un champ d’expression de la créativité humaine, une Europe des savoirs, des connaissances, des gens instruits et éclairés, une Europe des arts, une Europe qui retrouve le sens des valeur et la valeur d’un sens qui ne peut se réduire à la croissance. Les médias ont mis des œillères au gens, ils ont embastillé les esprits. Il faut faire la révolution contre ces prisons de l’âme que sont devenus les grands médias. La nature humaine n’a pas vocation à devenir une matière technique exploitable au service d’une caste favorisé qui se sert de la société sans servir la société ou du moins très peu. Quand l’échange équitable est rompu, une nouvelle conscience doit apparaître pour un dessein inédit à inventer ensemble. La liberté à retrouver. Sinon, que l’Europe crève d’une mort lente et décadente avec son idéal de fric et de croissance.
Il faudrait fonder le MIRE, mouvement des intellectuels pour une renaissance européenne. Ou bien une révolution.