Le sarkozysme tel qu’il est révélé par Emmanuelle Mignon

par Bernard Dugué
vendredi 22 février 2008

Est-ce par audace, imprudence, sentiment de confiance, les confidences d’Emmanuelle Mignon livrées en décembre 2007 ressemblent à une divulgation de secret d’Etat. Les uns diront secrets de polichinelle et pourtant, la manière dont a été conduite l’interview (partie 1 ET partie 2), par Frédéric Martel et Martin Messika pour le site Nonfiction, livre quelques éclaircissements sur la méthode Sarkozy, la fabrication de son programme alors qu’il était candidat, ainsi que quelques éléments d’ordre idéologique. Ce long entretien avec la directrice de cabinet à l’Elysée dévoile certaines choses cachées de la politique et, par extrapolation, nous pourrions spéculer sur le sens exact du sarkozysme, qui est à la fois un savoir-faire politique et un savoir politique. Le tout doublé d’une idée, vague, bigarrée, composite, mais orientée, de ce que doit devenir la France. Mme Mignon vient de faire quelques apparitions dans les médias. Nul ne sait quel est le sens, ni s’il y en a un dans la partie que joue l’Elysée avec la France, mais en lisant avec attention les propos divulgués sur Nonfiction, nous avons quelques raisons d’être perplexes et puis, aussi, vigilants. On observera aussi quelques traits permettant de nous déprendre de fausses idées que l’on se fait du sarkozysme.

Pour commencer l’interprétation, une vue générale. Emmanuelle Mignon, jaugée comme brillante, perfectionniste, bref, une tronche comme on dit dans le jargon, a été missionnée fin 2004 par le futur candidat Sarkozy pour être directrice d’études à l’UMP. Cette fonction a été définie avec précision. Sa feuille de mission, organiser un certain nombre de conventions sur des sujets choisis comme sensibles, proches des préoccupations des Français, en recrutant des intellectuels et des experts, le tout en vue de la préparation d’un programme présidentiel devant être bouclée fin 2006. Ce qui, comme le reconnaît Mme Mignon, a offert un confort de timing fort appréciable. Deux ans, de quoi bien ficeler le projet. Et l’on découvre les précieux ingrédients ayant conduit Sarkozy à la victoire : le « temps long » et puis la précision, les détails, le professionnalisme. Aussi étrange que cela puisse paraître, la campagne politique s’est plus jouée sur une aptitude à préparer un concours que sur une réelle opposition entre deux options politiques. Un candidat à l’ENA disposant de trois ans de préparation a plus de chance de l’emporter face à un concurrent ne disposant que d’un an. Un candidat à l’IEP ayant reçu des cours particuliers des meilleurs professeurs sera reçu dans les premiers. Telle fut la stratégie gagnante d’Emmanuelle Mignon, attirer à elle tous les intellectuels et experts, les tester et choisir les meilleurs pour participer aux conventions thématiques.

Le principe ayant gouverné la campagne de Sarkozy, bien que non explicite car cela eût été grotesque, c’est de trouver à la France des problèmes, avérés certes, et de persuader les Français que Sarkozy c’est la solution. En une image, cela s’est joué comme un concerto pour orchestre de problèmes et un virtuose aux solutions. Pour ce faire, il fallait les meilleurs experts en problèmes et en solutions pour jouer cette partie et écrire la partition, ce que firent Sarkozy et Mignon. Bien répéter avant la présentation au public. Le Boston Consulting Group a d’ailleurs proposé des exercices pour apprendre la cohérence. Par exemple, répondre à une question posée par Mme Michu et le lendemain, par M. Glandu. La suite est connue, mais l’affaire n’a pas été pliée dans l’allégresse tant à l’UMP les personnalités et susceptibilités du staff sarkozien sont divergentes. Un maître mot, synthèse. C’est ce qui caractérise selon Mme Mignon notre président, qu’elle considère comme une éponge, dans le sens où il est capable de lire et entendre un nombre considérable d’informations, de les assimiler, d’en faire une synthèse, un amalgame diront les critiques, pour ensuite faire fonctionner la machine à idées et trouver des propositions érigées en solutions. Nous voyons un côté moderne mais pas forcément dans le bon sens du terme. Disons un côté avant-gardiste du genre à justifier une idée parce qu’elle n’a pas été proposée auparavant, à l’instar d’un artiste qui crée un précédent et passe pour un créateur parce qu’il est le premier à oser.

Cette posture « je trouve une solution », adoptée par le candidat, semble persister chez le président, si bien que d’aucun ont pu trouver que Sarkozy se croit encore en campagne. Mû par une sorte d’inquiétude. Se sentant obligé de trouver des solutions même là où il n’y a pas de problème. Il suffit alors de faire croire qu’il y a un problème, comme la publicité sur les chaînes publiques ou bien l’enseignement de la Shoah. Et récemment, cette saillie de Mme Mignon sur les sectes. Encore un problème que Sarkozy, à la faveur d’une mise au point nette, se pose en garant du combat antisecte et se veut rassurant. Car Sarkozy solutionne tout, y compris quand il n’y a pas de problème et cela risque de durer un moment, jusqu’à l’inversion dialectique où Sarkozy, de solution, deviendra problème pour les Français.

L’entretien avec Mme Mignon est fort intéressant par ce qu’il dévoile sur des experts et intellectuels de gauche qui, abandonnant leurs convictions, se sont précipités pour participer aux « études de l’UMP », si bien que l’ouverture à gauche, les compositions des commissions, les saillies sur Jaurès et Blum, tout cela était déjà inscrit dans la tête de Sarkozy en 2004. Les mauvaises langues diront qu’il suffit de quelques hochets, de la soupe et la gamelle, pour attirer les intellectuels de gauche dans cette aventure, dont ils se sont retirés du reste en 2006, refusant de soutenir Sarkozy, en toute légitimité comme le signale Mignon. Toujours est-il que les frontières idéologiques, les identités classiques ont été brouillées et que le sarkozysme est devenue une méthode et une idéologie alliant le pragmatisme, le réformisme comme mise en pratique des solutions, sorties de la boîte à idées, la croissance comme horizon et le spirituel comme solution des espérances citoyennes.

Un point qui n’est pas du détail. L’intéressée admet que la gauche « est moins conne » que la droite, qu’elle a plus d’idées, qu’elle sait mieux les défendre, mais que Sarkozy a réussi à inverser la tendance, du moins en 2007. Cette précision prend tout son sens si on revient au début de l’entretien où Mme Mignon admet s’être débarrassée de la majorité de ceux qu’elle juge comme les incapables de l’UMP, les notables en rentes de situation. Bref, aussi clair que la logique du maillon faible. C’est cela la méthode Sarkozy, prendre les meilleurs ou du moins les mieux adaptés dans une mécanique et mettre à l’écart les tocards. Après les avoir testés. Le test étant aussi l’un des ingrédients de la méthode Sarkozy, sondages à la clé, et, d’ailleurs, ses dernières annonces ont souvent été des tests, télé publique, devoir de mémoire... Ce que n’aime pas Sarkozy, c’est une France qui ronronne, alors, il donne de l’impulsion comme le dit sa conseillère très spéciale ; il est le général des bonnes volontés qui regardent dans la même direction que lui. Il est investi d’une inquiétude impatiente et veut que tout aille vite, c’est un homme pressé.

L’idée d’un Sarkozy ennemi des intellectuels ne tient plus. Même si ses goûts esthétiques sont risibles, Sarkozy pratique le sérieux et sait s’allier le compagnonnage d’intellectuels compétents et efficaces pour réaliser son dessein de mettre en mouvement le navire des réformes. Goethe aurait détesté cette forme d’intelligence. Le sens du collectif est largement présent. Un collectif que Mme Mignon a eu l’occasion de pratiquer dans sa jeunesse catholique à Ginette et chez les scouts. Un collectif qui est aussi mis en avant et fort prisé par Sarkozy lorsqu’il est question de religion. Où il voit dans les instances religieuses une manière de diriger les attentes, canaliser les souffrances morales, les espérances et répondre aux questions. Décidément, Sarkozy est un adepte de la solution, accordant une place spéciale aux spécialistes qui apportent des solutions, que ce soit pour la croissance nationale ou l’espérance des gens. Son mentor, ce serait Auguste Comte, ordre et progrès, voilà la devise de Sarkozy, épris de société poussée vers l’excellence et qui sait pratiquer le culte, un culte, pour répondre à ses espérances. Mais la culture ? Pas le problème de Comte, ni de Sarkozy !

Pour finir, quelques spéculations intellectuelles, au risque de se tromper, assumé par l’auteur. Il est faux de croire que Sarkozy est un libéral. Pour preuve, son cercle d’étude de l’UMP, dirigé par Mignon, a carrément liquidé le « think tank chiraquien » censé incarner la réflexion de droite, autrement dit Fondapol, alors qu’il a fait place aux analyses émanant de la République des Idées, livres que s’est procurée Mignon, laquelle consent à répondre d’un oui vague à la question sur le zigouillage de Fondapol. Ce qui au passage, confirme mes intuitions sur la teinte libérale, au sens noble, limite Benjamin Constant, que j’avais entrevue à l’occasion du dossier sur la jeunesse proposé par Fondapol. Institution qui pencherait plutôt pour l’indépendance comme valeur. Une valeur que Sarkozy doit redouter car le jour où les Français sauront pratiquer l’indépendance et réduire l’obéissance, la dépendance, la peur, ce sera la fin de Sarkozy. Parce que le citoyen aura découvert que la politique de Sarkozy repose sur des faux problèmes ou, du moins, sur des problèmes sans importance majeure, des détails, le diable logé dans les détails dixit Mignon, le diabolique Sarkozy, génial, mais qui ne prend pas les problèmes à la racine ; et la radicalité, elle rime avec liberté, et la fameuse statue, elle est sans doute ce crucifix qui pourrait faire fuir ce diable de Sarkozy qui semble redouter la liberté des citoyens et on le comprend car un citoyen indépendant sait relativiser les problèmes et trouver ses propres solutions. L’attaque la plus percutante qu’on puisse faire à Sarkozy, c’est de lui dire qu’il est inutile, sous réserve d’être habile en analyse et rhétorique. Analyse car il faut d’abord prouver qu’il est inutile.

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