Le scandale du logement social en France

par Bruno de Larivière
jeudi 4 février 2010

« 1 % du parc vendu par an permet de dégager 2 milliards d’euros de fonds propres ». Par cette annonce d’un déstockage des offices HLM, Benoist Apparu, le secrétaire d’Etat au logement prend-il la mesure des conséquences d’une telle décision ?

Cinq pays concentrent plus de la moitié des vingt-deux millions de logements sociaux que compte l’Union européenne : le Royaume-Uni (5,12), la France (4,3), l’Allemagne (2,47), les Pays-Bas (2,4) et l’Italie (1,06). Dans ce groupe de pays importants, la France tient une sorte de position médiane. La proportion des logements sociaux dans le parc locatif total (43 %) est inférieure à celle observée au Royaume-Uni (68 %) et aux Pays-Bas (77 %). Mais elle est supérieure à la proportion des logements sociaux dans le parc locatif allemand (11 %) et italien (26 %). Cette situation intermédiaire de la France se retrouve dans d’autres statistiques. Il y a ainsi 147 logements sociaux pour 1.000 Néerlandais, 71 pour 1.000 Français et 18 pour 1.000 Italiens. Le parc de logements rapporté au nombre d’habitants des pays respectifs s’avère relativement homogène : 513 logements pour 1.000 en France, 479 en Italie, 477 en Allemagne et 422 aux Pays-Bas [Parc des logements sociaux dans les 26 Etats membres de l’Union Européenne / HLM, parc privé, deux pistes pour que tous aient un toit – Gunilla Björner (note de l’Institut Montaigne de juin 2008)].

En France, près « d’une résidence principale sur cinq est ainsi un logement social. Un quart des logements locatifs sociaux sont situés en Île-de-France. Cependant, la demande ne cesse de croître, rendant impossible la satisfaction de tous les besoins. Quelques chiffres suffisent pour s’en convaincre. On compte actuellement plus de 1,3 million de demandeurs de logements sociaux.  » [SEPS infos rapides n°382 – juillet 2007 / L’état du mal-logement – rapport 2008, cité par Gunilla Björner] Le paradoxe n’est qu’apparent. En région Île-de-France, les prix du logement dépassent la moyenne nationale, et incitent les Franciliens à rechercher les HLM aux loyers avantageux. Une fois obtenu un logement dit social, ses occupants rechignent à l’abandonner. Cette vérité vaut pour l’ensemble de la France, en se renforçant dans la dernière décennie : le taux de rotation moyen s’établissait à 12,1 % en 1999, pour 9,6 % en 2006. C’est trois fois moins que dans le parc locatif privé. A Paris, cette année-là, peut-on encore parler de rotation, avec un taux de 5,4 % ? [Belkacem, Gilles et Trigano – Accès au logement social à Paris (APUR/juin 2007) cité par Gunilla Björner]

L’offre ne rencontrant pas la demande, des déséquilibres apparaissent assez logiquement. Les locataires s’accrochent à leur logement HLM, malgré d’éventuels changements dans leur situation personnelle, et l’évolution du nombre d’enfants à charge. Un tiers des logements sociaux n’ont pas une surface adaptée à l’effectif familial. Les organismes gestionnaires et les associations concernées se disputent sur les chiffres. D’après Gunilla Björner, entre 430.000 et 830.000 logements sont sous-dimensionnés. Elle livre un ordre de grandeur équivalent pour les logements sur-dimensionnés (entre 650.000 et 800.000 logements). Dans la première configuration, les jeunes parents obtiennent un logement social, puis ont des enfants. Dans la seconde, les enfants quittent le domicile familial pour poursuivre leurs études ou voler de leurs propres ailes. En fin de compte, « le nombre de logements sociaux libérés pouvant être proposés aux familles en attente diminue d’année en année. En 2006, 430 000 logements sociaux ont été libérés contre près de 500 000 en 1999. »

Les offices HLM ne fonctionnent cependant plus dans les années 2000 comme pendant les Trente Glorieuses. Il est dommage que la chercheuse de l’Institut Montaigne ne le rappelle pas. Il faudrait opposer les années constructives aux années gestionnaires. Jusque dans les années 1980 en effet, on construit des tours et des barres dans les agglomérations : parfois en plein centre-ville, plus souvent à proximité immédiate, comme ici au Grand Parc à Bordeaux. Pour de multiples raisons (voir Les nuits de Grigny), ces constructions ont mal vieilli. Des voix se sont élevées, de plus en plus nombreuses, pour critiquer une forme architecturale en même temps qu’un type d’urbanisme. On a alors rejeté en même temps les grands ensembles – tours et barres – et l’intervention autoritaire des pouvoirs publics, sans voir que rien ne les liait, si ce n’est l’époque. On a même confondu les adjectifs social et collectif. Sous le premier septennat de François Mitterrand, en tout cas, s’impose l’idée de réorienter l’action des organismes chargés du logement social : adieux grands ensembles ! Désormais, les offices HLM appuient la politique de réhabilitation, en gérant l’existant (Des b.o.f.s aux bobos). A l’issue de trois décennies de période gestionnaire, les inconvénients éclatent au grand jour. On peut les réunir en deux points. Le premier touche à l’hétérogénéité des bénéficiaires, le second à l’impact économique de la non-construction.

Primo. En attirant des locataires solvables pour équilibrer leurs comptes, les offices HLM ont pris le risque de dévoyer l’esprit même de leur mission originale, c’est-à-dire l’aide aux plus modestes. Les gouvernements de droite et de gauche portent directement la responsabilité de ce tournant comptable. Il n’est bien sûr pas bon en soi d’être déficitaire, mais l’étude de la répartition des ménages selon le niveau de vie et le secteur locatif suscite l’agacement. Il montre que des milliers de ménages aisés vivent dans des logements HLM. Les statistiques traitent des locataires, et non des propriétaires. Il n’empêche. Dans les 30 % de ménages les plus riches, entre deux (dixième décile) et quatre (huitième décile) sur dix occupent un logement social ! A l’inverse, parmi les 10 % de ménages les plus pauvres, seulement six sur dix bénéficient du même type de logement, quatre louant dans le secteur privé [Gunilla Björner]. Faut-il lâcher le mot privilégié ? Dans la région Île-de-France, la dimension politique de l’attribution des logements sociaux n’échappera à personne. De la même façon qu’une expulsion par la loi susciterait une levée de boucliers.

Secundo. Les offices HLM ont participé à la reconquête des parties centrales d’agglomération, en acquérant des immeubles entiers, restaurés, remis aux normes, puis loués sur le même principe que dans l’ensemble du parc. On discutera à l’infini du rapport entre un appartement HLM dans Paris intra muros et un appartement à La Courneuve. Qui postule et obtient l’un et l’autre ? Sont-ce les mêmes ? En attendant, sans renoncer tout à fait à de nouvelles constructions plus en périphérie des agglomérations, dans des collectifs mieux étudiés et moins écrasants, les offices HLM ont pesé sur le marché de l’immobilier. Tous réunis, ils ont accentué le mouvement de gentryfication (Ne pas confondre changer les hauts du lièvre et poser un lapin). Ils ont en outre participé à la hausse générale des prix. Entre 1996 et 2009, faut-il le rappeler, le prix moyen du mètre-carré en France est passé de 1.000 à 2.500 €. Je ne cherche pas ici à alourdir la responsabilité des organismes gestionnaires : corrélation n’est pas raison.

Je m’insurge en revanche contre un idée à la mode, selon laquelle la France manquerait de logements. Il n’y a pas meilleure offre en Europe (voir au-dessus) : plus d’un logement pour deux Français en moyenne ! Il est de fait que la vente massive de logements sociaux respecterait l’esprit d’une politique solidaire vis-à-vis des plus modestes. L’excès d’offre produirait une baisse des prix au mètre-carré. Celle-ci améliorerait le taux de rotation dans les logements HLM, pour peu que l’on mette fin aux abus des locataires aisés qui n’auraient de toutes façons plus l’excuse des prix élevés pour rester dans leurs logements. Mais je suis toutefois pessimiste. La Croix du 28 janvier 2009 se fait certes l’écho de la rumeur lancée par le secrétaire d’Etat au logement, Benoist Apparu. [L’idée d’accélérer la vente de logements HLM fait son chemin]. Ce dernier n’évoque toutefois que l’argent à retirer du déstockage de logements sociaux, sans allusion au niveau des prix...

Je lis plus de papiers sur les classes moyennes qui décrochent que sur la politique catastrophique du logement, ou sur la France des propriétaires. Si au moins cette partie de la population pouvait tranquillement se réjouir. Rien n’est moins sûr. Qui vend cher achète cher. De surcroît, à la faveur du gonflement de la bulle immobilière le rapport entre annuité de crédit habitat et revenu s’est nettement dégradé, de 25 % en 1999 à près de 35 % en 2008 [chiffres FNAIM - cité par la lettre Eco Immobilier de la BNP]. Le surendettement des ménages y trouve partiellement son origine (Pour rêver éveillé, pensez à la Fnaim]. Depuis quelques mois, une tendance inverse se dessine. Il faut dire haut et fort que le gonflement des patrimoines fonciers a correspondu à l’accentuation des problèmes des mal logés.

A la fin du Promeneur du Champ de Mars (incrustation) Michel Bouquet prononce gravement ces quelques phrases du président Mitterrand, l’homme de la rupture : « Le véritable ennemi, j’allais dire le seul (...), c’est le monopole ; terme extensif pour signifier toutes les puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes. (PS, congrès d’Epinay, 11juin 1971.) Je ressens avec tristesse la dégradation des moeurs publiques. Je le constate, je le déplore, j’en souffre. (...) Il y a prospérité et règne de l’argent, il y a un certain refus d’en partager les profits et cela est cause de dégradation morale. (Avril 1992.) » [Le Nouvel Observateur].

 


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