Le serpent de mer des parrainages pour la présidentielle

par Sylvain Rakotoarison
mardi 11 janvier 2022

« Pour être candidat, il faut d’abord réunir au moins 500 parrainages d’élus avant la fin de la période de réception. Ces 500 parrainages doivent provenir de 30 départements et collectivités d’outre-mer différents. Il n’est pas permis que plus de 10% des parrainages proviennent d’un même département. » (site Internet du Conseil Constitutionnel).

Le 7 janvier 2022, le candidat Éric Zemmour a fait état de ses difficultés à recueillir les fameuses 500 signatures d’élus pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle. Il a annoncé qu’il avait recueilli déjà autour de 330-340 promesses de signature, ce qui est loin du compte, d’autant plus qu’il y a parfois des promesses qui n’aboutissent pas à la signature et des signatures invalidées.

Ce sujet n’est pas nouveau et c’est même d’un perpétuel recommencement. C’est ce qu’on appelle un "marronnier" à saisir dans le calendrier électoral (tous les cinq ans). J’avais moi-même déjà évoqué ce sujet plusieurs fois et mon article du 7 mars 2007 fut même l’objet de ma première publication sur le site Agoravox.

À l’époque, c’était Jean-Marie Le Pen qui mettait en garde contre le risque de ne pas avoir ses signatures pour l’élection présidentielle de 2007, alors qu’il avait réuni 16,9% des suffrages exprimés en 2002. Mais la sauce ne prenait plus, il faisait le coup à chaque élection, on ne le croyait plus. Pour autant, on a pu observer à quel point, affaibli par l’âge, il a mené une campagne assez peu dynamique, ce qui a pu expliquer un résultat assez médiocre (10,4%).

On ne s’étonnera donc pas que cette fois-ci, Éric Zemmour reprenne ce marronnier, alors que Marine Le Pen, hilare, est assurée de ses signatures maintenant que le Rassemblement national est un parti bien installé, bien structuré et bien implanté avec de nombreux élus locaux. Certains disent que Jean-Luc Mélenchon peinerait aussi à collecter ses signatures, parce qu’il n’a plus l’appui du parti communiste français qui soutient son propre candidat, Fabien Roussel.

En fait de "parrainages", il s’agit plus rigoureusement de "présentations" dont les candidats ont besoin pour se présenter. À l’origine de la Cinquième République, le Président de la République était élu par un collège d’élus (suffrage universel indirect). Pour pouvoir se présenter, il lui fallait alors 50 présentations issues de ce collège. Quand l’élection présidentielle est passée au suffrage universel direct, en 1962, il fallait 100 présentations.

C’est parce qu’il y a eu un grand nombre de candidats en 1974, à l’occurrence douze, que le Président Valéry Giscard d’Estaing a souhaité rendre plus difficile l’acte de candidature en relevant le seuil à 500 présentations, par la loi organique n°76-528 du 18 juin 1976. C’est ce seuil qui est toujours en cours pour l’élection présidentielle de 2022.

Le collège est composé des maires de France, des élus nationaux (parlementaires nationaux et européens), des élus régionaux et départementaux (conseillers régionaux et départementaux), des représentants des Français de l’étranger, ainsi que des présidents de structures intercommunales ou encore de territoires particulier (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, etc.). En 2022, cela fait à peu près 44 000 personnes (47 413 mandats en 2012, certains cumulent encore plusieurs mandats mais beaucoup moins qu’en 2012).

La règle est néanmoins stricte puisqu’il faut que les signataires soient représentatifs du territoire national, qu’ils soient donc issus d’au moins 30 départements ou collectivités différentes, à la condition qu’on ne comptabilise pas plus de 50 signataires par départements ou collectivités (c’est-à-dire qu’on ne peut pas avoir seulement 1 signature dans 29 départements et 471 signatures dans le 30e département).

Le Président François Hollande a fait une autre modification par la loi organique n°2016-506 du 25 avril 2016 : les signataires doivent envoyer directement au Conseil Constitutionnel leur présentation (auparavant, c’était le candidat qui les recueillait et qui les déposait au Conseil Constitutionnel), si bien que le Conseil Constitutionnel publie un état dynamique de la situation réelle. En effet, deux fois par semaine, le site Internet du Conseil Constitutionnel publie les présentations (noms des signataires et bénéficiaires) qu’il a reçues depuis la dernière mise à jour.

Cette nouvelle façon de procéder empêche le candidat de "tricher" ou de faire un "coup politique" en se victimisant et en disant qu’il n’aurait pas ses signatures, ou le contraire pour se rendre important et passer dans les médias, car les électeurs connaissent comme lui sa situation exacte. En 2017, 14 296 élus ont signé la présentation de 61 personnes voulant être candidates, seules 11 d’entre elles ont été retenues dans les conditions requises (parmi ces 61 bénéficiaires, certains ne voulaient pas être candidats).

Auparavant, la liste des signataires était aussi publiée quelques jours avant le premier tour, mais si un candidat avait plus de 500 signataires, seuls 500 tirés au sort étaient indiqués au Journal officiel, ce qui n’est plus le cas depuis 2016.

La réforme de 1976 n’a pas empêché la multiplication des candidats : en 2002, seize candidats se bousculaient dans la compétition. Malgré la contrainte très forte, un candidat potentiel avec une équipe structurée, même s’il ne représente pas beaucoup de monde, peut être un candidat reconnu.

Jean-Marie Le Pen a été la première victime de ce système en 1981 : le système était nouveau et on ne pouvait plus prendre à la légère l’acte de candidature. Cela nécessite budget, moyens humains, etc. Sa non-candidature de 1981 avait-elle été "antidémocratique" ? Dans l’absolu, oui, puisqu’il représentait un courant d’opinion. Mais dans le concret, en 1974, il ne représentait que 0,7% des suffrages exprimés, très loin des 16,9% futurs de 2002.

D’autres personnalités politiques n’ont pas, ou n’auraient pas obtenu les 500 fameuses signatures, mais des personnalités isolées, même si elles étaient connues, pas soutenues par des organisations politiques. C’était aussi un moyen pour ces personnalités de s’exprimer pendant la précampagne sans avoir les inconvénients d’une réelle candidature, il suffisait de se victimiser ensuite en disant que le système les empêcher de se présenter.

Ainsi Charles Pasqua en 2002. J’ai du mal à croire que Charles Pasqua n’aurait pas été capable de réunir ses 500 signatures alors qu’il était le combinard en chef dès les années 1970, passé quatre ans au Ministère de l’Intérieur au contact direct avec les élus par les préfets. Dominique de Villepin aurait aussi postulé en 2012, mais là encore, il y a une véritable réflexion à avoir sur sa motivation. Plus sûrement, Corinne Lepage, déjà candidate en 2002, n’a pas pu réunir 500 signatures en 2012. On peut lui faire crédité de la motivation et de la sincérité. En 2017, ont été rejetées les candidatures de Rama Yade (353), d’Alexandre Jardin (165) et de Charlotte Marchandise (135). Il y a aussi des véritables abonnés au rejet, avec peu de signatures dans leur besace : Antoine Waechter (11), Nicolas Miguet (15), Pierre Larrouturou (33), etc.



Ce système n’a pourtant pas empêcher la candidature de personnalités représentant des organisations ultraminoritaires, c’est le cas des candidats de la LCR devenu NPA et de LO qui ont été présents dans quasiment tous les scrutins (Arlette Laguiller, Alain Krivine, Nathalie Arthaud, Olivier Besancenot, Philippe Poutou, etc.). Il est vrai que ces organisations rassemblent peu de monde mais très mobilisé et très efficace (il suffisait de coller des affiches la nuit pour savoir qu’un militant de LO repasserait nécessairement après soi pour que ce soit les affiches de LO qui fussent vues au petit matin, dans tous les grandes agglomérations, cela il y a une vingtaine d’années, je ne sais pas maintenant).

De même, Emmanuel Macron, inconnu avant 2014, avec un auto-parti créé en 2016, a pu non seulement recueillir assez de signatures (1 829) mais aussi assez de suffrages (près de 21 millions) pour être élu Président de la République. Dans la démarche, Éric Zemmour reprend la démarche d’Emmanuel Macron en 2016 : nouvel arrivant sur la scène politique, nouveau parti, avec l’aura personnel et son fond programmatique comme principaux atouts et une couverture médiatique inégalée.

Bien entendu, ce système de parrainages a plusieurs inconvénients. Par exemple, il permet aux candidats soutenus par des grands partis très structurés qui ont beaucoup d’élus locaux de faire des manœuvres politiciennes. Comme soutenir des petits candidats du camp opposé pour l’affaiblir. Ces petits candidats sont bien sûr, à l’origine, déjà motivées politiquement. C’était le cas (entre autres) de Michel Debré en 1981 et Bruno Mégret en 2002. Probablement que d’autres candidats ont été ainsi soutenus en 2002, année faste des candidatures.

Autre conséquence : à chaque veille présidentielle, les maires sont assaillis de représentants de candidats sollicitant leur parrainage, ce qui, pour de nombreux d’entre eux, est aussi lourd que du harcèlement publicitaire. Un maire qui en avait marre a même mis en vente sur Internet son parrainage en 2007, par pure provocation.

Mais un filtre me paraît nécessaire pour se présenter. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder quand il n’y a pas de filtre. Les élections européennes de 2019 étaient justement à l’échelon national et il y a eu trente-quatre listes ! Dont seulement six ont eu des sièges (plus de 5%), et treize qui ont dépassé 1%. On peut considérer que le filtrage des 500 signatures permet de se retrouver à treize candidats (plus de 1%) au lieu de se retrouver à trente-quatre. Déjà à treize, le débat démocratique est difficile, alors à trente-quatre…

Au-delà des motivations politiques qui, elles, toutes, sont respectables (y compris le parti animaliste qui a fait un score non négligeable aux dernières européennes, 2,2%), certaines candidatures peuvent avoir bien d’autres motivations : faire sa publicité personnelle, de la promotion commerciale, de la provocation artistique, de la retape de secte, etc. Aux élections régionales de mars 1992, grâce à une système de financement avantageux, plusieurs partis spontanément créés s’étaient présentés dans plusieurs régions, comme le "parti du ras-le-bol" ou le "parti de la loi naturelle".

Faut-il ne plus publier le nom des signataires de présentation des candidats ? Dans une époque de transparence où l’on publie désormais le patrimoine des élus (j’y reviendrai), c’est difficile de faire machine arrière vers plus d’opacité. Un élu qui présente n’est pas un élu qui soutient, il y a une grande différence. Cependant, certains évoquent une sorte de chantage que ferait peser un président de département ou de région sur un petit maire rural dont la commune bénéficierait, ou pas, des largesses territoriales. Il faut se rappeler que cette menace (signature ou non signature en échange de subvention) est clairement de la corruption (qui sera difficile à prouver certes), puisqu’un élu n’a jamais de mandat impératif et décide en toute conscience et responsabilité.

Dans les trois élections présidentielles précédentes, je posais surtout la question cruciale : pourquoi un maire (car c’est surtout des maires, les autres sont plus politisés et aguerris) aurait-il "honte" de présenter tel ou tel candidat ? C’est un candidat pour être élu Président de la République : s’il est si "honteux" pour un maire, peut-il être respectable pour la majorité des citoyens ?

Je prends un exemple. Admettons un candidat qui se présente au nom d’une association connue de personnes homosexuelles. Je ne précise pas plus les motivations éventuelles, mais il est probable qu’en cette qualité, aucune personne n’aurait été candidate dans les années 1960 ou 1970, l’homosexualité pouvant être considérée comme honteuse sinon illégale. Puis, l’homosexualité a été autorisée dans le droit, puis dans la société, au point qu’aujourd’hui, où de nombreuses fictions font intervenir des personnages homosexuels, il ne viendrait pas à l’esprit de refuser une candidature en qualité de représentant d’une telle association. Cette lente évolution vers la respectabilité peut évidemment se retrouver dans certaines idées. La "respectabilité" acquise par Marine Le Pen provient aussi de sa volonté personnelle d’éviter tous les dérapages dont était coutumier son père. Éric Zemmour, comme polémiste, a aussi eu des positions suffisamment provocatrices ou choquantes pour qu’il doive faire ce même travail de respectabilité tout autant que politique pour être crédible et avoir une chance d’être élu.

Au-delà du filtre de respectabilité/crédibilité, le système actuel propose un filtre d’organisation et de méthode, en bref, un filtre de faisabilité de la candidature : si on n’est pas capable de recueillir 500 signatures dans toute la France, à quoi bon se présenter et demander le suffrage des électeurs ? C’est aussi un peu l’intérêt du mariage : c’est un projet commun à deux, au même titre que les vacances, l’achat d’une maison, ou (le plus grand), la naissance d’un ou plusieurs enfants. Si le "management" de ce projet d’organisation d’un mariage se passe mal, faut-il aller plus loin dans le partenariat ? Des mariages avortent à ce moment crucial. Autant éviter les frais. Ce filtre-là aussi est important, car plus il y a de candidats, plus la démocratie est illisible, moins le débat public est facile.

Une fois dit cela, la nécessité du filtre, la question est donc : est-ce qu’il y a un moyen d’améliorer ce filtre voire d’en trouver un autre ?

En fait, il n’y a pas beaucoup d’autres solutions comme alternative. Elles sont toutes anciennes.

La première proposition est de remplacer ce système (ou le compléter, ce serait au choix) par le recueil de parrainages de simples citoyens. Il faut d’abord mettre un seuil : 150 000 ? 300 000, 500 000 ? Le seuil à fixer est important et il faut bien insister que ce seuil pourrait rendre ce système bien plus difficile que le système des maires : à la dernière élection présidentielle, cinq candidats sur onze ont recueilli moins de 500 000 voix, sans contraintes géographiques. Ce système de parrainages populaires pourrait donc être pire que l’existant s’il n’est pas proposé comme une possibilité complémentaire.

Un autre problème, pas insurmontable mais réel, c’est de vérifier et de valider chaque signature. Le Conseil Constitutionnel vérifie actuellement les signatures de présentation des élus (cela en fait plus de 14 000 !) avec près de 5% de prise de contact avec le signataire pour vérifier qu’il a bien signé. Avec des centaines de milliers de signataires par candidat, avec une dizaine ou une vingtaine de candidats, c’est quasiment impossible de vérifier la réalité de ces signatures et leur exclusivité, à moins de mettre des moyens considérables (c’est possible, c’est un budget) et aussi d’avoir du temps (c’est plus délicat).

Deux autres pistes, elles aussi anciennes, peuvent cependant nourrir la réflexion. Le Comité Balladur nommé par le Président Nicolas Sarkozy pour préparer la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a remis son rapport le 29 octobre 2007 dans lequel il évoque ce sujet : il propose d’élargir le collège des élus susceptibles de présenter un candidat à la manière du collège des grands électeurs pour l’élection des sénateurs, c’est-à-dire en y incluant des délégués des communes selon leur population, ce qui pourrait faire entre 100 000 et 200 000 signataires possibles, au lieu de 44 000.

La seconde piste, elle aussi ancienne, me paraît assez simple et exposée par Jean-Luc Mélenchon le 9 janvier 2022 sur LCI : il suffirait, là aussi, d’élargir le collège à tous les élus, y compris tous les conseillers municipaux. Les zones rurales seraient alors surreprésentées, mais ce n’est pas important puisqu’il ne s’agit pas d’élire et seulement de permette à un candidat de se présenter. Il faudrait alors peut-être relever le seuil de signatures, car il y a plus de 512 000 conseillers municipaux (512 266 au 1er juillet 2020).

Dans tous les cas, l’expérience depuis vingt ans montre que le sujet n’échauffe les esprits qu’avant une campagne présidentielle. Après l’élection présidentielle, plus personne n’en parle, pas l’élu, mais non plus les malheureux candidats, malheureux soit parce qu’ils n’ont pas été élus, soit parce qu’il n’ont même pas réussi à remplir les conditions pour être candidats. Cela signifie finalement que toutes les velléités de réforme étaient principalement des postures assez hypocrites de victimisation et que le système, globalement, tient ses promesses. Et je ne doute pas que ce soit encore le cas pour cette élection présidentielle de 2022.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le serpent de mer des parrainages pour la présidentielle.
En 2012, faut-il réformer le système de parrainages pour l’élection présidentielle ?
Onze candidats à l’élection présidentielle française du 23 avril 2017.
Liste des parrainages des candidats à l’élection présidentielle au 18 mars 2017.
Dix candidats à l’élection présidentielle française du 22 avril 2012.
Sarkozy parrainera-t-il Le Pen ?
Faut-il supprimer l’élection présidentielle ?
Supprimer les professions de foi ?
Petits candidats et grands candidats.
Bercy : les grands argentiers de France.
Quai d'Orsay.
Évaluation des ministres : Rendre des comptes aux citoyens, est-ce un mal ?
L’abstention, c’est grave, docteur ?
Le vote par anticipation.
Le vote proportionnel.
Le vote obligatoire.
Le vote électronique.
Réforme territoriale.
La réforme des scrutins locaux du 17 avril 2013.
Mathématiques militantes.
L’ambition en politique.
Vive la Cinquième République !


 


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