Le temps des juges

par Henry Moreigne
lundi 25 mars 2013

Dans la même semaine, un ancien Président de la république, un ministre et une députée ont entamé un périple incertain avec la justice. Chacun à leur façon, Nicolas Sarkozy, Jérôme Cahuzac et Sylvie Andrieux témoignent qu’argent et démocratie ne font pas bon ménage. Le risque de perte de confiance des citoyens dans les élites est réel. On peut se draper dans l’indignation, considérer qu’il s’agit d’un épiphénomène et accuser les commentateurs de populisme. Ou au contraire, regarder les problèmes en face et pousser pour la mise en place des mécanismes de contrôle et de transparence.

La république exemplaire est devenue une tarte à la crème. Nicolas Sarkozy l’avait promis, François Hollande aussi. Elle reste, faute de volonté et de courage, au rang des promesses non tenues.

Pourtant, ne rien faire sinon se contenter de gérer le calendrier judiciaire, serait l’une des pires réponses au raidissement de l’opinion tel que l’incarne Jean-Luc Mélenchon. La radicalisation du Front de Gauche ne relève pas d’une simple stratégie politique mais bien du reflet d’une société gagnée par l’exaspération. Exaspération devant l'incapacité politique à répondre à l’enfoncement du pays dans la crise. Exaspération devant l’impunité et la bulle dans laquelle vivent les élites.

Voir aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon se muer en Robespierre et réclamer des têtes dans des réquisitoires ad hominem est délétère. Mais là encore, il ne s’agit pas d’une simple sortie de route mais d’une vague de fond qui monte et à laquelle le tribun du PG donne un visage.

Jusqu’à présent, le sentiment de défiance à l’égard des responsables nationaux avait été atténué par une confiance maintenue dans les élus locaux. L’affaire Andrieux atteste que de ce côté-là aussi, il y a le feu.

La députée et ancienne vice-présidente socialiste du conseil régional PACA, est accusée d’avoir détourné plus de 700 000 euros de subventions publiques. Tout porte à croire qu’il ne s’agit que de la partie émergée de pratiques illicites dans certaines collectivités. Comme le rappelle François Bonnet sur Mediapart, « la décentralisation est devenue en l’absence de contrôles et de contre-pouvoirs une arme de corruption massive ».

Dans son discours aux États Généraux de la démocratie qui se sont tenus à la Sorbonne fin 2012, François Hollande avait à propos de l’Acte III de la décentralisation indiqué qu’il fallait corriger les dérives pour rétablir la confiance entre élus et citoyens. Hélas, le Chef de l’Etat nous a habitués, à l’image du fameux discours du Bourget, au grand écart entre le discours et les actes. Rien aujourd’hui, dans le projet de loi ne va dans le sens d’un assainissement du fonctionnement des collectivités. Petite lâcheté politique pour ne pas se mettre à dos les amis, mais grande erreur démocratique au moment où le populisme gagne en Europe.

Le choix partagé par une majorité de la classe politique de casser le thermomètre est suicidaire. Nicolas Sarkozy a sous son mandat patiemment mais constamment joué l’affaiblissement ou la suppression des instances et institutions de contrôle. Le démantèlement des pôles financiers et la réduction de voilure des Chambres régionales des comptes n’en sont que deux exemples. L’erreur de la gauche serait de ne pas corriger ce mouvement de balancier. La réponse à la montée du populisme est dans plus de transparence et plus d’éthique.

Les propos d’Eva Joly dans les colonnes de Libération sont limpides : « La bombe à fragmentation du “Tous pourris” est dégoupillée. L’arrivée de la gauche au pouvoir n’aura pas permis de réduire la distance entre le peuple et ses représentants. La crise démocratique s’accentue ».

L’ancienne juge nous met en garde sur la tentation de mettre la poussière sous le tapis : « si l’exigence de vérité quitte notre horizon, c’est le pacte républicain qui s’en trouvera mortellement blessé » écrit-elle. En experte des mécanismes de corruption Eva Joly invite à soigner le mal à la racine, en s’attaquant à la finance, au pouvoir de l’argent. Or, la loi portée par Pierre Moscovici dans la séparation des banques est dénoncée par tous les observateurs avertis, notamment le mouvement citoyen Roosevelt 2012, comme volontairement indigente. Un ersatz de loi révélateur des pressions du lobby bancaire au sommet de l’État qui constitue un bien mauvais signal à un bien mauvais moment.

Après avoir été un adversaire résolu la présidence Sarkozy, François Bayrou avait conditionné en 2012 son soutien à François Hollande à un changement de pratiques et à un engagement en termes d’exemplarité. Le candidat Hollande s’était engagé, dans une lettre, qu'il ferait « voter une grande loi de moralisation de la vie publique par le Parlement ». C’est au pied du mur qu’on juge le maçon dit le proverbe. A suivre donc.

 

Crédit photo : © Matthieu Riegler, CC-BY


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