Le thème de la présidentielle
par Vive la République
jeudi 30 novembre 2006
Beaucoup s’interrogent sur ce que sera la « querelle » de l’élection à venir. Après la « fracture sociale » en 1995 et « l’insécurité » en 2002, quel thème s’imposera dans le débat ?
Cette question est très
délicate et conditionne beaucoup de choses : elle peut détourner la
campagne des vrais enjeux comme elle peut être une chance inédite de
moderniser notre pays. Je me suis, sur ce sujet, forgé une opinion
profonde : la question de la protection des démocraties occidentales
(et en particulier de la France) dans la mondialisation est désormais au
centre du débat politique. Pour reprendre la typologie proposée plus
haut, je pense qu’il s’agit là d’une bonne question, à laquelle peuvent
être apportées des réponses très diverses, dont certaines sont très
mauvaises.
C’est finalement la question de la nation
qui est posée : est-elle destinée à disparaître dans la mondialisation
? Quelle est sa fonction sociale ? L’heure est-elle venue de passer au
post-nationalisme ? Je pense que la nation est une étrangeté
puisqu’elle s’oppose au moteur de l’histoire : la liberté individuelle.
Elle prétend mettre du lien social entre des "classes" qui n’ont pas de
réels intérêts communs et, en tant que république, elle fait passer
l’égalité au premier plan en pratiquant une action redistributive. Elle
est le cadre de la politique qui, par définition, s’oppose au projet
individualiste.
Aujourd’hui, la modernité, c’est le post-nationalisme, on se veut "citoyen du monde", rebuté par les crimes commis au nom des nations, on s’en éloigne comme on s’est éloigné des religions, pour les mêmes raisons. Mais on s’en éloigne surtout parce qu’on croit qu’on a intérêt à agir de la sorte : ce sont les individus qui s’estiment assez forts pour affronter la mondialisation, qui ne supportent plus ce carcan, ce sont certaines "élites" qui cherchent avant tout à sauver leur peau et à se valoriser au maximum dans un monde plein d’opportunités, et qui ne se sentent plus liées par un destin commun avec les autres couches sociales.
Ainsi, dire que la France gagne globalement dans la mondialisation (de même que les autres pays) et que tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes est un discours (faussement) naïf, dans la mesure où il y a des perdants objectifs dans la mondialisation. Le discours de certains économistes est de dire qu’il ne s’agit là qu’un problème de redistribution des richesses, l’important étant d’être gagnant globalement. Sauf que cette redistribution est devenue difficile, voire impossible : les Etats rencontrent des problèmes de financement de la protection sociale considérables, ils sont soumis au chantage des "gagnants de la mondialisation" et des entreprises qui peuvent partir à tout moment si la fiscalité leur est trop défavorable. Les pays européens en sont donc réduits à s’aligner sur le taux d’impôt sur les sociétés le plus bas pour ne pas voir fuir les sièges sociaux.
Ce qui fait problème, ce sont les asymétries phénoménales qui existent entre les différents acteurs de la mondialisation, les salariés français sont mis en concurrence avec des salariés des pays émergents (notamment la Chine) qui ont des salaires très bas et pas de protection sociale, les entreprises françaises sont mises en concurrence avec des entreprises d’Europe de l’Est qui ne payent aucun impôt sur les sociétés. Dès lors la question de la protection de la France (et plus largement de l’Europe) dans la mondialisation doit être posée. On ne doit cependant pas y répondre en termes simplistes : le repli protectionniste serait une catastrophe pour notre économie, puisqu’un salarié sur quatre travaille pour l’exportation. La France est un excellent exportateur de services, de produits agricoles et, dans une moindre mesure, de produits industriels.
Comment, alors, mettre en place ce que le Premier ministre appelle "le patriotisme économique européen", quelle voie peut-on trouver entre le repli protectionniste et l’ouverture totale des marchés sans réglementation ? Nicolas Sarkozy propose de remettre la préférence communautaire au goût du jour, les démocrates américains ont axé une partie de leur campagne sur une modération du libre-échange pour protéger leur industrie, des économistes de renom, comme Patrick Artus, s’interrogent sur les moyens de limiter les OPA hostiles sur des groupes européens venues d’entreprises issues des pays émergents. Le débat est donc ouvert, et je prédis qu’il sera au coeur de la future campagne.