Le vote, les embouteillages et le Traité de Lisbonne

par Le péripate
lundi 11 février 2008

Vous avez tous entendu dire à propos d’une élection « les Français ont voté pour le pouvoir d’achat » ou « le non était un non à Chirac ». Ce genre d’arguments est particulièrement utilisé à propos du Traité de Lisbonne, le défunt TCE ressuscité. Je vais essayer de démontrer que cet argument n’est pas recevable et qu’à travers une élection les Français ne disent... rien.

Tarde, Bruno Latour, Raymond Boudon, Bolstanski et quelques autres sociologues ont fort bien montré que la vision de Durkheim d’une société qui existerait en soi est une fiction. Que la société est un phénomène émergent à la suite de transactions au sein d’un réseau qui lui-même n’existe que pour autant qu’existent des véhicules qui l’actualisent.

Ainsi, le résultat d’une élection (le véhicule) est l’assemblage de quelques millions de micro-décisions, d’arbitrages individuels sur des préférences personnelles qui donnent un agrégat macro-sociologique, un comportement collectif. Ce résultat n’a aucune raison d’être cohérent avec les désirs des acteurs, c’est parfois même tout le contraire dans un embouteillage où les désirs agrégés de chacun aboutissent à un blocage généralisé.

Le vote n’est pas très différent. Rien ne permet de dire que le résultat reflète les préférences de chacun des électeurs. La démonstration en a été apportée par une étude en situation réelle d’élection où l’on a demandé aux électeurs de noter par ordre de préférence chaque candidat. Les préférences politiques ainsi exprimées ont été différentes du vote (Bayrou aurait été élu !). Je ne dis pas que ce système soit supérieur, il démontre juste la non-cohérence des votes et des préférences.

On ne peut donc conclure d’un résultat macro le sens des comportements micros. Il y a eu 53 % des votes exprimés pour Nicolas Sarkozy et on ne peut rien en dire de plus. Pourtant nombreux sont ceux qui ne se gênent pas pour dire que les Français ont ainsi validé le Traité de Lisbonne.

L’électeur est rationnel. Dans chaque candidat et son programme, l’électeur a des préférences, des rejets. Pourtant, il en choisit un et c’est rationnel. Mais dire que les Français ont voulu ceci ou cela, c’est manipuler la réalité.

Dans le champ politique après une élection, se joue donc un combat pour donner un sens à la réalité du vote, pour construire la réalité, pour faire exister des groupes à partir d’agrégats disparates sans intentionnalité. L’intention attribuée à un groupe est une construction artificielle, fragile et n’attends généralement pas le résultat d’une autre élection pour voler en éclat, par exemple à l’occasion d’une réforme impopulaire, comme le Traité de Lisbonne. Dans ces occasions, des intellectuels se mobilisent pour tenter de retrouver les profits en termes de pouvoir que procure le prestige du vote. Et ceci, pour éviter le coût d’un débat qui devrait normalement avoir lieu.

En votant pour un des trois candidats en position éligible, les Français ne se sont tout simplement pas prononcés sur le Traité de Lisbonne. Et faire de la politique, c’est discuter de ce choix.


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