Légalisation du Cannabis : entre bataille électorale et santé publique
par Willy Gardett
lundi 12 octobre 2009
Daniel Vaillant, Maire PS du 18ème arrdt de Paris, a fait preuve d’un certain courage politique en se proclamant favorable à une légalisation du Cannabis en France. Cette révélation au cours d’une interview dans le Parisien relance le débat, alors que la Ministre de la Santé Roselyne Bachelot vient de mettre en place une énième campagne de sensibilisation aux dangers de la drogue. Sans distinguer les drogues douces des drogues dures. Dans le même temps, les USA, guidés par le nouveau prix Nobel de la paix, avancent petit à petit sur le chemin de la légalisation.
A coeur Vaillant, rien d’impossible !
« Dans le vaste problème que pose la drogue, il y a la question du cannabis. Ce produit est interdit, et pourtant sa consommation explose. » Traduction des propos de l’ancien Ministre de l’intérieur de Lionel Jospin : la pénalisation ne freine pas la consommation. Bien au contraire. Pour preuve ces deux cartes qui montrent la corrélation positive entre interdiction pure et simple du cannabis (carte de gauche) et la hausse de la consommation (carte de droite). Ainsi, la France est le pays où la répression est une des plus fortes d’Europe, tout comme la consommation de ce produit dans sa population.
« Ne faudrait-il pas prendre le pari de légaliser la consommation personnelle de cannabis à travers un contrôle de la production et de l’importation, comme c’est le cas avec l’alcool ? » Belle leçon de bon sens de la part de Daniel Vaillant, qui enfonce le clou, soutenu dans la foulée par les Verts et une partie du PS. Najat Belkacem, la socialiste responsable des questions de société, est la voix de ce soutien : « La tolérance zéro pour le cannabis est une façon bien pratique de se décharger de ses responsabilités sur le reste ».
L’UMP ne l’entend pas de cette oreille, et réagit par la médiation d’Eric Ciotti, secrétaire national à la sécurité de l’UMP, pour qui l’usage des drogues « dites douces » conduirait « inexorablement » aux drogues dures du type cocaïne ou ecstasy. « Inexorablement », c’est-à-dire fatalement, sans autre issue possible. Une révélation incroyable : si 30 % des français ont déjà fumé du cannabis, ils sont donc 30 % à avoir pris de la coke et des ecstas. A moins que l’UMP ne maîtrise pas son sujet...
De quelle drogue parle-t-on ?
« Est-ce que le cannabis est dangereux ? Oui. Est-ce ça touche la santé ? Bien sûr. mais ce n’est pas comparable à d’autres drogues dures, comme le crack. » Daniel Vaillant enfile les perles, mais, comme dit l’autre, ça va mieux en le disant. Le tableau ci-dessous (cliquez dessus pour l’agrandir) expose les facteurs de dangerosité des drogues, incluant le tabac et l’alcool. Verdict : le cannabis est la moins dangereuse, contrairement à ses consoeurs légales, tabac et alcool, qui tiennent le haut du classement, juste en dessous de l’héroïne.
Au fait, c’est quoi une drogue ? « Une drogue est un composé chimique, biochimique ou naturel, capable d’altérer une ou plusieurs activités neuronales et/ou de perturber les communications neuronales. » Comme par exemple les analgésiques, de l’aspirine à la morphine, ou les antidépresseurs, dont les Français sont parmi les plus grands consommateurs. Et le cannabis peut lui aussi être utilisé comme médicament. La liste des pathologies sur lesquelles il est efficace est d’ailleurs assez longue. Dans le désordre : Asthme, anorexie, glaucome, épilepsie, nausées et vomissement. Ce qui explique qu’il soit souvent utilisé par les malades du Sida ou de cancers, pour supporter les effets de la trithérapie ou des chimios. Il pourrait même être utilisé dans les cas de dépendance et d’état de manque, par exemple pour les héroïnomanes ou les alcooliques désireux de raccrocher.
L’exemple américain
L’opinion publique est aujourd’hui opposée à une légalisation du cannabis. Pourtant, de plus en plus de pays repensent leur législation en la matière, notamment les USA, qui poursuivent leur logique de légalisation indirecte, en prescrivant ce produit sur ordonnance dans plus de treize Etats, dont la Californie. Production et vente libre pourraient même rapporter plus d’un milliard de Dollars d’impôt à Schwarzzi, qui s’est dit prêt à un débat sur le sujet. Le Courrier International consacre d’ailleurs sa Une à cette question de la quasi légalisation du produit outre-Atlantique. Une couverture qui n’aura sans doute pas échappée à Daniel Vaillant, dont le courage se sera gonflé d’un « presque » allié tout juste nobelisé...
Car le cannabis est aussi une histoire de gros sous : la répression à la française coûte chère au contribuable, comme le prouve cet amusant « Compteur de la prohibition », mis en ligne sur le site Rue 89, et qui affiche, seconde après seconde, le montant du budget nécessaire à une répression inefficace, le nombre d’usagers arrêtés, 12 fois supérieur à celui des revendeurs, le nombre de condamnations ainsi que le poids en gramme de cannabis saisi.
Une légalisation électoralement incorrecte, mais jusqu’à quand ?
Aujourd’hui impopulaire, la légalisation du cannabis pourrait devenir, si ce n’est en 2012, du moins en 2017, un enjeu électoral très fort. La droite, qui se revendique du libéralisme économique, aurait dû prendre cette mesure pragmatique depuis bien longtemps. Mais la pression populaire l’en aura dissuadée. Pourtant, le courage en politique est souvent récompensé. Pour preuve la victoire de Mitterrand en 1981, alors qu’il portait une réforme bien plus essentielle et pourtant tout aussi impopulaire : l’abolition de la peine de mort. Mais qui pourrait porter, dans le camp socialiste, une telle réforme ? Certainement pas Ségolène Royal, bien trop conservatrice. Peut-être un Delanoé, ami proche de Vaillant. Sa récente confession suivant laquelle il ne serait pas « en situation d’être candidat » servant de brouille piste...
La pénalisation du cannabis à l’échelle mondiale fut la conséquence, en 1961, des retombées du Marihuana Tax Act de 1937, loi américaine qui instaura la taxation de tous les acteurs de la filière Chanvre. Gageons que les nouvelles dispositions du gouvernement Obama auront l’effet inverse sur l’acceptation mondiale du produit, et accéléreront son contrôle par la légalisation.