Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 14 juin 2024

« Il est grand temps que ceux qui se revendiquent du camp de la raison comprennent que le temps leur est compté. S'ils ne sont pas capables de s'unir face à des extrêmes qui nagent comme des poissons dans l'eau des réseaux antisociaux, des fake news et de l'injure, il ne faudra pas qu'ils se plaignent d'une défaite qu'ils n'auront su empêcher. Il est temps que les raisonnables se rassemblent, qu'ils construisent une majorité ou des alliances, seule façon de gouverner la France avec succès. » (Claude Malhuret, le 31 janvier 2024 au Sénat).

Comme c'est triste d'avoir toujours raison trop tôt. Par exemple, le sénateur Claude Malhuret, médecin bien connu et ancien ministre, qui évoquait le risque des extrêmes dès le 31 janvier 2024 et la nécessité d'unir les forces de la raison. Il poursuivait : « Ce souhait [de l'union des forces de la raison] sera peut-être considéré aujourd'hui avec indifférence ou ironie. Dans quelques mois, lorsque s'affichera le résultat des élections européennes, ceux qui, dans la majorité comme dans les oppositions républicaines, se complaisent dans des querelles de cour d'école, comprendront, je l'espère, que le temps des anathèmes est terminé. Le général Mac Arthur disait que les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard. Réfléchissons à cette phrase tant qu'il est encore temps. ».

Faire un état des lieux de la classe politique au lendemain de la dissolution relève de la mission impossible car c'est un monde mouvant à la vitesse de la lumière. J'ai évoqué le petit monde de LR, parti qui a eu son heure de gloire, voire ses décennies de gloire et qui n'est plus qu'un groupuscule archaïque et arriviste doté d'un encore impressionnant réservoir d'élus locaux disponibles et dévoués.

Comme je l'avais indiqué, personne ne pourra reprocher au Président Emmanuel Macron de nous faire retourner aux urnes, puisque finalement, c'est ce qu'il y a de plus démocratique. Mais tous les partis politiques, y compris le RN qui n'est pas si préparé qu'il veut bien le marteler, auraient bien voulu avoir un peu plus de temps.

Maître des horloges, le chef de l'État le reste pour quelques semaines encore. Il a usé de son unique cartouche. Car on ne peut dissoudre qu'une fois par an. Il a déclaré le 11 juin 2024 dans "Le Figaro Magazine" qu'il ne démissionnerait pas « quel que soit le résultat » des élections législatives qu'il a provoquées. Sur cette pratique présidentielle, on a déjà le précédent de Jacques Chirac en 1997 qui avait inventé le septennat de deux ans. À son tour, Emmanuel Macron pourrait inventer le quinquennat de deux ans.

Néanmoins, rien n'est sous contrôle. La bourse s'affole. Ce jeudi 13 juin 2024, le CAC40 a subi la plus grande baisse de l'année 2024. L'incertitude tout autant que l'instabilité politique inquiètent les milieux économiques et la laborieuse reprise du secteur immobilier risque d'en faire les frais.

J'ai déjà évoqué la situation impossible de LR avec l'exclusion mercredi du député de Nice Éric Ciotti de son propre parti qu'il préside. Situation inextricable car les adhérents LR sont en gros 50% d'accord avec Éric Ciotti et les 50% autres considèrent qu'il a trahi leur parti. Dans sa conférence de presse (très peu suivie) du mercredi 12 juin 2024, Emmanuel Macron a ainsi expliqué que la dissolution permettrait la clarification en observant que les masques tombaient. Dos au mur, tous le candidats devront donc évidemment s'expliquer sur leur sens de l'intérêt général et avec qui ils compteraient gouverner le cas échéant. D'une très mauvaise performance en communication politique, ce qui est étonnant de sa part, Éric Ciotti a publié une vidéo de lui en train d'entrer dans son bureau, seul, avant de s'y installer, s'y asseoir, avec pour titre (stupide) : "La France au travail". Ce qu'il ressort de cette vidéo, c'est son isolement, sa solitude, alors que sans doute voulait-il souligner qu'il était encore bien le président de LR. Du reste, il s'est définitivement déconsidéré en déjeunant avec Marine Le Pen et Jordan Bardella ce jeudi 13 juin 2024.

Le même jour que l'exclusion d'Éric Ciotti, Marion Maréchal, Guillaume Peltier, Nicolas Bay et Laurence Trochu, tous les quatre élus députés européens, ont été exclus de Reconquête, le parti d'Éric Zemmour, qui ne garde comme élue européenne que Sarah Knafo, la compagne du chef (qui, jeudi, a appelé le répondeur de Jordan Bardella en direct chez Cyril Hanouna pour lui dire : « Jordan, on se connaît depuis qu'on a 17 ans ! »). La raison officielle de leur exclusion est vague, mais pour comprendre l'essentiel, c'est que les brebis égarées (Marion Maréchal, Nicolas Bay, également Guillaume Peltier) sont revenues au bercail (parfois familial). Ces exclusions ne servent pourtant pas les intérêts d'Éric Zemmour qui s'isole ainsi encore plus du monde politique, mais réjouissent les dirigeants du RN qui n'ont même pas à conclure un accord, ils n'ont qu'à débaucher les cadres zemmouriens. Du reste, la mésentente entre Marion Maréchal et Éric Zemmour n'était pas nouvelle et remplissait les chroniques pendant la campagne des européennes.


Les rares responsables RN qui s'expriment dans les médias laissent entendre, de façon très arrogante et peu respectueuse des électeurs, que leur victoire aux législatives est acquise et qu'il s'agit surtout de préparer leur gouvernement. Certains évoquent déjà la privatisation de l'audiovisuel public (qui ne trouvera pas repreneur !) comme si c'était le sujet essentiel (pour CNews, oui !). Quant à la retraite à 60 ans, Jordan Bardella a déjà botté en touche en disant qu'il y avait plus urgent, la sécurité et l'immigration ! La mélonisation de Jordan Bardella est en cours !

Dans la majorité, l'effet douche froide s'est éclipsé au profit de l'esprit de combativité. L'ancien Premier Ministre Édouard Philippe qui, visiblement, a été très surpris de cette dissolution, ne veut plus réfléchir et part au combat pour que la majorité gagne les élections malgré les récents sondages. Il a d'ailleurs conseillé au Président de la République de laisser la majorité faire campagne sans interférer même si, pour Emmanuel Macron, l'idée était d'en faire une présidentielle bis.

Aussi surpris que son prédécesseur à Matignon, Gabriel Attal est resté silencieux pendant deux jours avant de s'exprimer dans le journal de 20 heures du 11 juin 2024 sur TF1 et d'annoncer qu'il mènerait la campagne de la majorité présidentielle. Le 13 juin 2024, il était déjà sur le terrain, à Boulogne-sur-mer et a fait remarquer que la majorité sortante allait au devant des gens, du peuple, pendant que les autres partis s'enferraient dans des conciliabules pour négocier leurs bouts de gras avec les investitures. Quant à François Bayrou, il a annoncé qu'il ferait campagne tous les jours jusqu'aux élections. De tous les barons de la Macronie, François Bayrou semble être l'un des rares à avoir encourager le Président de la République à dissoudre. Souhaiterait-il devenir le Premier Ministre de la concorde d'une espèce de gouvernement d'unité nationale ?

Venons-en à la gauche. Il n'a pas fallu quarante-huit heures pour que les partis de la Nupes, un peu plus d'ailleurs, lire plus loin, se soient mis d'accord pour des candidatures uniques (au grand dam de Raphaël Glucksmann qui a été jeté à la poubelle par le PS). Avec un nom lâché le 10 juin 2024, tout un programme : Front populaire ! Comme c'est débile (il n'y a pas d'autre adjectif) de reprendre une vieillerie historique qui nous a plombés au début de la guerre. Le marketing est à revoir. Et pourquoi pas demander à LR de se transformer en RPF, tant qu'on y est ? Et le tout pour appliquer le programme du CNR, puisqu'on en parle parfois ? (Ah oui, Charles Pasqua l'a déjà fait en 1999 !).

Comme la majorité avait martelé pendant la campagne des européennes, voter PS était voter pour Jean-Luc Mélenchon, et c'est confirmé puisqu'il a déjà fait acte de candidature pour Matignon (une nouvelle fois), sans que cela n'émeuve Olivier Faure, le premier secrétaire du PS. François Ruffin aussi a fait acte de candidature à Matignon, comme Jordan Bardella auparavant. Et puis les candidatures à Matignon s'est multipliée : Laurent Berger, Fabien Roussel, Valérie Rabault, Carole Delga, Clémentine Autain, etc. Sans respect pour les électeurs qui n'ont pas encore exprimé leur vote. Mais ces opposants n'ont donc décidément rien compris à l'esprit des institutions gaulliennes ? On ne fait jamais acte de candidature à Matignon : d'abord, il faut gagner les élections législatives, ensuite, laisser au Président de la République le soin de nommer le Premier Ministre qui est une prérogative exclusivement présidentielle (l'Assemblée Nationale peut juste rejeter ce choix par le vote d'une motion de censure). Au moins, il n'y aura pas de risque de grève des Premiers Ministres, comme ce fut le cas en juin 1924 !

Toutes les déclarations de différenciation au sein de la Nupes pendant la campagne des européennes étaient donc de l'hypocrisie pure pour gagner des voix. France insoumise, le parti qui considère que la Hamas est un parti de résistance palestinienne, reste toujours leader de cette nouvelle alliance alors que ce parti représente bien moins d'électeurs que le PS. Et la répartition des investitures le 13 juin 2024 montre effectivement que FI se garde la part du lion avec 229 candidats FI contre 175 candidats PS. Et dans cette alliance de bric et de broc, il y a même le NPA ouvertement antisioniste. Il est clair que voter pour cette gauche-là, c'est voter pour le pire de l'extrémisme de gauche. Il faudra assumer au moment de compter les voix. Veulent-ils un gouvernement avec Olivier Besancenot et Philippe Poutou, dirigé par Jean-Luc Mélenchon ?

À l'évidence, Olivier Faure, qui était pourtant en situation de force avec le bon score de la liste de Raphaël Glucksmann, a, comme en mai 2022, vendu le PS (et son âme) à FI pour un plat de lentilles (pas fraîches). Il est désormais l'alter ego de l'autre ancien grand parti gouvernemental, LR, puisque, de son côté, Éric Ciotti a vendu LR au RN pour un plat de lentilles (pas fraîches non plus). Même Raphaël Glucksmann et Anne Hidalgo ont mangé leur chapeau alors qu'ils refusaient le principe d'une telle alliance que j'appellerais désormais NFP pour nouveau front populaire (Léon Blum doit se retourner dans sa tombe, à Jouy-en-Josas !).

Quant aux gauchistes qui manifestent tous les soirs depuis le 9 juin 2024 contre la possible arrivée au pouvoir du RN, avec leur violence, ils ne comprennent décidément pas que, à moins qu'au fond d'eux-mêmes, ce soit en fait ce qu'ils désirent le plus, ils font le jeu du RN et encouragent les électeurs à voter pour ce parti, face à tant de désordres et de troubles à l'ordre public, sans compter les drapeaux français qu'on fait brûler.

La situation est grave et aujourd'hui, on veut nous imposer l'unique choix entre le RN ou Mélenchon. Forces de la raison, réveillez-vous !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 juin 2024)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
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Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

 

 


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