Les ambitions du FN : une chance pour le centre ?
par scripta manent
jeudi 14 juin 2012
Le principal résultat de la tentative de hold-up du FN sur la droite française pourrait bien être la résurgence d’un courant politique centriste et ouvertement pro-européen en France. Merci qui ?
Les scores réalisés par le FN lors de l’élection présidentielle et du premier tour des élections législatives 2012 ont été présentés comme annonciateurs d’une nouvelle dimension de ce courant sur la scène politique française.
Voyons tout d’abord les données chiffrées.
Créé en 1972, le Front national a fait une première percée électorale en 1984, avec près de 11 % des suffrages aux élections européennes. Il se maintiendra ensuite entre 9 et 15 % aux élections législatives, européennes et présidentielles, avant de culminer, avec le renfort du MNR, à 19,2 % au premier tour de la présidentielle de 2002 (16,9 % pour Jean-Marie Le Pen et 2,3 % pour Bruno Mégret ; Jean Marie Le Pen recueillera 17,8 % des suffrages au second tour).
C’est ensuite le reflux avec 9,8 % aux européennes de 2004, 10,5 % à la présidentielle de 2007, 5 % aux législatives de la même année et 6,3 % aux européennes de 2009.
Les 17,9 % au premier tour de l’élection présidentielle 2012 traduisent donc un incontestable sursaut, mais Jean-Marie Le Pen avait déjà atteint ce niveau 10 ans auparavant. En dépit des efforts de sa fille, depuis plusieurs années, pour attirer le chaland en ravalant la façade du parti dont elle a hérité, son score est même en retrait de 1,3 % par rapport à celui de l’ensemble FN+MNR en 2002.
Quant aux 13,6 % des suffrages exprimés au premier tour des législatives 2012, ils représentent, compte tenu du faible taux de participation (57,3 %), 7,8 % du corps électoral français. Ce point est plus particulièrement à prendre en considération car le FN bénéficie d’une bonne assiduité électorale de ses partisans. Nous sommes donc loin d’un raz de marée national.
Mais alors si ce ne sont pas les chiffres qui peuvent la justifier, d’où vient cette conviction largement répandue que quelque chose a changé en profondeur ?
La raison en est que Marine Le Pen défie et menace désormais l’UMP sur son propre terrain électoral et que la réaction de l’UMP lui ouvre un boulevard.
Contrairement à Jacques Chirac et au RPR, qui s’étaient attachés à éviter toute confusion, Nicolas Sarkozy et l’UMP se sont mis à courir derrière le FN. Ils ont ainsi renforcé le sentiment d’une porosité possible entre leurs électorats respectifs.
La préparation du second tour des législatives illustre l’ambiguïté de cette position. Pendant que les instances nationales et les têtes de file de l’UMP se drapent dans leur dignité et nous abreuvent de bonnes paroles, leurs candidats, sur le terrain, mitonnent de douteuses tambouilles avec ce parti dont les « valeurs », nous dit-on, n’auraient rien de commun avec celles de l’UMP. Jean-François Copé, sur France 2 le 12 juin, justifie (ce qui la confirme) cette position ambiguë en soutenant qu’il ne fait pas de différence entre le Front de gauche, allié du PS, et le Front national (allié de l’UMP ?…), mettant ainsi un extrémisme de générosité dans le même panier qu’un extrémisme d’exclusion.
Chez Jean-Marie Le Pen, la main de fer dominait sur le gant de velours. Chez Marine Le Pen, la main de velours occupe le devant de la scène et cela permet d’apaiser à moindre frais la conscience des candidats à la pactisation.
Quelle peut être la suite de ces jeux du cirque politique ?
Indépendamment de ses opposants à gauche, parmi lesquels le Front de Gauche, qui vient de subir un revers mais qui n’en est qu’à la mise en jambes - et l’on peut compter sur Jean-Luc Mélenchon pour ne pas s’arrêter là - Marine Le Pen va trouver sur sa route à la fois l’UMP et une opposition interne.
Le fond de commerce de Jean-Marie Le Pen était restreint mais solidement ancré dans la vieille tradition de l’extrême droite française. Avec son bagout, il pouvait draguer un peu au-delà de ses bases et flirter avec les 20 % des votants, mais ses excès lui barraient la route du pouvoir.
Marine Le Pen a de plus vastes ambitions, mais son édifice est plus fragile : à force de vouloir étendre sa base électorale, elle va décevoir la vieille garde du parti - qu’elle a réussi à tenir en lisière à ce jour - sans pour autant parvenir à en faire oublier l’historique sulfureux. Transformer le rottweiler en boxer (nous n’en sommes pas encore au caniche) va à la fois lui faire perdre du mordant et le soumettre à une rude concurrence.
Dans ce contexte, deux issues sont possibles :
- Le FN ne parvient pas à maintenir de bons scores électoraux et traverse une nouvelle dépression politique. Dans cette hypothèse, la stratégie de Marine Le Pen serait fragilisée et le FN pourrait reprendre sa vitrine extrémiste et poursuivre son chemin minoritaire. La persistance de la crise économique et sociale lui évitera peut-être cette « rechute » car le principal allié du FN, c’est la précarité.
- La stratégie de Marine Le Pen conforte la position du FN. Dans ce cas, le gagnant du combat à droite sera soit un FN devenu « fréquentable » soit une UMP « radicalisée à droite ». La deuxième issue est plus probable car, face à ces deux « offres », la formule chère au FN « préférez l’original » pourrait se retourner cette fois-ci contre lui, notamment grâce au meilleur vivier de personnalités politiques et gouvernementales de l’UMP.
Dans tous les cas, c’est le centre qui pourrait bien tirer les marrons du feu.
Si l’on s’en tient aux dernières élections, le courant centriste n’existe plus guère dans les urnes mais cela ne l’empêche pas d’être une composante historique et persistante du paysage politique français.
On a un peu oublié aujourd’hui que l’UDF a obtenu plus de 21 % des voix aux législatives de 1978 et près de 28 % des voix aux européennes de l’année suivante, devant le PS, le PC et le RPR. Le centre a perdu ensuite progressivement de l’influence, au fil des scissions et démissions qui ont marqué son histoire récente. Son dernier score honorable a été celui de la présidentielle de 2007, avec François Bayrou à 18,57 %.
Les circonstances sont favorables à une résurgence du courant centriste en France :
- la radicalisation à droite de l’UMP pourrait lui déblayer le terrain électoral ;
- la tradition du courant centriste et les positions prises par certains de ses dirigeants lui donnent une bonne crédibilité pour affronter la problématique européenne, que personne ne pourra éluder dans les années à venir.
Si François Bayrou n’avait pas commis lors de l’élection présidentielle 2012 la même erreur que celle déjà commise aux élections européennes de 2009, s’il avait complété son approche de politique générale d’une confirmation claire de son engagement européen, il se serait donné une identité et une légitimité fortes, au lieu de ressasser encore et toujours le thème du « ni droite ni gauche », que l’on commence à avoir bien assimilé.
Si ce n’est lui, un autre, peut-être, saura saisir cette occasion historique et le principal résultat de la tentative de hold-up du FN sur la droite française aura alors été la résurgence d’un courant politique centriste et ouvertement pro-européen en France.
Merci qui ?