Les apprentis sorciers de l’exécutif
par Henry Moreigne
jeudi 14 janvier 2016
"Je m'apprête à quitter un monde que je n'aime pas" déclarait quelque temps avant sa disparition en 2009 Claude Lévi-Strauss. Las, le constat de ce célèbre anthropologue et ethnologue ne serait sans doute guère différent aujourd'hui. Le délitement du monde qui nous entoure loin de se calmer, s'est largement accéléré, comme un fruit dont la généralisation du pourrissement est inexorable. Ici même dans cette douce France, pays béni des Dieux, tout semble aller à vau-l'eau. Loin d'être un rempart et un point de stabilité, la présidence de la République incarnée par François Hollande est devenue une source supplémentaire de désordre. Bousculé dans son pédalo par les flots, l'exécutif joue les apprentis sorciers dans ce qui ressemble à une tentative désespérée pour conserver un pouvoir que les simples faits devraient condamner à perdre.
Comme si l'amateurisme et la médiocrité ne suffisaient plus, l'exécutif a donc fait le choix mûrement réfléchi de jouer avec les allumettes. Enlisés sur le plan économique, Matignon et l'Elysée ont retenu la stratégie du rideau de fumée. La ficelle est grosse. Substituer l'urgence sécuritaire à l'urgence économique. Du calcul donc, beaucoup de calculs même. Il faut dire qu'il y a le feu au lac. " Depuis 12 mois, 24 des 28 pays européens ont baissé le chômage. Nous sommes dans les 4 pays qui n'ont pas réussi à le faire" déclarait Emmanuel Macron le 7 janvier dernier. A défaut de pain, ce sera donc de la brioche. Ou plutôt des mesures sécuritaires et un débat opportun sur la déchéance de nationalité destiné à fissurer un peu plus le PS et la gauche dans la perspective d'une recomposition politique pour les présidentielles de 2017.
Et voilà un président, aux rondeurs qu'on pensait innocentes sinon bienveillantes, mué en Machiavel doublé d'un chef de guerre sur le terrain intérieur. Comme aiment à dire les juristes, "on peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus". A défaut de baïonnettes, c'est sur les principes et les valeurs que l'exécutif a choisi de s’asseoir. François Mitterrand avait bien des défauts mais le sens de l’État et de l'histoire. Son lointain successeur laissera la trace d'un homme politique plus enclin aux petites manœuvres politiciennes qu'à l'esquisse de grands desseins. "Quand on commence à céder sur les principes, on cède sur tout" avait déclaré Maggie Thatcher. Homme caoutchouc plus que de fer, François Hollande sous-évalue les dégâts collatéraux de ses petites manœuvres. Ce n'est pas dans la tourmente qu'on joue avec les principes généraux du droit et la Constitution. Comme l'a si bien déclaré Maître Sicard, nouveau bâtonnier de Paris, "ce n'est pas d'un état d'urgence dont on a besoin mais, d'une urgence d'état en se donnant les moyens de faire fonctionner les missions régaliennes".
La politique est affaire de symboles. Ceux-ci aujourd'hui sont terribles. Quand on parle de déchéance de nationalité et de confier plus de pouvoirs à la police et aux préfets au détriment de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés, bien de mauvais souvenirs reviennent à la mémoire. "On n'a pas à choisir entre la sécurité et la liberté. La démocratie c'est le caractère indivisible de toutes ces libertés" rappelait dernièrement Jean-Marie Delarue, conseiller d’État, ancien directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur et contrôleur général des lieux de privation de liberté.
La politique, c'est aussi une affaire de mémoire. Et le fait que René Cassin à la Libération ait écarté la déchéance de nationalité au profit de la peine d'indignité nationale pour les anciens collaborateurs au motif qu'il ne pouvait pas y avoir de remise en cause du principe d'égalité, principe fondamental de notre droit aurait du interpeller. Préférer écouter les communicants que la sagesse de personnalités d'horizons aussi divers que Jean-Pierre Sueur, Jean-Pierre Mignard, Anne Hidalgo ou Nathalie Kosciusko-Morizet est révélateur d'une dérive dangereuse du pouvoir.
Comme le relève David Revault d'Allonnes dans les colonnes du Monde, "la décision qui demeurera sans doute comme la plus symbolique de ce quinquennat (la déchéance de nationalité) a été prise à la hollandaise, tout en temporisations, stratégisations et improvisations. Mais elle constitue d’abord, selon un dirigeant PS, l’une de ces « transgressions » qu’affectionne habituellement Manuel Valls, mais qu’embrasse aussi désormais, pour la première fois, François Hollande". Le baiser de Faust a ceci de particulier que rien ne sera plus jamais comme avant. Le Rubicon est franchi. Alea jacta est.
Condamné à être dans l'excès pour exister Manuel Valls risque bien de se brûler les ailes dans la compétition qui s'est ouverte avec Emmanuel Macron. Âme désormais damnée de François Hollande, son sort pourrait être celui d'un autre François, Fillon celui-là, ravalé au rang de simple collaborateur du Président de la République. La rengaine du Chef de gouvernement à ses auditeurs « Je suis un premier ministre fort, dont les idées s’imposent dans le débat public », tient plus désormais du discours performatif que de la réalité. Il lui faudra plus qu'un passage à l'émission TV de Ruquier pour s'extraire de l'étouffoir dans lequel François Hollande progressivement l'a enfermé. Et la France avec.