Les clowns au pouvoir
par olivier cabanel
mardi 27 octobre 2015
Coluche, candidat à la présidence de la République, avait échoué, se retirant après que l’un de ses amis ait été assassiné… plus tard, Beppe Grillo était devenu le grand vainqueur des législatives italiennes, (lien) et c’est bien un clown, Jon Gnarr, qui avait été plébiscité, devenant maire en 2010 de la plus grande ville d’Islande. lien
Le 25 octobre 2015, c’est aussi un clown qui vient de gagner, remportant la présidence du Guatemala.
En effet, avec près de 70% de suffrages, c’est un homme issu du monde du spectacle en général, et de l’humour en particulier, Jimmy Morales qui vient d’être élu Président de la République, devenant ainsi le 7ème de l’histoire du Guatemala, État dont l’une des particularités est de connaitre une corruption sans limites apparentes. lien
Même si c’est l’exaspération des citoyens qui vient de porter son choix sur ce comédien, animateur de télévision de 46 ans, la victoire ne fait aucun doute, d’autant que la participation avoisine les 70%, score que bien de nos élus aimeraient obtenir, ce qui leur redonnerait une crédibilité perdue depuis un certain temps. lien
Ceci dit, l’animateur humoriste n’est pas un modèle d’ouverture : ce diplômé en théologie, considère que le mariage homosexuel génère un désordre social, est hostile à l’avortement, et ne veut pas entendre parler de la légalisation du cannabis…lien
Sur ce dernier point, il devrait prendre avis du Colorado, puisque la légalisation change la perception du problème, permettant de couper l’herbe sous les pieds des maffias, et enrichissant le pays. lien
Mais au-delà de ces surprises électorales, on pourrait s’interroger sur la nature d’autres élus…Richard Nixon avait bien, avant de faire carrière en politique aux USA, commencé sa carrière au cinéma…(lien) Chaplin avait incarné le sosie d’un dictateur de sinistre réputation, en proposant un discours dont les paroles resteront longtemps dans les cœurs : « nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur, nous ne voulons pas haïr, ni humilier personne, (…) notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains. Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre, mais nous l’avons oublié. L’envie a empoisonné la vie des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang.
Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer en nous même.
Les machines qui nous ont apporté l’abondance nous laissent dans l’insatisfaction.
Notre savoir nous a fait devenir cyniques. Nous sommes inhumains à force d’intelligence, nous ne ressentons pas assez, et nous pensons beaucoup trop.
Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité.
Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités humaines, la vie n’est plus que violence et tout est perdu (…) je dis à tous ceux qui m’entendent : ne désespérez pas !
Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère de l’habileté, de l’amertume de ceux qui ont peur des progrès qu’accomplit l’Humanité.
Mais la haine finira par disparaitre et les dictateurs mourront et le pouvoir qu’ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples (…) vous n’êtes pas des machines, vous n’êtes pas des esclaves, vous des hommes, des hommes avec tout l’amour du monde dans le cœur… ». vidéo
À ce stade de la réflexion, il serait dommage de ne pas évoquer le grand Pierre Desproges qui avait sur l’humain en général, et sur la politique en particulier quelques idées claires.
Interrogé par un journaliste qui, plus tard, fera carrière en politique, au sein du mouvement écologiste, il fait un rapprochement entre la cuisine et la politique qui ne manque pas de pertinence. vidéo
Mais voilà, les élus dont nous avons hérité sont dans un autre monde, un monde de privilégiés, se partageant pouvoir et avantages, et préoccupés surtout de garder l’un et l’autre, et lorsqu’ils font de l’humour, c’est généralement involontairement.
En effet comment ne pas sourire en découvrant les errements, les dérapages, et autres rétro-patinages d’une Nadine Morano, (lien) d’un Estrosi évoquant un « excès de vitesse » (alors qu’ils se déplaçaient à pied) pour qualifier la fuite de Zyed et Bouna, morts en 2005, suite à ce qui a été qualifié improprement de « bavure policière »…(lien) d’un Hollande, d’une Marine le Pen, ou d’un Sarközi qui au cours d’une interview restée dans les mémoires, fait douter de ses compétences oratoires. video ou là
Ses bafouillages sont aussi restés légendaires et lui font atteindre un bon niveau humoristique. lien
C’est d’ailleurs l’un des fils de ses ex-amis, décédé depuis, un certain Kadhafi, qui l’avait qualifié de clown. lien
Les dérapages de Marine Le Pen méritent eux aussi le détour : l’un des plus notoires s’est produit lors de la libération des otages français au Niger. lien
Quant à François Hollande, s’il est connu pour son utilisation régulière de l’humour, il n’est pas avare non plus en maniement de la « langue de bois ». lien
Il n’est pas inintéressant de se plonger dans les déclarations qu’il faisait au « chasseur Français », affirmant, quelques temps avant l’élection de 2012, que les chasseurs aimaient et protégeaient la nature, espérant en vain qu’ils votent pour lui… lien
Un certain Franck Lepage, illustre bien lors d’un de ses spectacles, comment se manie la langue de bois. vidéo
Cet humour involontaire, ou pas, de tous ces élus prouve bien que ces comédiens hors pairs, champions en langue de bois, ne sont pas si éloignés de nos champions de l’humour…et ils ajoutent parfois au cynisme la manipulation a tous les niveaux.
Quid d’un Claude Allègre, déniant le changement climatique, avant d’avouer finalement avoir été chargé de faire du lobbying ? lien
Jean Gabin avait incarné avec succès un président du conseil de la République (lien) et on en vient à rêver que de grands comédiens, dotés souvent d’une sagesse indiscutable, parviennent un jour prochain à prendre le pouvoir.
On se souvient des commentaires percutants du regretté Coluche, lorsqu’il s’en prenait aux hommes politiques.
Interrogé sur ce qu’il pensait de la politique menée par le gouvernement socialiste, il déclarait devant un parterre d’étudiants : « si tout ce qu’on peut avoir à la place de la droite qu’on a eu pendant 30 ans, c’est ça, c’est la dernière fois que les mecs, ils votent (…) pendant 30 ans, les mecs ont gouverné comme des manches, politiquement ils nous ont mis dans une merde noire, que les socialistes qu’on a attendu, porteurs de tous nos espoirs, ils font pas mieux…y a même des gens qui seraient tentés de dire qu’ils font pire…et on sait bien qu’il nous arrivera rien de mieux dans l’avenir ». vidéo
Ça a au moins le mérite de la clarté, et c’est plus que jamais d’actualité…
Mais revenons aux clowns.
J’ai le souvenir ému et tenace d’avoir découvert à Genève, à la maison de la culture de St Gervais, « les Colombaioni », Carlo et Alberto, en droite ligne de la Commedia dell'Arte, proposant une fable sur le pouvoir en revisitant Hamlet à leur façon.
Le décor était rudimentaire… une salle froide éclairée de néons… les clowns en habit gris…sans nez rouge, et pour représenter le Trône, une chaise empilée à l’envers sur une autre.
L’intrigue est relativement claire : un roi reçoit un chevalier, et lui demande le temps qu’il fait au dehors…et a comme réponse un jet d’eau, projeté par la bouche du chevalier en question…qui après avoir commis son forfait, déclare : « il pleut ». vidéo
On ne saurait être plus clair.
Alors finalement, au lieu de laisser le pouvoir à des politiciens, tentés de faire carrière dans ce milieu, pratiquant un humour involontaire, ou, lorsqu’il est volontaire, est généralement discutable, pourquoi ne pas se faire à l’idée d’installer au poste suprême de véritables experts de l’humour, souvent des sages éclairés, et porteurs d’initiatives citoyennes constructives ?
Et puis ce serait oublier que l’histoire du clown est intimement liée au cirque, et que ce mot qualifie assez justement la politique que l’on nous propose, ainsi que ceux qui la pratiquent.
Étymologiquement, le mot clown serait une déformation du mot anglais « clod », lequel désigne un paysan balourd.
Comme l’affirme Alfred Simon, ce journaliste spécialiste du théâtre : « il exécutait à pied ou à cheval des exercices d’équilibre ou de souplesse destinés à faire rire. Grimace et cabriole sont les deux bases de son art »…définition que l’on pourrait sans hésitation appliquer aux politiques et à ceux qui la pratiquent, sauf qu’eux ne nous font plus rire depuis longtemps. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « dans la maison de la fourmi, la rosée est une tempête ».
L’image illustrant l’article vient de actualites.co
Merci aux internautes pour leur aide précieuse.
Olivier Cabanel
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