Les gifles de Ségolène
par LM
lundi 16 avril 2007
Distancée dans les sondages, donnée perdante par une enquête officieuse des RG, poussée dans les bras de Bayrou par quelques éléphants, Ségolène Royal a remis les pendules à l’heure ce week-end, sans ménager ni les siens ni le centre.
Ces derniers jours, Ségolène Royal donnait l’impression de passer à côté de sa campagne. Elle avait beau agiter en tout sens ses drapeaux aux fenêtres, tenter d’accompagner ses militants braillant la Marseillaise, elle avait beau répéter à l’envi qu’elle ne s’abaisserait pas aux insultes ni aux quolibets, rien n’y faisait : elle n’arrivait plus à exister. Les caméras étaient bien là, la sympathie aussi, quelques ralliements show biz pour agrémenter le tout mais décidément la mayonnaise ne prenait plus, et le cirque Royal semblait se diriger tranquillement mais sûrement vers une gamelle digne des plus belles villégiatures avec du temps libre à ne plus savoir qu’en faire. Plus personne, à dire vrai, ne semblait y croire.
Du coup, certains de son camp crurent bon de lui proposer une alliance pour éviter une bérézina. Perdu pour perdu, lui expliqua Rocard, autant se rallier avec Bayrou. Foutu pour foutu, renchérit Kouchner, autant montrer d’emblée qu’on n’est pas « sectaire » et qu’après tout, le centre, c’est pas très loin. En faisant un petit effort...
Les prises de position de ces deux personnalités socialistes assez différentes l’une de l’autre (un ancien Premier ministre à qui certains accordent une aura un peu exagérée et un ancien ministre de la Santé, droit de l’hommiste très populaire auprès des bobos) eurent au moins le mérite de réveiller la dame du Poitou plus sûrement que si on lui avait fait goûter un chabichou fabriqué au Japon. Dans le Journal du dimanche d’une part, puis sur Radio J d’autre part, elle régla la mire sans laisser sa part aux chiens : "J’avoue qu’on ne m’aura pas épargné grand-chose dans mon camp. Peut-être qu’on me fait payer une certaine forme de liberté" (...) "un certain nombre de personnalités au sein du PS n’ont jamais accepté ma désignation par les militants. Cela ne m’aide pas. Mais je me dis de façon optimiste que c’est le prix de ma liberté et que finalement cela prouve que j’ai beaucoup de résistance, de constance." Visant plus précisément Michel Rocard, elle déclare : « Il a le mérite de la constance. Depuis des années il veut faire venir le centre par des alliances de personnes vers les socialistes. » Une manière polie d’expliquer que c’est un vieux monsieur qui radote. « J’espère que je suis au bout de mes surprises, car point trop n’en faut ! » conclut-elle.
On le voit, entre la belle et les bêtes à grande trompe, rien ne s’est arrangé. Les DSK, Kouchner, Rocard et certains autres n’ont visiblement toujours pas avalé la pilule, et une semaine avant le verdict, ils appuient là où ça fait mal en faisant clairement comprendre à leur candidate qu’elle n’a aucune chance, seule, de l’emporter. Qu’elle ne fait pas le poids. Vieille rancune. Dans ce concert de reproches, seuls Fabius et Lang font dissidence, en se montrant totalement opposés à une fusion avec la "vieille lune" centriste. "L’élection présidentielle n’est pas une combinaison d’alliances entre des candidats ou des formations politiques." Là-dessus, Fabius et Royal sont au diapason. Tout arrive.
De Bayrou non plus, (de Bayrou surtout) Ségolène n’en veut pas. Ce n’est pas elle qui se rapprochera de lui, mais lui qui, s’il le souhaite, pourra venir fréquenter les hauteurs socialistes. "Bayrou est un homme respectable, mais il n’a ni programme ni équipe." Voilà qui a le mérite d’être clair. Mais la Dame d’Hollande développe quand même : "Comment se fait-il qu’un homme politique ait assez peu de convictions, soit assez faiblement structuré qu’il puisse avouer aux électeurs qu’il ne défendra pas les mêmes idées et le même programme selon qu’il sera face au candidat de droite ou face au candidat de gauche ?" Pas de programme, pas d’équipe, pas de convictions, aucune structure, guère de fierté, voilà le béat du Béarn habillé pour ses longues soirées d’hiver. Royal en remet quand même une couche (pour le froid) en accusant le caïd du centre de "faire des appels d’offre" et de tenter "sans succès" de "débaucher des membres du parti socialiste". Ségolène ne veut pas entendre parler de ce VRP-là. Pour Bayrou, c’est le mirage de la victoire qui s’évanouit, et pour les caciques du PS c’est le spectre d’une défaite dès le premier tour qui ressurgit. Hollande lui-même se montrait, hier, dubitatif : "Pas sûr que Ségolène soit au second tour." Si même le futur premier homme de France s’y met...
Mais Ségolène n’en a cure, elle croit qu’elle va gagner. Elle réclame de " l’audace" aux Français, qu’ils osent élire une femme, ce "signe fort" qui devrait tout changer. Sans DSK, sans Rocard, sans Kouchner, sans Bayrou, sans les RG, elle compte bien arriver au sommet de sa muraille à elle, et inspirer le monde entier, rien que ça : "Nous serons surpris de l’événement planétaire que constituera, au-delà de ma personne, l’élection d’une femme politique d’expérience à la présidence de la République française et de l’élan qui en résultera." Planétaire, pas moins. Quand Ségolène se regarde le nombril, elle voit le centre, oui, mais celui du monde. Pas du Béarn.