Les parrainages en question

par Dominique Dutilloy
mardi 8 août 2006

Qui va succéder à Jacques Chirac à la tête de la « Maison France » ? La question reste posée, d’autant que, à moins d’un an des échéances présidentielles, une pléthore de candidats à la magistrature suprême de notre Pays déclarent leurs intentions de vouloir devenir, pendant 5 ans, les hôtes du Palais de l’Elysée...


Cependant, pour pouvoir figurer dans la liste officielle des candidats à l’élection présidentielle, la Loi Organique[1] n° 88-35 du 13 mai 1988 prévoit : « cette liste est préalablement établie par le Conseil Constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées 18 jours au moins avant le premier tour du scrutin par, au moins, 500 citoyens membre du Parlement, des Conseils Régionaux, de l’Assemblée de Corse[2], des Conseils Généraux, du Conseil de Paris, des Assemblées territoriales des Territoires d’Outre-mer, des Maires[3], des Membres élus du Conseil supérieur des Français de l’Etranger[4] ».

En fait, cette loi, qui oblige tout aspirant président à « s’en aller à la pêche aux tuteurs », contraint clairement à tout candidat à la présidence de la république « de se faire parrainer par, au moins 500 élus nationaux, régionaux, départementaux, municipaux..., originaires de 30 départements[5], au moins, ou des Territoires d’Outre-mer, sans que plus d’un dixième d’entre eux puisse être les élus du même département ou du même territoire d’Outre-mer ».

Auparavant seules 100 signatures d’Elus pouvaient être présentées au Conseil Constitutionnel...

Mais, confronté à des candidatures qu’il estimait ‘’trop fantaisistes’’, le Président Valéry Giscard d’Estaing décida de modifier définitivement les règles du jeu : désormais, la Loi Organique n° 76-528 du 18 juin 1976 porterait le nombre de signatures requises à 500 signatures !

Destinée à l’origine à écarter des candidatures jugées ‘’trop farfelues’’[6], cette loi, selon de nombreux observateurs politiques, est, par son aspect pervers, une mesure qui est contraire à la Démocratie, puisqu’elle ne permet à chaque grand électeur de n’être que le parrain d’un seul candidat[7].

L’on se souvient des dernières Elections présidentielles de 2002... Certains candidats ‘’bien informés’’ laissèrent supposer que « des élus auraient subi des pressions de leur propre parti pour les empêcher de parrainer un candidat particulier »... Ainsi, pour Jean-Marie Le Pen, à l’époque Député européen, le suspens allait durer très longtemps : il faillit être écarté de la course à la Présidentielle... Mais, grâce à sa très grande faculté à ‘’émouvoir’’ les médias et la classe politique toute entière sur son triste sort, le Président du Front national, qui fit preuve d’entêtement et de détermination, réussit à obtenir, de justesse, les ‘’précieuses’’ 500 signatures... Noël Mamerre, Candidat des Verts, lui-même, qui s’était ému de la déconvenue de Jean-Marie Le Pen, avait trouvé publiquement « anormal que le Président du Front national fût absent de ce débat démocratique important ».

D’autres et non des moindres n’eurent pas cette même chance : Charles Pasqua[8] et Nicolas Miguet[9], se retrouvèrent définitivement écartés de la course à l’Elysée...

De là à prétendre que ce fut une des causes de la grande gifle électorale subie, le 21 avril 2002, par la classe politique française toute entière, il y a un pas qu’on pourrait aisément franchir !

En effet, sponsoriser un candidat pour lui permettre d’accéder à la course vers l’Elysée ne signifie, en aucune manière, qu’il faille nécessairement voter pour lui...

Aussi, nous considérons que tout candidat à la présidence de la République ne devrait s’occuper que du bon déroulement de sa campagne électorale...

Loin de nous l’idée de vouloir remettre en cause les fondements même de cette loi organique. Cependant, nous considérons que son mode d’application devrait être modifié en profondeur :

 Après avoir reçu les déclarations de candidatures, ne serait-il pas possible que le Conseil Constitutionnel établisse, pour chaque grand électeur, un formulaire unique, sur lequel il suffirait d’inscrire les prénom et nom de chaque candidat, ainsi que son parti politique éventuellement ?

 Après avoir reçu ce formulaire qu’il devrait dater et signer, chaque grand électeur ne pourrait-il pas cocher en face de chaque nom avec une croix, le candidat qu’il jugerait apte à s’exprimer devant le peuple français ?

 Ne serait-il pas possible, pour plus de clarté démocratique, que l’élu puisse choisir un, deux, trois..., voire plusieurs candidats qu’il voudrait parrainer ?

 Ne serait-il pas possible, à chaque élu de faire parvenir, par tout moyen officiel de son choix, le formulaire dûment rempli et signé au Conseil Constitutionnel, à condition que cela soit 18 jours au moins avant le 1er tour du scrutin ?

 Dans ce cas, le Conseil Constitutionnel, ne pourrait-il pas faire, candidat par candidat, le décompte des parrainages obtenus, pourvu que chacun d’entre eux ait obtenu les 500 signatures requises ?

 Pourquoi ne pas charger officiellement le Conseil Constitutionnel, et lui seul, d’ouvrir la campagne des Présidentielles en dévoilant publiquement les prénoms et noms de tous les candidats aptes à se présenter à la course à l’Elysée ?

Ces modifications apportées présenteraient trois avantages certains :

 Chaque candidat pourrait organiser librement sa campagne électorale, puisqu’il ne serait plus contraint de partir à la chasse aux signatures,

 Chaque grand électeur ne serait plus tenu de révéler ses choix, puisqu’il serait seul face à son formulaire et qu’il aurait la possibilité de parrainer plusieurs personnes pouvant être de bords politiques différents,

 Que certains candidats soient ‘’martyrisés’’ pour « promesses non tenues du fait de certaines pressions subies par un grand électeur »...

La modification de cette Loi Organique n° 88-35 du 13 mai 1988, permettra-t-elle, pour notre Patrie des Droits de l’Homme, l’émergence de nouvelles règles démocratiques ? La question reste posée ! Mais, il serait temps que le Gouvernement, que les Sages du Conseil Constitutionnel, que nos parlementaires..., se penchent sérieusement sur cette question épineuse, qui fâche beaucoup de monde, aussi bien à Droite qu’à Gauche !



[1] La Loi Organique est une loi destinée à développer les principes posés par une Loi Constitutionnelle.

[2] Loi Organique n° 95-62 du 19 janvier 1995, dans son Article 1er.

[3] Loi Organique n° 88-36 du 13 janvier 1988, dans son Article 1er.

[4] Ibid.

[5] Y compris les Départements d’Outre-mer.

[6] Malgré tout, lors du 1er tour des Présidentielles de 1981, Coluche, qui se porta candidat sans aucun problème, put se désister par la suite. Lors du 1er tour des Présidentielles de 2002, un autre humoriste : Dieudonné, qui aurait pu se maintenir dans la course à l’Elysée, « ayant », selon ses dires, « obtenu les 500 signatures requises », préféra se désister bien avant le démarrage officiel de la campagne des Présidentielles...

[7] Cf. Dominique Dutilloy, in : « Impressions » (chapitre 2 : « La mascarade des parrainages », des pages 19 à 23), Editions « Le Manuscrit » [ http://www.manuscrit.com/catalogue/auteur.asp ].

[8] Président du R.P.F., ancien Ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, qui fut, pour son Parti, le candidat à l’élection présidentielle, n’avait pas obtenu le nombre de parrainages requis.

[9] « Persuadé d’avoir réellement obtenu les 500 signatures en temps et en heure », selon ses dires, Nicolas Miguet, Président du Rassemblement des Contribuables français (R.C.F.), qui a été écarté par le Conseil Constitutionnel, a déposé un recours auprès des plus autres instances de notre Pays.


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