Les partis politiques en difficulté face à la crise

par Voltaire
jeudi 30 octobre 2008

La crise financière et économique actuelle, et les diverses mesures proposées par le chef de l’État et le gouvernement, ont provoqué une série de réactions de la part des partis politiques et de leurs responsables ces derniers jours. Leur analyse indique un certain embarras, entre la nécessité de se positionner face aux mesures, celle de coller aux préoccupations des citoyens, et la présence de nombreux clivages au sein même de ces partis.

UMP : le virage à 180°

Les prises de position et diverses mesures annoncées par le président de la République ont placé le parti majoritaire dans une situation délicate. En totale contradiction avec son discours et sa volonté affichée lors de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a opté pour un interventionnisme d’État que n’aurait pas renié un gouvernement socialiste. Prise de participation de l’État dans les banques, fonds de garantie d’État, emplois aidés, mise en garde aux entreprises opportunistes, intervention de l’État dans la discussion sur la formation professionnelle menée par les partenaires sociaux… la liste est longue. Le chef de l’État a donc choisi de s’engager dans la voie du plus d’État, prenant le risque d’une aggravation importante des déficits publics et s’attirant une réaction ironique du président vénézuélien Hugo Chavez : « Sarkozy, tu es en train de te rapprocher du socialisme, bienvenue au club ».


Cette volte-face laisse l’UMP dans la confusion. Contrainte de soutenir le président de la République, sa majorité tente de justifier ces mesures par l’urgence de la situation, mais la grogne s’amplifie. Un certain nombre de députés et sénateurs remettent notamment en question l’absence de marges de manœuvre financières créée par le « paquet fiscal » de 2007 et l’absence de véritable réduction du train de vie de l’État alors que les dépenses s’accroissent sans cesse. De la même façon, le traitement social du chômage suscite de nombreuses critiques, bien qu’encore feutrées, tant il a été décrié par la droite et le président lui-même quand la gauche était au pouvoir.


Cette crise met de nouveau en lumière les divergences qui existent au sein de l’UMP entre (néo)libéraux, gaullistes et chrétiens-démocrates, dont les appréciations sur les mesures prises et à prendre divergent. Malgré le contrôle exercé par la présidence de la République sur l’expression des membres de son parti, il est probable que ces différences se feront plus visibles à mesure que la crise économique aura des répercussions sociales. Ainsi, si l’UMP se contente pour le moment d’approuver les mesures du chef de l’État et du gouvernement, il est possible que les députés, menés par un président de groupe ambitieux (JF Copé), fassent preuve de plus d’indépendance à mesure que les échéances électorales se rapprochent.


PS : un message toujours brouillé

La crise actuelle devrait être du pain béni pour le Parti socialiste. En réhabilitant le rôle de l’État dans l’économie, le président de la République a en effet donné une crédibilité inespérée à un socialisme souvent déconsidéré. Malheureusement, les luttes internes au PS en vue du congrès de Reims rendent son message illisible et l’empêche de profiter politiquement de la situation. Ainsi, le groupe socialiste à l’Assemblée a fini par s’abstenir sur le vote des mesures de sauvetage des banques, les divergences sur ce vote au sein du groupe PS ayant donné lieu à des propos très rudes d’Emmanuel Vals.


De la même façon, les mesures en faveur de l’emploi proposées par le président de la République ont provoqué des remarques diverses, les uns se félicitant de la reprise d’idées socialistes, tandis que les autres critiquaient les « mesurettes » du chef de l’État. Ainsi, si l’on observe une certaine unanimité dans la critique du président Sarkozy, taxé d’incohérence, chaque ténor a fait part de son propre plan de sortie de crise, brouillant le message du parti. En rendant public mardi ses dix mesures pour l’emploi et le pouvoir d’achat, le PS a tenté de mettre un frein au cafouillage, mais il y a fort à parier que les candidats au poste de premier secrétaire continueront de jouer leur partition personnelle jusqu’au congrès de Reims.


Plus sérieusement, le PS ne parvient pas à élaborer un projet commun de société alternatif au modèle actuel. Si les ténors ont tendance à faire dans la surenchère à gauche, afin de coller aux difficultés des Français et de ne pas se faire déborder par l’extrême gauche, il n’en demeure pas moins que des fractures profondes demeurent entre les visions proposées par les listes Hamon, Royal et Aubry. Quant à la liste Delanoë, elle est paralysée par son désir de consensus et son souhait de ne pas hypothéquer l’avenir. Entre social-démocratie et antilibéralisme, le PS demeure à la recherche d’une improbable synthèse, qui l’empêche de profiter de la crise politique qui se dessine.


MoDem : comment confirmer ?

François Bayrou, l’indéracinable Béarnais, peut jubiler. Lui qui avait tant peiné à expliquer son refus de cautionner le modèle économique à l’anglo-saxonne de Nicolas Sarkozy auprès de ses troupes peut voir dans cette crise l’éclatante justification de ses prédictions. Et il a eu beau jeu de rappeler devant les cadres du MoDem réunis dimanche dernier les propositions du candidat Sarkozy pour développer les prêts hypothécaires en France (à l’origine de la crise des subprime aux Etats-Unis) et l’inconséquence des promesses du président de la République.


Comparé aux deux partis politiques précités, le MoDem a un avantage : un leader incontesté et une seule ligne politique. Son discours est donc homogène et largement cohérent. Se basant sur une analyse d’échec du modèle capitaliste débridé qui s’est révélée exacte, il anticipe, après la crise financière et la crise économique, une crise sociale et une crise politique. Sa réponse est double :

- d’abord, plus d’Europe. Rien d’innovant à cela, il s’agit d’une constante pour le parti centriste, et les événements récents renforcent cette proposition. Même si les autres partis militent eux aussi pour une action européenne renforcée, le MoDem est le seul à réclamer plus de pouvoir pour cette Europe, via notamment la création d’un régulateur financier européen pour la zone euro ;

- ensuite et surtout, un projet de société nouveau, ni néolibéral ni socialiste, qu’il qualifie d’« humaniste ». Remplacer une société de « l’avoir » par une société de « l’être », tel est le projet du MoDem.


Seul problème, et il est de taille, cette crise survient trop tôt pour ce nouveau parti, qui sort à peine de sa structuration interne. Ainsi, au-delà d’une analyse et de critiques qui sonnent justes, la partie solutions est encore très mince. Alors que Nicolas Sarkozy et le Parti socialiste font plutôt dans le trop-plein de mesures, le MoDem se contente d’une vision encore très générale, sauf en ce qui concerne l’Europe. Faute d’avoir pu mettre en place une réflexion de fond à temps, le MoDem se retrouve dans la situation paradoxale d’être devant une autoroute politique (en raison des contradictions auxquelles font face UMP et PS) et de ne pas pouvoir enclencher les vitesses, et donc ne pouvoir profiter pleinement des circonstances favorables. Néanmoins, si la crise persiste et que ce parti développe son projet, la situation pourrait évoluer rapidement.


FN : la tête sous l’eau

Le parti de Jean-Marie Le Pen continue d’être inaudible. Confronté à une crise financière interne dévastatrice, et à une sourde lutte de succession, le Front national est aphone. Pour ne rien arranger, cette crise financière et économique ne procure aucun argument aux frontistes pour toucher l’opinion. Difficile en effet d’accuser l’immigration de cette crise, venue des Etats-Unis, les immigrés servant plutôt de soupape de sécurité au niveau emploi, en étant les premiers à perdre leur poste. Pire, la solution à la crise ne peut venir que de l’Europe honnie, et l’euro a servi de bouclier protecteur aux pays qui l’ont adopté (la crise financière est plus importante dans les autres pays européens, qui ont pour certains dû avoir recours au FMI, et le Danemark et la Suède s’interrogent maintenant sur une entrée possible dans la zone euro).


A moins de prétendre qu’un protectionnisme économique eût pu protéger la France de ces turbulences (comme nos frontières du nuage de Tchernobyl), le FN se retrouve donc sans argumentaire à l’entame des élections européennes, cruciales pour ce mouvement.


Les Verts : l’occasion manquée

Il faut le reconnaître, le (les) parti écologique joue de malchance. Tout paraissait pourtant aller dans le sens d’un renouveau de ce parti : une alliance inespérée entre les différentes composantes écologiques pour les européennes, sous la houlette d’un Cohn-Bendit toujours vert, et l’environnement en tête d’affiche des médias avec le Grenelle, le prix du pétrole, etc. Et puis, patatras… La crise financière et économique arrive sur le devant de la scène, chômage et pouvoir d’achat remplacent dans l’opinion le réchauffement climatique et le diesel hors de prix.


Les perspectives favorables semblent donc s’éloigner pour les Verts, qui doivent concevoir à la hâte un nouveau discours : avec la récession, les émissions de gaz à effet de serre vont mécaniquement diminuer (en raison d’une activité économique moindre), et les citoyens seront bien moins sensibles à l’idée de taxes écologiques… Certes, les Verts pourraient recadrer leur discours vers le développement économique durable et un positionnement anticapitaliste/anticonsumériste, mais ce créneau est déjà occupé par les autres partis de gauche, et le gâteau électoral n’est pas extensible…


Le NPA : dans les starting-blocks

Est-il utile de le dire : Olivier Besancenot boit du petit-lait. Pour lui, cette crise « conforte sa grille de lecture marxiste » de la société. Prenant avantage d’une crise économique et financière largement provoquée par les dérives d’un capitalisme financier hors contrôle, le NPA peut argumenter de façon infiniment plus crédible sur l’intérêt de révolutionner le système. Certes, les solutions proposées sont toujours aussi peu convaincantes pour une majorité d’électeurs, mais la tentation d’un vote d’avertissement aux politiques risque de prendre des proportions majeures si les difficultés persistent et si aucune mesure de sanction vis-à-vis des responsables et du système ne sont prises d’ici les européennes.


Seul bémol, l’organisation politique du Nouveau Parti Anticapitaliste est au point mort. LO a rompu les ponts, le PC ne les a jamais construits, Bové a rejoint l’alliance écologique, et la LCR se retrouve donc seule avec son nouveau nom. Pas vraiment un handicap à court terme, mais le NPA devra néanmoins se structurer et s’ouvrir pour ne pas rester dans les starting-blocks et profiter politiquement d’une crise qui s’apparente pour le parti révolutionnaire à l’occasion du siècle.


Et les autres ?

Et les autres partis politiques ? Rien. A droite, Dupont-Aignant et de Villiers sont réduits à de la figuration, le Nouveau Centre est noyé dans l’UMP, et les radicaux n’existent pas. A gauche, il en va de même : radicaux et MRC sont transparents, le PC poursuit sa descente aux enfers et LO n’arrive pas à faire émerger de successeur à Arlette. Bref, aucun discours cohérent sur la crise n’émerge de ces partis en voie de disparition.


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