Les politiques au Mondial : supporters ou simulateurs ?

par Brady
lundi 10 juillet 2006

L’enjeu montant au cours du Mondial, on voit de plus en plus d’hommes politiques supportant leur équipe nationale. Il y a ceux qui se sortent remarquablement bien de cet exercice de style, comme Angela Merkel, en montrant un certain enthousiasme non feint. D’autres qui donnent l’impression d’aller au stade comme au zoo, dans l’espoir de remonter leur cote de popularité (comme nos politiques) et se font prendre par les supporters pour simulation d’un vague intérêt pour le sport...

Un bon chef d’Etat doit-il être un passionné de sport ? On se souvient de de Gaulle renvoyant des tribunes présidentielles le ballon rond qui y avait atterri lors d’une finale de Coupe de France, ou poussant une gueulante après la débâcle des sportifs français aux Jeux olympiques de Rome en 1960 (Jacques Faisant avait caricaturé mongénéral en survêtement poussant un : "Décidément, dans ce pays, il faut que je fasse tout moi-même !"). On se souvient de Miterrand échangeant une bise avec Jean-Pierre Papin en finale de Coupe de France ou faisant la ola aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992. On se souvient de Chirac, maillot bleu sur les épaules (mais sous la veste quand même, il ne faut pas pousser avec le protocole) scandant les noms des joueurs français (euh... en fait, il ne scandait que le nom de Zidane, faisant du playback pour les autres joueurs qu’il connaissait moins...) lors de la finale du Mondial 98. Mais on se souvient aussi d’Edouard Balladur, venu regarder un match de rugby France-Ecosse en précampagne présidentielle de 1995 pour un résultat mitigé, Balladur ayant été plus souvent filmé en train de regarder sa montre que se passionnant pour le match... C’est un fait, manifester de l’intérêt pour le sport est à double tranchant, car il faut que nos politiques supportent et ne simulent surtout pas sous peine de se mettre les vrais supporters à dos !

A ce petit jeu-là, Angela Merkel a été la plus redoutable de ce cas particulier de supporters... Au printemps, elle surprend en étant l’une des rares à apporter un soutien inconditionnel au sélectionneur national Jürgen Klinsmann, victime d’une presse déchaînée à la suite d’une débâcle 4-1 en Italie. Klinsi lui retournera cette marque de soutien, et le succès ayant été au rendez-vous pour une Mannschaft qui a atteint le dernier carré de son Mondial en produisant du beau jeu (alors que les critiques pronostiquaient, comme dans un pays frontalier, une sortie rapide), on peut penser que Merkel capitalisera son coup de flair...

Autre intérêt pour Mme Merkel : dans un pays coupé en deux par des législatives extrêmement serrés, le Mondial a été l’occasion de la fête de l’Allemagne, avec des démonstrations nationales que l’on avait pas vu même lors de la chute du mur de Berlin... Pour voir un tel défilé de drapeaux allemands et une telle reprise du Deutschlandlied, l’hymne national, il faudrait remonter aux heures les plus sombres de l’histoire allemande... sauf qu’ici, le patriotisme est bon enfant, et nullement raciste et xénophobe. Les ressortissants turcs se consolent de la non-qualification de leur équipe en se mêlant à la fête de la Mannschaft. Les fils d’immigrants polonais, déçus par la débâcle de l’équipe de leurs parents, se consolent en voyant deux fils d’immigrants comme eux, Miroslav Klose et Lukas Podolski, en tête du classement des buteurs. Les noirs ont pu trouver en David Odonkor, le rapide meneur de jeu du Borussia Dortmund (né de père ghanéen et de mère allemande), le représentant de leur minorité. Une fête de l’Allemagne noire-rouge-jaune mais également black-blanc-beur, comme la France en 1998, et, en grande organisatrice de l’évènement, Angela Merkel qui a assisté à tous les matchs de la Mannschaft avec parfois des démonstrations de joie assez expressives, saura capitaliser cette victoire auprès des 6 millions de licenciés et des 29 millions de téléspectateurs du pays...

Autre vainqueur, dans un autre registre : l’Italien Romano Prodi. Lui aussi, comme Merkel, profite de "L’union nationale" pour ressouder un pays coupé en deux lors des législatives autour de la Squaddra, même si Prodi avait avoué lors de la campagne être plus branché cyclisme que ballon rond, le terrain de jeu de son prédécesseur et grand rival, Silvio Berlusconi. Sauf que... pendant que Berlusconi est éclaboussé par le scandale des matchs truqués (son club, le Milan AC, étant menacé de relégation judiciaire), Prodi, lui, vient assister à la demie-finale de la Squaddra, où il ne fait montre ni d’ennui, ni de démonstraton de joie excessive (le chauvinisme de son prédécesseur ayant été maintes fois critiqué...), se réconcilie discrètement avec sa voisine Merkel et le pays qu’elle représente (le prédécesseur en question ayant déchaîné la presse allemande après avoir traité un député européen allemand de Kapo, c’est à dire d’officier SS...) et va après match casser son image de "Professeur Mortadelle" en allant chanter O sole mio dans les vestiaires transalpins, avec des joueurs dont certains évoluent au Milan AC, le club de son rival. Les Thierry Roland de la politique auront apprécié le parfait travail tactique de Prodi : ni trop chauvin pour ne pas vexer les milliards de téléspectateurs qui par le monde ont pu voir un représentant italien qui n’en fait pas trop, mais bon déconneur pendant la troisième mi-temps, histoire de casser son image d’économiste rasoir auprès de ses électeurs.

Il y a des politiques supporters pour le bien de l’union nationale (on peut citer comme autre exemple le président ukrainien contesté Iutchenko, venu soutenir son équipe en quart de finale après l’appel insistant du sélectionneur national et... député d’opposition, Oleg Blokhine), et il y a aussi les critiqueurs, à leurs risques et périls. Le président brésilien Lula avait trouvé Ronaldo un peu trop enrobé, réponse de l’intéressé : Il y a des rumeurs qui disent que je suis trop gros, et il y a des rumeurs qui disent que le président est un alcoolique ! Alors il n’est pas vrai que je sois trop gros, comme il n’est pas vrai que Lula soit alcoolique ! Bigre ! Il ne fait pas bon se mettre les vedettes à dos, heureusement pour Lula, Ronaldo, s’il a battu le record de buts inscrits en plusieurs coupes du monde avec 15 réalisations, ne dépassera pas les quarts de finale... Enfin, quand je dis heureusement pour Lula, le football est une bonne diversion pour les dirigeants sud-américains (dixit Maradonna : Quand je vois le nombre de voleurs et d’incompétents que mes succès ont servi...), et Lula comme Kirchner, le président argentin, espérait sans doute un parcours plus "divertissant" pour les masses.

Bien sûr, ce regain de popularité est éphémère, tout au plus permettra-t-il à Angela Merkel et à Romano Prodi de passer un été tranquille en ayant réussi à remonter leur cote de popularité auprès de leurs électeurs jusqu’à la prochaine crise politique... En revanche, le football ne peut rien pour des politiques français déjà englués en plein marasme. A l’inverse de 1998, où Chirac en pleine cohabitation n’avait rien d’autre à faire que d’aller au stade, où Jospin jouissait (comme Merkel et Prodi actuellement), de l’image positive du nouveau chef de gouvernement, et où les deux bénéficiaient du statut d’organisateurs de la fête, les cotes de popularité des supporters ne montent pas. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy peuvent dormir tranquilles malgré les klaxons : lors du match Portugal-France, dans les bars de supporters et au Parc des Princes, chaque apparition à l’écran de la vedette lusitanienne Cristiano Ronaldo et de... Dominique de Villepin a été largement conspuée. Les membres du gouvernement ont beau dire que l’équipe de France leur ressemble (poussive au départ, brillante en fin de compétition), on n’y croit pas trop, les députés ayant retiré le surnom de "Domenech de Villepin" par respect pour un sélectionneur plus brillant que les deux premiers matchs ne le laissaient penser, et visiblement plus brillant que l’hôte de Matignon (qui selon Le Canard enchaîné a hésité pour aller voir la demi-finale, de crainte d’être traité de chat noir si la France perdait).

D’ailleurs nos politiques brillent par leurs bévues footballistiques : après la qualification face au Togo, Chirac (pourtant spécialiste en la matière) promet d’être là pour une finale France-Brésil... sauf que le tableau a contraint les deux équipes à se rencontrer en quart de finale. Aillagon veut calmer les tensions gouvernementales par une métaphore : "Quand Trézéguet marque, Zidane se réjouit !". Sauf que Trézéguet n’a pas marqué le moindre but de la compétition et n’a jamais évolué aux côtés de Zidane qu’il a remplacé contre la Corée du Sud et lors de sa suspension face au Togo...

En parlant des supporters français, mais il est où, mais il est où, mais il est où le numéro deux du gouvernement, et grand supporter du Paris Saint-Germain ? Réponse : sur la route du Tour de France, son deuxième sport favori. Mais peut-être que Nicolas Sarkozy ira dimanche soir rejoindre sa copine Angela Merkel et qui sait, assister à la remise de la Coupe du monde aux coéquipiers de... Lilian Thuram, qui l’avait fortement critiqué lors de la crise des banlieues et qui fut le héros de la demi-finale face au Portugal. Aïe ! De quoi souhaiter que Thuram soit moins performant face à l’Italie, car si les retombées du sport sur la politique sont aléatoires, mieux vaut avoir leurs héros avec soi que contre soi !


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